De Gaulle et les communistes
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Ce livre est la nouvelle édition (augmentée, revue et annotée) du livre éponyme publié par Albin Michel voici une trentaine d’années qui comportait alors deux tomes : L’Alliance (1988) et Le Piège (1989). H-C Giraud y relate le subtil « jeu de bascule » auquel s’est livré de Gaulle entre l’URSS et les Alliés (Etats-Unis et Royaume-Uni) pour faire exister la France libre.
Points forts
Henri-Christian Giraud conduit son étude dans un respect scrupuleux de la chronologie, ce qui est essentiel pour tout travail historique sérieux. Il la fonde par ailleurs sur des sources multiples (archives soviétiques et britanniques notamment) qui lui permettent de dévoiler les liaisons dangereuses entretenues par le général de Gaulle avec Staline et le Parti communiste français (PCF).
Selon l’auteur, de Gaulle se rapproche de Staline dès le 25 juillet 1941, soit un mois à peine après la rupture du pacte germano-soviétique et l’entrée en guerre, contrainte et forcée, de l’URSS. Il est alors « en position de demandeur vis-à-vis des Anglo-saxons et des Soviétiques : de cette double faiblesse, il entend faire une force en jouant les uns contre les autres ».
Le « pacte secret » conclu ce jour-là peut se résumer ainsi : Staline trouve en de Gaulle un allié pour demander aux Anglo-américains l’ouverture d’un second front à l’Ouest, c’est-à-dire en France. En échange, Staline donne l’ordre aux communistes français de “s'allier sinon de se rallier à lui”.
Dans la perspective de la victoire, l’enjeu est double : quelle part de l’Europe dans le giron soviétique après la défaite allemande ? Quel pouvoir en France à la Libération ?
De Gaulle poursuit deux objectifs ambitieux : sur le plan international, parvenir à se faire une place dans le camp allié en dépit de la quasi inexistence de ses moyens militaires ; sur le plan national, s’allier avec les communistes - qui ont alors, en France métropolitaine, le monopole de la résistance armée - pour les contrôler.
Mais ce projet est également dangereux. Sur le plan international, de Gaulle refuse de voir le panslavisme naturel des Russes et l’impérialisme idéologique du communisme. Qui peut en effet prévoir jusqu’où pourra s’avancer l’armée rouge en direction de l’Ouest ? … Sur le plan national, il court le risque de voir le PCF s’emparer du pouvoir à la faveur de l’insurrection populaire que ce dernier appelle de ses vœux lors de la Libération ...
Churchill, dans le camp allié, et le général Giraud, dans le camp français, conscients de ces dangers, en refusent les risques. Ce livre a en effet le grand mérite de rappeler que le débarquement de juin 1944 en Normandie n’était nullement inéluctable. Une autre option existait. Churchill et le général Giraud – soutenu en cela par le général Juin – s’opposent à cette idée. Pour des raisons politiques et stratégiques, tous deux plaident pour une attaque de l’Allemagne par le Sud, dans « le ventre mou » de l’Europe, à partir de l’Italie et des Balkans. Churchill considère cette option qui permettrait d’atteindre rapidement le centre de l’Europe comme le seul moyen de limiter l’extension de la zone d’influence soviétique après la guerre.
À l’inverse, de Gaulle accepte de voir les Russes arriver à Berlin avant les Américains. Ce qui, militairement vaut « reconnaissance des conquêtes staliniennes de 1939-1941, l’occupation de l’Europe centrale et les chars soviétiques à deux étapes du tour de France » ; politiquement, « au mieux l’acceptation d’une coexistence entre une Europe de l’Ouest et une Europe soviétisée ; au pire, l’acceptation d’une soviétisation de l’Europe entière. »
De plus, souligne le général Giraud, l’ouverture du second front en Normandie retardera la fin de la guerre, car les Alliés trouveront sur la route de Berlin quatre obstacles majeurs : le mur de l’Atlantique, la ligne Maginot retournée à l’ouest par les Allemands, le Rhin et la ligne Siegfried. Sans compter les dommages collatéraux que ce débarquement ne manquera pas de causer sur le territoire national et la population française. Mais de Gaulle, lui, a une autre raison de tenir à ce second front : il a besoin de la présence de l’armée sur le sol français à la Libération pour imposer aux communistes sa prise de pouvoir ; les communistes qui, eux, rêveraient de faire de sa personne leur Kerenski ...
HC Giraud entreprend de décrire avec précision le déroulé de ces luttes : comment de Gaulle, avec l’appui de Roosevelt qui n’a visiblement pas pris la mesure de la roublardise de Staline, va finir par imposer son point de vue ; comment, « expert en politique politicienne », il élimine le général Giraud pourtant auréolé de ses victoires militaires en Tunisie et en Corse ; comment sa volonté d’intégrer les communistes dans le Conseil National de la Résistance entraîne des fractures entre Jean Moulin, chargé de cette mission, et Pierre Brossolette et Henri Frenay qui s’y opposent ; comment, à Alger, gaullistes et communistes vont s’accorder sur un second point en imposant l’idée selon laquelle il ne saurait y avoir de résistance aux Allemands hors des girons gaullistes et communistes, fiction qui aura pour corollaire une épuration où la vengeance l’emportera souvent sur la justice, « le sang de l’alliance » étant versé par Pierre Pucheu, dont le procès à Alger en février 1944 ne fut rien d’autre qu’un assassinat judiciaire.
Quelques réserves
HC Giraud conduit son étude méticuleusement, pas à pas, quasiment au jour le jour. De ce fait, la lecture de l’ouvrage s’avère difficile et l’on aurait aimé plus de synthèses. Citer in extenso les rapports des uns ou les lettres des autres constitue certes un effort louable pour mettre à la disposition du lecteur l’intégralité de la source citée. Il n’en reste pas moins que cela en rend la lecture quelque peu fastidieuse.
Les conclusions tirées ou les hypothèses avancées peuvent apparaître contestables et il est permis de les discuter ; nonobstant, l’argumentation développée mérite d’être prise en considération, dans la mesure où elle repose sur des archives multiples, bien souvent méconnues ou ignorées.
Henri-Christian Giraud est le petit-fils du général Giraud et sa neutralité, dans la description de l’affrontement entre de Gaulle et son grand-père, peut s’en trouver atteinte.
Encore un mot...
Une somme, une thèse solidement soutenue, à l’intention d’un public averti, passionné par la période, donnant matière à débat.
Une phrase
"Il y a entre le général de Gaulle et le général Giraud un conflit de « logiques » et c’est la raison pour laquelle l’affrontement s’annonce impitoyable.
La « logique » du général Giraud, c’est la réalisation de l’union combattante de tous les Français hostiles à l’Allemagne et le retour à la légitimité républicaine.
La « logique » de de Gaulle, c’est la réalisation de l’union autour de sa personne. Il s’agit donc davantage d’un rassemblement que d’une union proprement dite, mais c’est aussi, grâce à la symbolique du 18 juin, à la munificence du verbe et à l’intransigeance brandie comme un drapeau, une mystique visant à l’instauration d’une nouvelle légitimité.
Sa volonté d’unir tous les Français désireux de reprendre leur place au combat et son refus de constituer une nouvelle légitimité contraignent Giraud à l’indulgence et à la conciliation. Sa volonté de créer une nouvelle légitimité autour de sa personne oblige de Gaulle au radicalisme et à l’exclusivisme.
Dans la logique giraudiste, de Gaulle est nécessairement un partenaire. Dans la logique gaulliste, Giraud est inévitablement un adversaire. Pour réduire ce dernier, l’homme du 18 juin a donc choisi sa méthode : la surenchère permanente et la crise".
L'auteur
Ancien rédacteur en chef du Figaro Magazine et collaborateur régulier du Figaro Histoire, HC Giraud est notamment l’auteur de L’accord secret de Baden-Baden (Le Rocher, 2018) où, de la même manière, il met en lumière l’alliance objective entre le général de Gaulle et le Parti communiste français pour mettre fin aux désordres de mai 1968.
Commentaires
Ce livre a recu beaucoup des commentaires en Pologne.
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