Ayn-Rand- L'égoïsme comme héroïsme
Parution en juin 2023,
128 pages
12 €
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Thème
Née russe en 1905, cette aventurière de l'esprit fut élevée sous le joug bolchevique avant d'émigrer à Chicago en 1926. La vie d'Ayn Rand, née Alyssa Rosembaum au sein d'une famille bourgeoise de Saint-Pétersbourg, est un véritable roman : intéressée par le cinéma dès son adolescence, elle rejoint des cousins émigrés outre-Atlantique, sous le prétexte d'étudier sur place ce cinéma américain qui fait rêver le monde, et même les soviétiques. !
A 21 ans, elle change son nom, s'infiltre dans les studios d'Hollywood, s'essaie à l'écriture de scénarios, court le cachet et se marie avec un acteur de séries B. Naturalisée américaine en 1931, elle fait son trou à Hollywood puis à Broadway où sa première pièce de théâtre tient l'affiche en 1936. Le succès ne la quittera plus jusqu'à sa mort en 1982.
Rand resta fidèle à l'Amérique. Son œuvre comporte des romans, des essais et des films à grand succès inspirés par ses romans. Son influence s'exerça pendant un demi-siècle sur la société civile et sur la politique américaine qui en est encore imprégnée : quarante ans après sa mort, des sociétés savantes et des cercles de pensée entretiennent son legs, prolongent sa pensée et débattent de ses choix philosophiques et sociétaux, bien au delà du continent américain.
Publié en 1943, son roman-culte : The FountainHead (traduit tardivement en France : La source vive, Plon 1997) fut porté à l'écran par le metteur en scène King Vidor en 1949 ; c'est un film incontournable de cinémathèque. Paru en 1957, son roman-fleuve d'un millier de pages : Atlas Shrugged (traduction : La Grève, Belles Lettres, 2011) fut un succès planétaire (mais pas en France!)
Cette biographie s'inscrit dans Le bien commun, une collection de courts essais chez l'éditeur Michalon, au format des « Que sais-je ? » publiés par les PUF depuis 80 ans, qui impose un style et un langage accessibles à tous, des notes et une bibliographie discrètes.
Points forts
En dehors de rares ouvrages détaillés ou savants, publiés notamment par Alain Laurent aux « Belles Lettres », éditeur de La Grève, peu de travaux ont été consacrés à Ayn Rand en France. Mathilde Berger-Perrin le constate sans s'en étonner : « pour nous, lecteur(s) français habitué(s) à l'Etat-Providence, son œuvre résonnera peut-être moins » écrit-elle en refermant son essai (p. 116). Pourtant, la détermination et la faconde de cette femme énergique la fascinent ; c'est sans doute pourquoi elle a entrepris cette biographie, en signe de bienveillance pour cette aventurière originale.
Rien ne prédisait que Rand, l'émigrée, provoquerait un pareil engouement ; en brisant des tabous, elle a su se faire accepter ; elle s'inscrivit solidement dans la société américaine. Originale, elle sut se faire entendre et se faire respecter. Femme libre, elle assumait un parfait athéisme. Et rappelait toujours que, depuis 1787, la primauté de la raison et la quête du bonheur terrestre sont l'objectif que poursuit la société américaine dont la Constitution s'ouvre ainsi : « we the People of the United States etc. »
Mathilde Berger-Perrin cherche à comprendre ce personnage qu'elle décrit assez bien. Parmi les pépites de son livre, deux notes qui tentent de relier Rand au courant romantique : la jeune Alyssa, son prénom de naissance, avait apprécié Victor Hugo (dans le texte) et peut-être Rostand ! Dès sa prime jeunesse, elle aurait senti que leurs héros solitaires (Ruy Blas ou Cyrano) incarnaient cet idéal, profondément individualiste et responsable, qui parcourt toute son œuvre (p. 13). Sont-ce ces sources à qui l'on devrait La vertu d'égoïsme que précise et défend le recueil des articles rassemblés en 1964, adaptés récemment en français sous ce même titre (Belles Lettre, 2011)?
Si c'était le cas, Ayn Rand aurait tiré un trait d'union entre l'individualisme que promet le rêve américain et l'idéal des héros romantiques français ! Une hypothèse que l'on décèle entre les lignes de cette biographie, surtout dans ces deux premiers chapitres qui résument la vie, intense et productive, d'Ayn Rand ainsi que la philosophie de l'existence qu'elle avait baptisée : l'objectivisme.
Quelques réserves
Les deux autres chapitres du livre (pp. 69 à la fin) sont moins convaincants. D'abord parce que l'écriture hésite visiblement à trancher entre deux optiques, difficilement conciliables en l'espèce:
- l'attitude du biographe (agissant en historien) qui s'efforce de dépeindre factuellement la vie d'un tiers, observé de l'extérieur, sans s'y impliquer.
- et la posture du critique, très différente, qui rapporte en permanence ses observations à ses sentiments et aux questions de son temps plutôt qu'à la société et à l'époque dans laquelle vivait le sujet de la biographie !
M. Berger-Perrin se comporte en biographe dans la première moitié de son essai ; elle s'implique par contre beaucoup dans le reste du livre qui jauge et qui juge l'action et les écrits d'Ayn Rand non pas comme le ferait un biographe, mais comme un critique plutôt acerbe. Ainsi, de nombreuses pages du chapitre III -pp. 74-76, 83-87 ou 91-92- ainsi que les pp. 95-99 du chapitre IV (Un héritage) qui sont inspirées par Branden, élève et amant de Rand, de trente ans son cadet, et non par Rand elle-même, sont vraiment critiques comme la suite de ce chapitre marqué par la quête de ce que « ce discours résonne aujourd'hui » (p.100-101). Je ne disconvient pas que les positions d'Ayn Rand, parfois caricaturales et forcées, fassent débat ; mais fallait-il consacrer la moitié d'une courte biographie sur 128 pages pour déboulonner un personnage aussi complexe et hors norme ? La brève conclusion du livre -p. 115-16- témoignent d'une ironie grinçante qui contredit l'autre moitié de l'ouvrage !
Encore un mot...
L'œuvre et le destin d'Ayn Rand sont méconnus en France alors qu'ils sont célébrés et même adulés en Amérique ; cette biographie voulait combler un manque. Elle n'y réussit qu'à moitié !
Une phrase
- p. 11, le cadre imposé à cette biographie : «son histoire ne pouvait s'écrire qu'aux Etats-unis, machine à self-made men et terre d'asile pour cette réfugiée soviétique.»
- p. 27, lancement d'une carrière littéraire : « ses livres , tels des scénarios, suivent une rythmique. Rand peut multiplier les personnages, comme dans un grand roman russe.»
- p. 82, la romancière se définit ainsi : «Ayn Rand se dit philosophe avant tout. La bataille, dit-elle, est d'abord intellectuelle et non politique. »
- p. 116, avant de refermer la biographie, ce jugement à l'emporte-pièce : « L’œuvre d'Ayn Rand n'est pas subtile. C'est là sa force » §
L'auteur
Mathilde Berger-Perrin est une journaliste-pigiste rompue à la philosophie contemporaine. Elle s'intéresse au féminisme contemporain et au libéralisme. Cette biographie d'Ayn Rand est son premier livre.
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