Un beau soleil intérieur

Un film très beau, une très bonne Binoche, et un très grand Depardieu
De
Claire Denis
Avec
Juliette Binoche, Xavier Beauvois, Philippe Katerine, Gérard Depardieu, Nicolas Duvauchelle, Valeria Bruni Tedeschi
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Artiste peintre, divorcée, un enfant, Isabelle (Juliette Binoche), splendide, au seuil de la cinquantaine, sent la vie lui couler entre les doigts. Elle n’a  plus qu’une obsession : trouver l’amour, l’amour absolu, celui qu’on écrit avec un A majuscule. 

Bien qu’un peu paumée et dépressive, elle n’hésite donc pas à aller se heurter aux hommes qu’elle rencontre, avec une sorte de témérité à la fois naïve et désespérée. 

Hélas, les représentants de la gent masculine auxquels elle se donne, forcément tous terriblement humains et donc tous imparfaits et faillibles, la laissent à chaque fois plus meurtrie et plus découragée...

Points forts

- L’originalité du scénario. Initialement ce film devait être une adaptation des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Face au refus des ayants droits, Claire Denis, qui entretemps a rencontré Christine Angot, décide de s’associer à la romancière pour écrire un film qui s’inspirerait de leurs  propres échecs amoureux. Au final, leur scénario relate l’histoire d’une femme papillon qui vient se brûler les ailes au feu de ses rencontres et désirs successifs. 

Au centre du film, donc, une héroïne, solaire, craquante, dans la plénitude de sa beauté, et autour, des hommes satellites, très différents, avec lesquels elle va enchaîner des expériences amoureuses. Il y aura, entre autres un banquier goujat, un dragueur maladroit, un voisin très « perché », un acteur submergé par le doute, un galeriste méprisant, etc… Selon leur personnalité, le regard de Claire Denis sur eux se fera tour à tour tendre, narquois, amusé, interrogateur…

- La drôlerie vacharde des dialogues. Parce que l’écrivaine manie souvent, dans ses livres, la redite, la redondance, la platitude, et parfois même, la provocation inutile, on craignait un peu le pire avec Christine Angot aux manettes des répliques. Or la plupart du temps, ici, on les savoure; cela, parce que si la romancière portraiture des hommes d’aujourd’hui dans leur triste banalité et leurs vilains petits et gros défauts, elle le fait avec une vacherie incisive, mais pour une fois, sans esprit revanchard. Dans le ton, ça change tout. A entendre, c’est même assez jubilatoire.

- La  performance de  Juliette Binoche. La comédienne a rarement été aussi belle, aussi lumineuse, aussi attirante, aussi désarmante et aussi craquante. Et quelle palette de jeu ! La gaité de Juliette, le désespoir de Juliette, ses engouements, ses pulsions, ses dégoûts, ses colères, ses rejets, ses révoltes et ses dépressions… Et tous ces sentiments et émotions, ensemble ou séparément, qui s’expriment à fleur de peau. La comédienne est magnifique à regarder, à écouter, magnifiée encore par la caméra admirative de Claire Denis.

- Le brio de la distribution masculine. De Xavier Beauvois à Laurent Grevill, en passant par Philippe Katerine, Bruno Podalydes et Nicolas Duvauchelle, tous les comédiens du film sont sensationnels. 

Et puis aussi, inattendu, dans le rôle d’un radiesthésiste qu’en fin de film, l’héroïne, au bout de sa désespérance, vient consulter, Gérard Depardieu. Dans la partition que lui a écrite Angot, et qui est celle d’un homme chargé de rassurer sa cliente sur son devenir amoureux, le comédien est prodigieux. Phrasé parfait, infinie douceur de ton, présence réconfortante plutôt qu’imposante… Depardieu est ailleurs… Depardieu est au dessus… Sa prestation est d’anthologie. 

Quelques réserves

On entend déjà les soupirs et énervements de ceux que le style Christine Angot irrite et insupporte. On est obligé d’avouer que même si la romancière sort la plupart du temps ici, de sa « manière » d’écrire  habituelle, elle ne peut s’empêcher d’y revenir à plusieurs moments, ce qui colore certains de ses dialogues, de platitude et de verbiage.

Encore un mot...

Sauf à déclencher une allergie immédiate au seul énoncé du nom de Christine Angot, on peut vraiment recommander ce « Si beau soleil intérieur ». 

D’abord parce qu’inspirée du vécu de sa réalisatrice et de sa dialoguiste, cette comédie sentimentale parle bien de la désillusion amoureuse, sans chichi philosophique, au ras de la vie quotidienne, et dans une construction assez inhabituelle au cinéma (un héros central confronté successivement à des personnages subalternes). 

Ensuite parce qu’elle offre à Juliette Binoche un des meilleurs rôles de sa resplendissante maturité. 

Et puis, et puis,  parce qu’en épilogue de cette jolie et si singulière variation sur la recherche du bonheur, il y a Gérard Depardieu, d’une puissance émotionnelle ahurissante. Ce comédien hors gabarit apporte ici la confirmation indéniable qu’il est le plus grand acteur français de sa génération.

Une phrase

« Le personnage d’Isabelle sait que si elle veut aller vers de vraies amours, elle en pleurera. J’en ai marre que les personnages de cinéma soient si invariablement héroïques ». (Claire Denis, réalisatrice)

L'auteur

Bien que née à Paris le 21 avril 1948 (ou 1946, selon les sources), Claire Denis, fille d’un administrateur colonial, a passé  toute son enfance sur le continent africain.

Atteinte à 12 ans de poliomyélite, elle rentre en France pour se faire soigner, découvre le cinéma, fait des études de lettres, retourne dans cette Afrique qui lui manque, travaille à Télé Niger, puis revient à Paris où, en 1969, elle passe le concours d’entrée de l’IDHEC.

A sa sortie, elle devient assistante réalisatrice. Elle seconde notamment Robert Enrico, Jacques Rivette, Wim Wenders, Jim Jarmusch.

En 1988, elle se lance dans la réalisation avec Chocolat. Très autobiographique, ce film est sélectionné pour la compétition officielle du Festival de Cannes. Suivront plus d’une dizaine de longs métrages, dont  S’en fout la mort (1990), J’ai pas sommeil (1994), Beau travail (1999), 35 rhums (2009), et aussi quelques documentaires dont No man run sur des musiciens camerounais ( 1989).

Un beau soleil intérieur, qui fut sélectionné au dernier festival de Cannes dans la section Quinzaine des réalisateurs,  est le treizième film de cette réalisatrice  qui a fait de l’état amoureux son sujet de prédilection.

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