Casanova l’aventure
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Thème
Autour de la figure libre et caracolante de Casanova, Alain Jaubert brosse le tableau d’un XVIIIe siècle brillant et débauché, où monte l’athéisme porté par les Lumières. Bousculant toute chronologie, il se penche avec délices sur ce vénitien, fils du peuple, aristocratique et surdoué, épris de femmes émancipées qu’aucune transgression n’effraie, qui se faufile dans toutes les castes des sociétés européennes, guidé par son seul plaisir et cette curiosité inlassable qui en fait le catalyseur de l’esprit XVIIIe.
En une trentaine de chapitres « à thème », Jaubert explore les outrances, les rires, les heurs et les malheurs d’un libertin qui a troussé plus d’une centaine de femmes de tous âges et toutes conditions, promis dix fois le mariage, pour y échapper toujours; d’un fastueux qui n’abandonne jamais celles qu’il a séduites, qui les dote, les place, les marie, les habille autant qu’il les déshabille, les couvre de bijoux et de velours ; d’un bretteur aux multiples duels ; d’un mémorialiste qui a rencontré tous les Grands de son temps, rois, papes, savants, musiciens, écrivains, philosophes, et croqué ses interlocuteurs dans une énorme somme de près de 4000 pages intitulée « histoire de ma vie ».
Points forts
Bien loin du Casanova de Fellini, somptueux mais glaçant, véritable stakhanoviste du sexe susceptible et imbu de lui-même, le personnage de Jaubert est formidablement attachant :
Un « arlequin désinvolte », un « merveilleux voltigeur », joueur, tricheur, souvent plumé mais s’en sortant toujours, franc-maçon anobli par Louis XV sous le nom de chevalier de Seingalt (nom peut-être forgé à partir de l’Orlando Furioso de son cher Arioste), cabaliste, écrivain inlassable doublé d’un érudit amoureux des livres « interdits », ce qui le mènera d’ailleurs dans les « plombs » de Venise.
Une multitude de comparses plus ou moins connus, encyclopédistes, aristocrates, valets, intrigants, magiciens, comédiens, castrats, traversent le récit de façon récurrente, dont l’ineffable marquise d’Urfé, enragée d’alchimie et grugée par tous les aventuriers du siècle (Cagliostro, Saint-Germain et, bien entendu, Casanova lui-même).
La richesse du vocabulaire de Jaubert ; l’accumulation des mots sert magistralement la profusion qui est la marque de Casanova : profusion de femmes, bien sûr, mais aussi profusion de mets rares (ah, la façon casanovienne de manger des huitres !), de boissons fortes, de voitures et de carrosses, de bijoux et de vêtements….
Quelques réserves
Quelques extrapolations hasardeuses :
La version que Jaubert donne de la mort d’Orphée qui, « ne fréquentant plus les femmes et inventant l’amour homosexuel » (p.122) est dépecé par les femmes de Thrace (alors qu’elles étaient seulement jalouses de son amour persistant pour Bérénice).
Une certaine tendance à insister sur les fugaces conquêtes « à la grecque » dont Casanova lui-même parle très peu: «songeant aux préjugés du public auquel il fait lire ses Mémoires (il) n’a sans doute pas voulu trop écorner sa réputation de grand amoureux des femmes.» (p.162)
A priori, Alain Jaubert est de son temps, comme Giacomo Casanova était du sien...
Les considérations sur l’emploi du passé composé plutôt que du passé simple ou de l’imparfait dans « Histoire de ma vie » sont longuettes et sentent un peu les commentaires de France-Culture.
Encore un mot...
Erudit et brillant, ce portrait d’un libertin adepte d’un art de vivre polyphonique est celui d’une sorte de Candide sans candeur qui traverse son siècle au grand galop sans cesser de penser que tout est bien dans le meilleur des mondes possibles… à condition de fuir l’ennui.
Une phrase
Ou plutôt deux, de Casanova lui-même, extraites de la préface de « histoire de ma vie » :
- « Si tu n’as pas fait des choses dignes d’être écrites, écris au moins des choses dignes d’être lues »
- « Je crois enfin que tromper un sot est un exploit digne d’un homme d’esprit »
L'auteur
Alain Jaubert est né en 1940. Journaliste scientifique à La Recherche et au Nouvel Observateur, chroniqueur de musique classique à Libération, professeur de philosophie et d'arts décoratifs, il est aussi producteur et réalisateur de documentaires, dont la série sur la peinture, Palettes, diffusée par Arte pendant 10 ans, chaque émission portant sur un seul tableau et l’histoire de sa réalisation.
Il a publié plusieurs romans : Val Paradis, récompensé par la bourse Goncourt du premier roman en 2005, Une nuit à Pompéi, en 2008 et Au bord de la mer violette en 2013.
A noter que son intérêt pour Casanova n’est pas nouveau puisqu’il a réalisé une émission pour Arte le 20 février 1999, intitulée Casanova, l’allumeur des lumières.
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