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4/5
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Lu
par Culture-Tops
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Thème
Ce livre fait l’apologie de l’Intime en détrônant l’amour de son monopole occidental de la pensée de l’Autre.
L’intime c’est ce qui est caché au fond de nous, mais c’est aussi l’ami intime avec qui on partage tout. Les rapports traditionnels du dedans et du dehors sont donc remis en cause. L’intérieur paraît communiquer, en son fond, avec l’extérieur ; le retrait se transformer en partage, dans un mouvement d’essor imperceptible, car on ne décide ni même on ne songe qu’on devient intime. On partage de la conscience en mettant à mal la conception d’un Moi-sujet bloqué dans son solipsisme.
Un geste intime exige qu’on soit deux, il faut un Autre qui peut être aussi divers que le Dieu personnel de Saint-Augustin, Madame de Rênal pour Julien Sorel, Madame de Warens pour Rousseau ou encore Madame de Chasteller pour Lucien Leuwen.
A contrario, il n’y a pas d’épanchement, pas d’intime dans la pensée grecque mais la recherche de l’universel, de l’éternel pour persuader et pathétiser.
François Jullien nous enjoint de passer d’une morale du commandement à une morale de l’épanouissement fondée sur l’intime, en s’inspirant des Confessions de Rousseau. En effet, l’intime, en abrogeant les frontières du moi, rend impossible certains calculs ou abus, tels rapports de nuisance ou même d’indifférence. Il faut oser l’intime pour véritablement sortir de sa solitude. Cette morale humaine n’est pas universelle mais indicative et elle nous libère de l’intériorité.
Pour mieux distinguer et valoriser l’intime, notre auteur s’attaque à l’amour.
Faux-semblant d’unanimisme réconciliant éthique et pathétique, charnel et idéel, l’évènement et la durée. Aimer en chinois, c’est privilégier et sombrer dans la partialité, c’est crisper le cours continu des choses.
L’intime n’a pas besoin de renoncement et d’ascétisme qui opposent le corps à l’âme, il ne cherche ni la possession de l’Autre, ni la dépossession de soi dans le sacrifice. C’est un basculement du dehors de l’indifférence dans un dedans partagé qui se traduit par un regard à deux en perpétuelle découverte, par un dialogue que Rousseau qualifie de babil. Cela n’interdit malheureusement pas à l’intime de s’étioler s’il perd de son essor, en rétractant les possibles.
Points forts
Ce petit livre est un grand livre car il nous fait découvrir une évidence : l’intime est au cœur de nos vies.
Beaucoup d’intelligence, de subtilité et d’émotion dans un livre à propulsions variées : littérature, philosophie, pensée chinoise, vie intime…
François Jullien non seulement nous convainc sur le fond mais il le fait dans un style élégant et fluide, en restant toujours à notre portée.
Quelques réserves
La morale refondée à partir de l’intime est peut-être un peu optimiste…
Encore un mot...
Un magnifique essai pour nous aider à mieux vivre, traité par un philosophe aussi érudit que sensible. Très rare.
L'auteur
François Jullien est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé de philosophie et docteur en études extrême-orientales. Après avoir étudié la langue et la pensée chinoises aux universités de Pékin et de Shanghai, Il a été responsable de l'Antenne française de sinologie à Hong-Kong, puis pensionnaire de la Maison franco-japonaise à Tokyo.
À l'occasion de la remise à François Jullien du Grand prix de philosophie de l'Académie Française pour l'ensemble de son œuvre (2011), Angelo Rinaldi a présenté ainsi son travail : «Il y a, chez François Jullien, une forte unité de pensée et de parcours que Pierre Nora a résumé d'une formule : Penser entre la Chine et la Grèce. Il s'agit en effet de réfléchir à l'impensé de notre pensée occidentale née en Grèce. La Chine offre les moyens d'une prise oblique, une possibilité de nous retourner sur nous-mêmes et de nous considérer du dehors. C'est à la constitution de cette extériorité que s'attache d'abord François Jullien, l'autre versant de son travail étant de revenir aux fondamentaux de la pensée européenne».
Ayant ouvert son chantier dans l' "écart" des pensées de la Chine et de l'Europe, François Jullien n'a cessé d'organiser leur vis-à-vis, plutôt que de les comparer, afin de déployer entre elles un champ commun de réflexion. Etant conduit ainsi à circuler entre des domaines aussi divers que la morale, l'esthétique, il détecte les parti pris enfouis pour faire apparaître notre impensé. Cette démarche n'a pas manqué de déranger des sinologues « professionnels ».
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Un magnifique essai pour nous aider à mieux vivre.
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