Civilisation & Libre-arbitre. Pourquoi l’Occident est différent.
Paru le 20 avril 2022
380 pages
18,90 €
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Thème
Si notre sort ne dépend pas de nos actes, s'il est fixé d'avance de notre naissance à notre mort, pourquoi se prendre en charge ? Pourquoi nous assurer de l'avenir ? Pourquoi prendre des risques ? Si tout est prédestiné, n'est-il pas confortable de s'abandonner au destin ? Pourquoi se prendre en main ?
Les sociétés archaïques et l'antiquité plaçaient rarement le libre-arbitre au cœur de leur morale sociale. Au fil des chapitres de cet essai, le lecteur découvre comment et pourquoi l'Europe occidentale (suivie par l'Amérique du nord) s'est, au contraire, émancipée du fatalisme qui caractérisait la plupart des civilisations et des religions antérieures au christianisme. Delsol signale aussi que le monde le moins développé reste fataliste.
Au fil des siècles, l'attrait des Européens pour le libre-arbitre eut des hauts et des bas : l'intérêt pour ce concept renaît parfois, comme au III° siècle de notre ère avec Origène (p. 54) ; il prit sa réelle importance aux temps modernes avec Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville pour qui « l'individu doit être souverain », ce qui implique qu'il agit librement (p. 156) !
Deux chapitres éclairent les hésitations qui marquèrent l'islam à ses débuts (chapitres 4 & 10) ; il en fut de même pour le protestantisme (chapitre 5). Comme le catholicisme au cours de son histoire (chapitre 12), ces deux religions hésitèrent longtemps entre prédestination et libre-arbitre.
Au cours des deux ou trois premiers siècles de l'Hégire, le libre-arbitre eut plutôt bonne presse en terre d'islam : « Dieu…n'est pas l'auteur des actions humaines » affirmait-on alors à Bagdad (p. 83) . Mais la prédestination prendra finalement le pas sur le libre-arbitre : l'islam s'est en effet « engoncé dans un déterminisme profond », depuis la fin du X° siècle, regrette Delsol : désormais : « tout y est prescription » ! (p. 91).
Quant à la Réforme, notre auteur souligne que l'ancien moine augustinien Luther soutenait, en continuité avec St. Augustin, que : « le salut dépend uniquement de l’œuvre de Dieu » (p. 104). Quant à Calvin, il écrivait lui aussi et sans ambages : « Dieu a prévu, en créant l'homme, ce qui lui devait advenir». S'il est ainsi prédestiné, aucun libre-arbitre ne lui est permis (p. 108 et 232). En définitive, conclut Delsol, la Réforme contribua à reconnaitre le libre-arbitre de l'homme jusqu'à notre époque, mais sur un tour plus philosophique et pragmatique que théologique : « chacun trouva ses accommodements » écrit-il p.239, avant de conclure p. 244 : « les vertus de la responsabilité individuelle l'ont emporté sur le carcan mental de la prédestination, ce qui n'a pas été le cas dans l'islam ! »
Quant au catholicisme, tenu par le principe évangélique qui lui impose de distinguer le spirituel du temporel (dicton rappelé par trois des évangélistes: « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ») il hésita longtemps à séparer l'Eglise de l'Etat, à dissocier le politique du religieux ainsi qu'à laisser chacun libre de sa conscience et de sa religion, deux conséquences du libre-arbitre que confirma avec éclat le Concile Vatican II (pp. 248-258)!
Le diagnostic et les conclusions de l'auteur pourront être contestés par d'autres exégètes. Mais aucun ne pourra nier que cette étude repose sur des faits et sur des textes incontestables.
Points forts
Le libéralisme chrétien qui inspire Delsol prolonge celui des grands esprits du XIX° siècle français. Quant à sa culture historique, philosophique et théologique, elle est patente ! Plaisant à lire, construit et documenté, son ouvrage est savant sans être abscons ; il dresse un tableau vivant des débats sur la prédestination et sur le libre-arbitre qui ont profondément divisé l'occident chrétien depuis vingt siècles.
Ces débats ne sont pas éteints, au contraire : ils continuent d'abord à diviser profondément l'Europe : l'orientale est plus fataliste que l'occidentale. La poudrière historique des Balkans témoigne de la tension qui persiste entre l'islam et la chrétienté, comme au Proche Orient. Quant aux événements qui saignent l'Ukraine depuis février 2022, ils illustrent parfaitement cette fracture historique entre l'est et l'ouest, entre l'orthodoxie russe et la modernité occidentale ; nos différends avec les Turcs et les multiples tensions autour de la Méditerranée et de la Mer noire également!
Quelques réserves
Les sources variées et nombreuses sur lesquelles repose ce travail auraient pu être récapitulées en fin d'ouvrage ; un index aurait relevé cette publication sans lui retirer aucune de ses qualités, au contraire ! Travers ou coutume éditoriale, je ne sais ? Mais j'observe que les éditeurs français ne se soucient guère d'adjoindre aux essais de qualité (comme celui que je commente ici) ces appendices qui conforteraient les ouvrages qu'ils publient! Est-ce un indice de la pauvreté qui menace l'édition française depuis des lustres ?
Encore un mot...
Le diagnostic et les conclusions de l'auteur pourront être contestés par d'autres exégètes. Mais aucun ne pourra nier que cette étude repose sur des faits et sur des textes incontestables
Une phrase
- "Aucune liberté ne peut exister sans libre-arbitre ». p. 13
- "Platon n'avait pas vraiment conscience du libre-arbitre naturel des hommes » p. 25 :
- «Le Talmud affirme : Que Dieu nous ait dit que nous possédons le libre-arbitre est plus grand que le fait de nous en avoir fait don ! » p. 47
- (à propos de la doctrine de Boèce, philosophe chrétien du VI° siècle) : « Dieu...voit clairement toute chose...sans pour autant...empêcher le libre-arbitre des hommes. » p. 67
- (citant Schopenhauer) : « Si l'on admet le libre-arbitre, chaque action humaine est un miracle inexplicable ! » p. 154
- (sur l'islam) : « Après des débuts exubérants, il s'enferma dans une pensée figée (et) prospéra de la soumission des peuples conquis, plus que par la création de richesses. » p. 214
- (à propos de l'Etat) : « l'idée de libre-arbitre...suppose que les gouvernements soient modestes...une idée (qui disparaît) sous la poussée perpétuelle de l'État-providence » ! p. 286
L'auteur
Avocat à la Cour, Jean-Philippe Delsol préside l'IREF (Institut de recherches économiques & fiscales) dont le siège est à Paris. Il a publié de nombreuses tribunes et une dizaine d'essais parmi lesquels : Le Péril idéologique (Nouvelles Éditions latines, 1982), Au risque de la liberté (avec Jacques Garello, Editions François-Xavier de Guibert, 2007), A qui servent les riches ? (avec Nicolas Lecaussin, Editions Jean-Claude Lattès, 2012) et Échec de l'Etat (Editions du Rocher, 2017, en coll.) ; le présent ouvrage est son second livre publié chez Desclée de Brouwer.
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