Une Vie

Un très beau film et une grande actrice
De
Stéphane Brizé
d'après l'oeuvre de Guy de Maupassant
Avec
Judith Chemla, Jean-Pierre Daroussin, Yolande Moreau
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Adapté du premier roman de Guy de Maupassant, paru en 1883, « Une Vie » retrace le parcours catastrophique d’une jeune femme, dans la Normandie du XIXeme siècle…

Nous sommes en 1819. Après sa sortie du couvent où elle a fait ses études, Jeanne le Perthuis des Vauds, dix-sept ans, aussi sage qu’idéaliste, rejoint la propriété de ses parents. Sur les conseils de ces derniers, elle ne tarde pas à épouser Julien de Lamare. Mais contrairement à ce qu’elle espérait, cet époux se révèle pingre, brutal et volage. Les illusions de la jeune aristocrate s’envolent. Va commencer pour elle une vie de malheurs, à laquelle, elle n'aura ni la force ni le courage de se soustraire, clouée par un sens du devoir paralysant et une foi inébranlable dans, malgré tout, la bonté de la nature humaine.

Son existence se finira sur un champ de ruines…

Points forts

- Il a été « cap », comme disent les enfants !...  Après avoir, pendant neuf  films, planté sa caméra dans notre siècle pour en ausculter  les principaux maux ( la solitude, le chômage, le cancer, etc..), Stéphane Brizé  fait un saut dans le temps et le remonte,  pour aller explorer  les mœurs d’un autre siècle.  A ce challenge qui induit des changements dans son « comportement » cinématographique habituel (on n’éclaire pas pareilles une ville du XXIeme siècle et  une campagne normande  du XIX eme; on ne fait pas  non plus« parler » ses personnages de la même façon, etc…), il en a rajouté un autre : celui  de s’attaquer à un chef d’ œuvre de la littérature.  Saluons donc, d’abord, cette initiative…

- Et saluons-la  d’autant plus que, le moins qu’on puisse dire, est que le cinéaste a réussi son pari. Sur le plan de la transposition d’abord. Il serait étonnant que les admirateurs du livre de  Maupassant crient au scandale  tant le cinéaste a respecté le style (naturaliste)  du roman, ses  évènements principaux,  son atmosphère étouffante, et sa simplicité  narrative. Ici pas de scène spectaculaire, mais une caméra  attentive  qui scrute, avec élégance et discrétion, l’étiolement de l’héroïne au fil de ses désenchantements et de ses drames.  A travers elle,  son comportement et ses réactions, se dessinent, en contre-point, et comme dans le roman, les mœurs d’une époque qui ne laissaient, à la femme, pratiquement aucune marge de manœuvre. On sent que cette dimension du livre de Maupassant a touché la  fibre sociale de Stéphane Brizé.

- Le montage du film est  aussi une grande réussite. Parsemé de flash-backs, osant les ellipses, il offre pourtant,  on ne sait  pas trop par quel tour de passe- passe, une lecture linéaire de l’œuvre, très agréable pour le spectateur. Séduisante aussi, pour ce même spectateur,  la photographie du film. Les images sont d’une grande beauté.

- On garde pour la fin de ces points forts, l’interprétation de  Judith Chemla, tout simplement miraculeuse de justesse, de profondeur et de sincérité. La comédienne (qui triomphe en ce moment sur les planches dans « Traviata ») ne « joue »pas Jeanne. Elle « est »Jeanne, lui restitue son innocence, sa grâce, et son indomptabilité dans sa soumission à ses malheurs. Le talent de cette actrice, passée comme l’éclair à La Comédie française, est ahurissant.

Quelques réserves

- Stéphane Brizé laisse certaines scènes s’étirer trop en longueur, ce qui génère un début d’ennui.

- Le maniérisme de certaines autres séquences peut laisser le spectateur à distance.

Encore un mot...

Après neuf films, tous ancrés dans la société d’aujourd’hui , dont le dernier,«  La loi du marché », qui, dans une démonstration implacable, expliquait les ravages du libéralisme sur nos comportements,  Stéphane Brizé,  un des cinéaste dénonciateurs de nos réalités sociales,  a donc décidé  non seulement de changer de siècle , mais de nous offrir, sur toute  « Une Vie », le  portrait d’une  femme  qu’on va voir  se faner, et pas seulement à cause  du temps qui passe. C’est l’occasion pour ce réalisateur de nous faire la démonstration, une fois de plus, qu’il compte parmi les plus doués de sa génération. Cadrages, lumière, narration, montage, tout, à quelques détails près, est presque parfait . 

Stéphane Brizé  profite aussi de ce dernier opus  pour mettre en pleine lumière  une immense actrice, restée jusque là trop dans l’ombre, la gracile Judith Chemla. 

Et comme il reste aussi un homme de conviction, il nous rappelle à quel point les mœurs, qu’elles soient d’hier ou d'aujourd’hui, peuvent  maintenir les femmes sous le boisseau.

Une phrase

« La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit ». ( Guy de Maupassant)

L'auteur

Contrairement à certains de ses confrères réalisateurs, Stéphane Brizé, né le 18 octobre 1966 à Rennes, n’est pas tombé tout petit dans la marmite du cinéma, puisqu’il vient d’un milieu où la culture se résume à « une poignée de romans dans la bibliothèque familiale ».

Il commence par faire un DUT d’électronique. C’est un stage de fin d’études à France 3  qui l’amène à découvrir l’audiovisuel. Il en devient technicien, mais suit parallèlement des cours de théâtre, qui le pousseront à la mise en scène.

 Au début des années 90, il se lance dans le cinéma. En 1999, après plusieurs courts-métrages, il réalise son premier long, «  Le Bleu des villes ».En 2005, son « Je ne suis pas là pour être aimé » lui vaut de faire chavirer public et critique et d’entrer dans la cour des réalisateurs qui « comptent ». Suivent trois films, jusqu’à « La loi du marché », qui, en 2015, vaut à Vincent Lindon  de recevoir, à Cannes, le prix d’interprétation masculine.

Après cette  bouleversante chronique sociale qui met en scène un chômeur  pas tout à fait prêt à tout accepter pour  s’en sortir, le cinéaste revient  avec « Une Vie », tiré de l’un des chefs d’œuvre de Guy de Maupassant. Une volte-face cinématographique ? Pas tout à fait.

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