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Thème
1° Emmanuel Jaffelin constate d’abord que la punition a été confisquée par le système judiciaire, qu’elle a disparue de la famille et de l’école. Il rappelle qu’au Danemark, un parent peut aller en prison pour avoir giflé son enfant. Et, dans le sport, la punition ne se maintient que de façon ambigüe car l’actualité sportive fait dorénavant partie de la société du spectacle et correspond à des enjeux financiers énormes.
2° La logique juridique pénale circonscrit la faute punissable à la loi, ce qui aboutit à un système juridique inefficace incitant les victimes potentielles à chercher la meilleure couverture d’assurance pour limiter les risques encourus, et conduisant en prison les criminels mal défendus pour y devenir, eux-mêmes, victimes du système carcéral et probables récidivistes. Tout le système de sanction pénale est construit sur l’incarcération, comme une réponse pratique au besoin de mettre les fautifs hors de notre vue.
3° L’inefficacité de ce système est bien sûr accentuée du fait d’une législation que personne ne peut maîtriser, bien que « nul ne soit censé ignorer la loi ». Ajoutons que, pour compliquer le tableau, la justice pénale peut aller d’une sanction automatique (en droit administratif) jusqu’à la recherche de l’intention ayant motivé le fautif, pour caractériser le crime et déterminer la peine. L’application pure et simple du droit est loin d’être une réalité.
4° Dans les relations internationales, la punition prend des formes diverses (militaire, économique, politique). Elle resurgit là où certains pays se posent en moralisateurs pour défendre leurs valeurs ; ces initiatives sont rarement exemptes d’intérêts nationaux et aboutissent à des résultats bien souvent contestables. Plus que le droit international inexistant, ce sont alors les justifications morales des uns et des autres qui s’opposent, car la morale de l’humanité entière reste à préciser…Emmanuel Jaffelin propose pourtant de revenir au substantialisme moral qui soutient que le cœur de la faute relève de la morale et atteint l’humanité entière.
5° Et c’est à partir de cette vision morale qu’il examine le sens à donner à la punition. Fauter c’est refuser une règle porteuse de sociabilité, c’est désobéir à la société et pas seulement enfreindre le droit. La punition doit donc désamorcer l’escalade de la violence pour renouer, si possible, le lien social, pour favoriser l’avènement du pardon.
Emmanuel Jaffelin propose d’abandonner la prison comme réponse privilégiée du système pénal pour une nouvelle écologie pénale fondée sur l’obtention du pardon et la réintégration du fautif. Au niveau pénal, il considère que sur les 67000 détenus en France, seuls 1000 sont dangereux et, d’une certaine façon, irrécupérables. Pour aider les 66.000 autres à se reconstruire en tant que citoyen, il propose que la société fasse pression sur eux par humiliation et consolation, pour obtenir, in fine, le pardon des victimes. Il fait alors référence à des systèmes mis en place chez les Amérindiens et les Maori, ce qui ne manque pas d’exotisme.
6° Au niveau de la famille et de l’Ecole, il propose de redonner place à l’affect pour revaloriser la punition d’humeur, notamment la gifle, qui permet à l’enfant fautif de mieux comprendre qu’il s’est surestimé en se pensant au-dessus de la loi morale du groupe.
Points forts
1° La punition est effectivement devenue quasi obsolète, synonyme de réaction dépassée et susceptible de transformer le fautif en victime. Pour preuve le statut d’enfant roi qui n’est plus compatible avec la punition. Mais les incivilités, les délits et les crimes se multiplient.
2° Il est donc intéressant de reposer les questions de fond. Que perdent le fautif et les victimes quand il y a déchirure du lien social ? Comment pouvons-nous, si possible, réparer ce tissu fragile ? Qu’avons-nous oublié en réduisant la peine à la prison et à l’amende ? Comment faire pour que personne ne se juge au-dessus des règles morales partagées ? Derrière ces questions essentielles se profilent nos choix fondamentaux de société qu’Emmanuel Jaffelin qualifie de postmoderne, « synthèse de l’archaïque et de la technique ».
3° L’analyse est très souvent pertinente et le style de l’auteur direct et agrémenté de formules qui font mouche. Son va et vient entre philosophie, ressenti personnel, expérience éducative, rappels historiques et points de vue étrangers, actualité politique rendent ce livre intéressant, léger et attachant. L’équilibre entre affect et raison reflète l’engagement de l’auteur « corps et âme », gage d’authenticité.
Quelques réserves
Si l’analyse est souvent convaincante, elle semble cependant oublier l’évolution de notre société postmoderne, voire hypermoderne, qui va, me semble-t-il, au-delà d’une synthèse de l’archaïque et de la technique. L’extrême individualisme, la perte des références chrétiennes qui semblent pourtant inspirer notre auteur, la prévalence de l’économique sur le culturel et le social sont autant de facteurs qui expliquent les évolutions actuelles de notre système pénal et rendent difficile, voire improbable, tout retour vers la solidarité. On pourrait donc taxer Emmanuel Jaffelin d’un certain angélisme, comme Matthieu Ricard qui par la voie du bouddhisme aboutit à des conclusions similaires. A moins que de crise écologique en crise économique et financière, nos choix de société évoluent…
Encore un mot...
Une bonne base de réflexion qui mériterait d’être approfondie pour tenter d’en tirer des conséquences pratiques, au moins sur un plan expérimental et dans un domaine limité, comme celui de l’éducation.
L'auteur
Agrégé de philosophie, Emmanuel Jaffelin enseigne aujourd'hui au Lycée Lakanal de Sceaux, après avoir été diplomate en Amérique latine et en Afrique.
Il a orienté ses recherches sur les questions politiques et éthiques. Dans son principal ouvrage, Éloge de la gentillesse, il défend une éthique enracinée dans cette « vertu moyenne » qu'est la gentillesse, plus accessible que les standards trop exigeants de la sainteté : « Sans faire de nous des Jésus ou des super héros, elle a le pouvoir de nous élever un peu,… en un minimum d’efforts. » Par son caractère désintéressé, la gentillesse a le mérite d'échapper à toute instrumentalisation ou marchandisation.
Emmanuel Jaffelin a également abordé la question carcérale sous l'angle d'une critique sévère du système pénitentiaire français dont il considère qu'il « ne fait plus sens », en raison notamment de ses défaillances en matière de réinsertion. Il a animé un atelier philosophique à la prison de Sequedin (Nord) et, en compagnie d’autres intellectuels, est intervenu lors du projet de réforme pénitentiaire débattu au Parlement en 2009
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