Wonderland
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Thème
L’arrivée inattendue et inexpliquée d’un énorme nuage au-dessus de la Suisse, et d’elle seule, puis les mesures interdisant d’entrer et de sortir du territoire, suscitent déni, panique, violence ou “prise de conscience” de quelques habitants emblématiques du pays, sous les auspices de prédicateurs apocalyptiques : étrangers en situation précaire, homme d’affaires bloqué sur place, courtiers en assurances affolés par les coûts prévisibles de la catastrophe, jeunes néo-nazis avides d’auto-défense et de bouc émissaire, ados livrées à elles-mêmes, personne âgée résignée à vivre ses derniers instants, policière confrontée à sa conscience après une bavure, couple en tension dont la femme est sur le point d’accoucher…
Points forts
- Le point le plus admirable, voire époustouflant, de ce film choral, entièrement maîtrisé dès sa conception par l’ensemble des dix réalisateurs qui y ont contribué, est sa parfaite harmonie : nous assistons bien à un long-métrage, chaque histoire s’imbriquant réellement et en totale osmose avec les autres sans qu’il soit possible de distinguer qui a tourné quoi. A l’image du pays, on pourrait évoquer un film “fédéral” !
- Plus fort encore : la trame de la catastrophe millénariste, tenue de bout en bout, sans effets spéciaux spectaculaires mais à l’aune d’une oppression toujours plus intense, cache un film hautement politique au sens le plus noble du terme (ce qui gère la cité, les hommes entre eux), jamais pesant ni démonstratif. Sans doute la conséquence de l’alternance soutenue de rythmes et d’un montage de haute volée, épicés de pointes d’ironie acérée, tant au détour des images qu’à travers les dialogues.
- La tempête surplombant la Suisse puis l’imprégnant de ses effets devient le concentré de toutes les agitations tant spatiales (magasins pillés, refuges servant à des meetings haineux, Assurances aux abois, etc) qu’humaines (peur, remords, prises de conscience…). Dès lors, nous suivons les protagonistes dans leurs réactions pour survivre, qui revenant à l’essentiel et à soi, qui jouant aux petits soldats, qui se dévouant aux autres.
- Si les deux scènes finales (les sœurs réconciliées se préparant à la résistance et le couple étranger passant “dans l’Union Européenne”) peuvent apparaître comme une double bouffée d’espérance, l’interdiction faite par Bruxelles aux Suisses de quitter leur pays résonne comme un terrible avertissement sur l’absurdité des temps. Et provoque un curieux mélange de jubilation autant que d’angoisse qu’amplifie la dernière image : celle d’un mur immense verrouillant la montagne.
Quelques réserves
- A l’instar de notre ami chroniqueur François Quenin suggérant que la demi-mesure avec laquelle est traitée l’existence des revenants dans le film Personal Shopperpuisse décevoir les cartésiens autant que les partisans de l’au-delà (CT du 07/12), les fans des films apocalyptiques violents et spectaculaires pourront tout autant être déçus ici...
- En revanche, les amateurs des scenarii proposant du sens (sans qu’à aucun moment ce fût prétentieux, moralisateur ou “prise de tête”) via des images et un récit dignes du grand écran y trouveront leur content à tous égards.
Encore un mot...
“Ces dernières années, beaucoup de choses ont changé en Suisse : l’infranchissable secret bancaire et les formules magiques des politiciens ne fonctionnent plus. (…) Nous souhaitions montrer les divers visages de notre pays en neuf récits qui se recoupent. Cette complexité laissait peut-être entrevoir ce qui nous reliait. Dès le départ, nous nous sommes mis d’accord pour nous associer à d’autres pour réaliser un vrai film collectif et pas un film à sketchs. Un récit cadre servait de fil rouge: une tempête s’annonce et avec elle l’effondrement imminent de la Suisse, la peur des Confédérés... L’anticipation offrait une parfaite métaphore de la situation actuelle.Wonderland (Heimatland) a certes un contenu politique mais il est avant tout un défi artistique et humain. Aucun d’entre nous n’appartenait à un parti ou un mouvement. Personne ne souhaitait céder au manichéisme ou aux tentations idéologiques”.Michael Krummenacher et Jan Gassmann, initiateurs du projet.
Amusons-nous à approfondir ce postulat : si la tempête était la désorganisation migratoire et le pays un continent tout entier appelé Europe ? Extrapolation ou message subliminal ? Allez voir ce film qui n’est déjà plus prémonitoire et vous pourrez vous faire votre réponse !
Une phrase
- Ce sont tous des Suisses ! (Livie à Silvan)
- Ce sont des salauds quand même ! (Silvan à Livie)
L'auteur
Wonderland étant une œuvre collective au sens fort, regroupant dix réalisateurs, nous avons choisi, en toute injustice assumée, d’en rester aux deux initiateurs du projet:
- Né en 1983, Jan Gassmann est originaire de Zurich, par ailleurs sa ville de résidence. En 2004, il entame des études de réalisation documentaire à la HFF de Munich. Chrigu, son premier long métrage, raconte comment Christian Ziörien, étudiant de 20 ans, aimé des siens et plein de projets, se retrouve à devoir affronter un cancer incurable. Présenté à la 57ème Berlinale, ce documentaire reçoit les Prix du Cinéma de Berne et de Zurich 2008 et le Prix Walo 2009 (les Oscars suisses).
Jan Gassmann enchaîne avec Off beat, un drame autour de l’homosexualité et du hip-hop, puis Karma Shadub, lauréat du Prix du Jury International au Festival de Nyon, portrait du réalisateur Ramon Giger en conflit avec son père violoniste, Paul.
- Né en 1985 à Schwyz (un des trois cantons fondateurs du pays), Michael Krummenacher participe en 2005 au Filmmaking Workshop de la Columbia University à New York. L’année suivante, il débute des études de réalisateur à la HFF de Munich.
En 2009, il signe son premier long métrage de fiction, Hinter diesen Bergen, l’histoire dramatique de deux amies œuvrant à leur émancipation, le temps d’un été dans les montagnes. En 2012, son court métrage Wenn alle da sind, récit d’amours adolescentes lors d’un voyage scolaire, est nommé au Deutscher Kurzfilmpreis.
En 2015 sort son premier long, Sibylle, drame sur la métamorphose d’une architecte (Sybille), épouse rangée et mère de deux enfants, après une escapade dans les montagnes.
Preuve de l’humour ou/et de la capacité de distanciation des Suisses, Wonderland a reçu en 2015, le prix du meilleur film au Festival de Bâle puis celui de l’Espoir à Zurich et enfin du Jeune Public au festival de Locarno. En 2016 il s’est vu gratifié des prix du meilleur film et du meilleur montage au Swiss Film Awards et du prix Max Ophüls de Saarbrucken.
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