Citoyens policiers
Parution le 18/01/2024
352 pages
23 €
Infos & réservation
Thème
Le sous-titre éclaire le sujet : "Une autre histoire de la sécurité publique en France, de la Garde nationale aux voisins vigilants". Il s'agit en effet de relater, sur les deux derniers siècles, la manière dont des groupes de citoyens se sont organisés pour maintenir l'ordre jugé menacé, mettant ainsi en œuvre, légitimées ou pas, des pratiques policières. Aujourd'hui l'Etat charge des spécialistes formés pour assurer la sécurité publique (gendarmes, policiers, CRS...) mais il n'en a pas toujours été ainsi car à plusieurs reprises, des amateurs, bénévoles ou légèrement indemnisés, ont jugé utile de participer aux fonctions policières. Ce fut même parfois considéré comme acte de courage et devoir civique. Avec tous les dangers inhérents à cette manière de faire que l'auteur décrit parfaitement pour faire comprendre les limites et les critiques de l'action civique (risques de dérives de citoyens armés ou de groupes violents notamment).
L'ouvrage est divisé en trois parties. La première relate les "bricolages civiques dans un système policier en construction" de 1789-1880, c'est-à- dire qu'elle aborde les périodes révolutionnaires jusqu' après la Commune, illustrant les engagements des citoyens désireux d'assurer l'ordre social dans un Etat défaillant du point de vue sécuritaire. Les Amis de l'Ordre après 1870, en sont un parfait exemple. La deuxième partie montre l'engagement limité des amateurs face à un système policier qui se professionnalise (jusqu'en 1960). A partir de la IIIe République en effet, l'Etat renforce la sécurité professionnalisée et la place des amateurs devient limitée. Mais cette large période est particulière puisqu'elle englobe les deux guerres (durant lesquelles les policiers requis au front sont beaucoup moins nombreux), la Libération (et le rôle des communistes), la guerre d'Algérie et Mai 68, pour lesquelles l'auteur examine en détail le rôle des milices. La troisième partie, enfin, débutant dans les années 1970 jusqu'à nos jours, évoque la participation des citoyens dans un système où la police est désormais structurée. Le rôle des "voisins vigilants" est étudié avec pertinence de même que les possibilités nouvelles apportées par les techniques numériques. En conclusion, la question demeure : le recours aux citoyens policiers est-il efficace ou bien dangereux ? Comporte-t-il plus d'inconvénients que d'avantages ? Est-il même démocratique ? Et qu'en est-il du droit à la légitime défense inscrit dans le Code pénal ?
Points forts
- On peut être reconnaissant à l'auteur d'étudier un point méconnu de l'histoire sociale qui pourtant concerne la vie quotidienne de chacun, confronté à la délinquance. La question "Faut-il encourager la délation ? Se faire détective ou mouchard ? " est posée à plusieurs reprises, avec exemples à l'appui, et le fond du problème est ainsi bien étudié.
- Quelques illustrations (dessins de presse le plus souvent) sont bienvenues ainsi que plusieurs rappels des personnages de la littérature et du cinéma (y compris pour les enfants) qui se font détectives bénévoles; enquêteurs amateurs, héros de romans policiers, justiciers autonomes, ardentes figures de l'auto- défense.
- La période post-soixante-huitarde est particulièrement bien analysée (3ème partie, intitulée "Créez vos milices, soyez de la police, années 1970-1980"). La montée de la peur, du sentiment d'insécurité, et, de ce fait, l'envie de faire justice soi-même, ne fait qu'augmenter et l'auteur le démontre à l'aide de quelques chiffres clés : "entre 1967 et 1972, le nombre des crimes et délits fait plus que doubler". La police nationale ne répond pas suffisamment aux attentes de la population d'où la création de polices municipales et de milices privées. Quant aux changements observables à partir des années 2000 (terrorisme, drogue, racisme, etc) avec, notamment, des actions de terrain par des collectifs d'autodéfense, ils font également l'objet d'une analyse judicieuse.
- Les nombreux extraits de presse cités tout au long des chapitres éclairent parfaitement l'ambiance de l'époque.
- Les comparaisons avec les initiatives de sécurité en Grande Bretagne, qui servent souvent de modèles, sont bienvenues pour mieux comprendre la spécificité française.
Quelques réserves
Évidemment plus l'on se rapproche des périodes contemporaines que nous avons connues ou que nous vivons actuellement, plus le sujet semble nous concerner... L'auteur a anticipé ce point en développant plus largement les périodes récentes que les temps anciens, qui cependant sont suffisamment évoqués pour faire de l'ouvrage un véritable livre d'Histoire. Cependant, les chapitres concernant le XIXè siècle nécessitent tout de même une bonne connaissance des divers courants politiques de ces périodes pour s'y sentir à l'aise.
Concernant la guerre d'Algérie, il semble que l'auteur n'évoque les milices que d'un seul côté, celles des colons, sans se pencher sur celles des autres...
Encore un mot...
Une liste des diverses appellations est éclairante : en 1789, on parle de Garde nationale, puis d'autres appellations surviennent : les "Gourdins réunis" (1869) les organisations jaunes (vers 1900), la Ligue de protection sociale, la Garde civile, l'Union civique, ... jusqu'au milices patriotiques (1944) , les comités de défense de la République (CDR)... les réservistes de la gendarmerie et de la police, les voisins vigilants, etc... Un constat : sous ces appellations relativement semblables, les pratiques de vigilance sont d'une grande diversité.
Un fait surprenant : toutes ces initiatives citoyennes n'ont guère duré, trop peu d'ailleurs pour laisser trace dans les mémoires. Si le but d'une mise en perspective historique n'est pas de relativiser les événements du présent, elle autorise tout de même à ramener les problèmes actuels à de justes proportions car le vol, la violence, la délinquance, les protestations et manifestations, les conflits, bref, l'insécurité, sont de tous temps...
Une phrase
"Avec leurs panneaux apposés à l'entrée des villes et villages, les "voisins vigilants" sont entrés dans le quotidien des Français au début des années 2010. Sous ce nom générique, se confondent plus ou moins délibérément, deux organisations distinctes : l'une est une entreprise privée (Voisins Vigilants et Solidaires) fournissant des services à des municipalités ou des comités de quartier ; l'autre est un dispositif de "participation citoyenne" mis en place à l'initiative de la gendarmerie afin de mieux associer la population à la protection de son environnement. Deux structures, l'une n'hésitant pas à se couler dans l'autre pour gagner en respectabilité et en rentabilité... mais une philosophie partagée : il s'agit d'organiser ou de réveiller les solidarités de voisinage tout en se démarquant de la légende noire des collectifs sécuritaires". (p. 277)
L'auteur
Professeur d'histoire contemporaine à Sorbonne-Université, membre du Centre d'histoire du XIXè siècle, co-titulaire de la chaire Histoire-Gendarmerie-Sécurité et Territoire, Arnaud-Dominique Houte est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages consacrés essentiellement aux institutions françaises chargées de la défense de la société, notamment la gendarmerie. Il s'est penché sur l'histoire des policiers mais aussi sur celle des voleurs s'attaquant à la propriété privée. Ses deux derniers ouvrages parus en 2023 sont intitulés Former, éduquer, surveiller, documents d'histoire sociale de la France contemporaine (collectif, PUR Rennes) et l'Antimilitarisme en France, idéologies, sensibilités, pratiques (avec E. Fournier, éd. de la Sorbonne). L'auteur apparaît donc -et les notes en fin de volume le confirment- comme un familier des archives policières, judiciaires, et des événements relayés par la presse d'époque.
Ajouter un commentaire