UN AUTRE MONDE
Infos & réservation
Thème
Patron d’un site industriel français fabriquant des pièces détachées pour une entreprise américaine d’électroménager, Philippe Lemesle (Vincent Lindon) traverse une mauvaise passe. Non seulement sa femme (Sandrine Kiberlain) lui annonce qu’elle le quitte, mais la direction de la société, dont il est un des cadres supérieurs, exige qu’il mette en place un plan social pour préserver la rentabilité, non pas de l’entreprise, qui est florissante, mais celle de ses actionnaires. Son usine fonctionnant déjà depuis plusieurs années avec un effectif minimal, Pierre ne voit pas comment il va pouvoir procéder à de nouveaux licenciements.
Un bras de fer s’engage avec la représentante de sa Direction (Marie Drücker). Pierre tente d’argumenter en faveur de son personnel, mais il comprend vite qu'il ne va pas gagner la partie. Pris en tenaille entre son job, qu’il va sans doute perdre si, pour des considérations sociales, il n’obéit pas aux injonctions de sa direction ; sa femme qui s’en va, n’en pouvant plus de trop l’attendre, et les problèmes déchirants que lui pose son fils autiste (Anthony Bajon), Pierre perd ce bel équilibre qui avait fait de lui un cadre performant.
Points forts
- Le sujet. Après avoir dénoncé dans ses deux films précédents les dommages causés parfois aux petits salariés par le capitalisme sauvage, Stéphane Brizé continue de critiquer les aspects négatifs de ce système. Mais cette fois, en s’attaquant aux dommages que ce système produit sur les dirigeants intermédiaires. « De nombreux cadres nous ont raconté, à Olivier Gorce, mon co-scénariste, et à moi-même, comment il leur devient impossible d’appliquer vers le bas des injonctions venues d’en haut, comment ils parviennent de moins en moins à trouver un sens à leur vie, car on ne leur demande plus de réfléchir, mais d’exécuter » explique-t-il.
Le cinéaste s’est donc dit que le moment était venu de rendre compte de cette situation souvent mise sous le boisseau, et de donner la parole à ceux qui, bien que souvent considérés comme étant le bras armé des entreprises, sont en fait devenus de simples exécutants pris entre le marteau et l’enclume. Pour nourrir son scénario, le rendre indiscutable dans son contenu et imparable dans sa démonstration, il s’est appuyé sur une multitude de témoignages de cadres brisés par l’ultra-libéralisme. Ce socle de vécu lui a permis d’échapper au manichéisme bêta qui oppose souvent méchants cadres et gentils ouvriers.
- La mise en scène. Pour ce film, Stéphane Brizé a multiplié les gros plans et les axes de prises de vues. La méthode se révèle être d’une efficacité redoutable. En donnant à faire ressentir visuellement l’étouffement de Philippe Lemesle, sa suffocation et sa sensation d’être pris dans un étau, le cinéaste donne «physiquement » à comprendre l’inhumanité d’un système qui broie sans état d’âme les individus.
- La distribution. Elle est plus que parfaite. A commencer par Vincent Lindon, stupéfiant de pugnacité et de douleur rentrée dans le rôle de Philippe Lemesle. C’est la cinquième collaboration du comédien avec Stéphane Brizé — il fut notamment Prix d’interprétation au Festival de Cannes 2015, puis César du meilleur acteur en 2016 pour La Loi du Marché — et à chaque nouveau rôle, il monte encore d’un cran en intensité, avec une économie de moyens et une intériorité qui laissent pantois.
Dans le rôle de son épouse découragée par ses absences dues à une gestion accaparante de son travail, Sandrine Kiberlain est formidable elle aussi, qui dit tout de son chagrin et de son désarroi dans un silence d’une admirable dignité.
Dans la façon délicate qu’il a de faire ressentir les fêlures de son personnage d’autiste, Anthony Bajon confirme qu’il est un des plus grands interprètes de sa génération. Mais la vraie surprise de cette distribution vient de Marie Drucker, qui sans une fausse note, donne à comprendre, à elle seule, le cynisme du système capitaliste. Une performance de la part d’une journaliste débutante dans le métier d’actrice.
Quelques réserves
Le flirt de ce film si puissant et si radical avec le mélo. Pourquoi, en plus d’un mari bientôt quitté, avoir fait de Philippe Lemesle le père d’un fils autiste ? C’était charger un peu trop la barque de ses emmerdements privés, comme si Stéphane Brizé et son co-scénariste Olivier Force n’avaient pas trouvé suffisante la force destructrice de sa remise en cause par la Société qui l’emploie.
Encore un mot...
Après, La Loi du marché, en 2015, qui faisait le portrait d’un chômeur devenu vigile, et en 2018, En guerre, sur un syndicaliste prêt à tout pour empêcher la fermeture de son usine pourtant bénéficiaire, Stéphane Brizé poursuit sa radiographie du monde du travail, mais cette fois en se plaçant du côté de ses cadres, ce qui est très rare dans les films destinés au grand écran.
Dans cet Autre monde, qui est son neuvième film, on retrouve tout ce qui fait la force et la singularité de ce cinéaste : un scénario béton, bâti sur une documentation solide, avec ici, un apport plus important de la psychologie et de la fiction; une mise en scène sans afféterie, des dialogues, sans gras, d’une efficacité redoutable ; une émotion créée par une situation humaine aussi inextricable que intenable et une distribution qui mêle comédiens chevronnés ( Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Anthony Bajon) et acteurs non professionnels ou débutants (Marie Drucker). Un film coup de poing, poignant, glaçant, et dont on sort sonné.
Une phrase
« Ce qui m’intéresse, ce sont les femmes et les hommes et les conséquences dans leur vie personnelle de leurs choix professionnels. Ici, dans ce film, des individus — des cadres — doivent prendre des décisions qui mettent inévitablement des gens en souffrance. Il leur est demandé d’abandonner petit à petit une part de leur humanité. Et on ne tire pas impunément sur ce fil sans prendre le risque qu’il ne se rompe. » (Stéphane Brizé, réalisateur).
L'auteur
Né le 18 octobre 1966 à Rennes dans un milieu modeste, Stéphane Brizé passe un DUT d’électronique avant de s’orienter vers l’audiovisuel. Il devient d’abord technicien à la télévision, tout en suivant parallèlement des cours d’art dramatique.
Après avoir mis en scène plusieurs pièces de théâtre, il se tourne vers le cinéma. En 1993, il réalise son premier court métrage, Bleu dommage, puis, en 1996 un moyen, L’œil qui traine. C’est en 1999 qu’il aborde le long avec Le Bleu des villes. Suit, en 2005, Je ne suis pas là pour être aimé avec Patrick Chesnais. Peu de temps après, le cinéaste fait une rencontre déterminante, celle du comédien Vincent Lindon. Les deux hommes font la paire. Le comédien tourne les trois films suivants du réalisateur : Mademoiselle Chambon en 2009, Quelques heures de printemps en 2012 et, en 2015, La Loi du marché, qui vaut à Vincent Lindon de remporter le Prix d’Interprétation masculine au Festival de Cannes.
Après la parenthèse d’Une Vie, en 2016, adapté du roman de Maupassant et qui met en haut de son affiche Jean-Pierre Darroussin, Stéphane Brizé retrouve son acteur fétiche en 2018 pour En guerre. Sélectionné pour la compétition du Festival de Cannes et malgré un succès unanime auprès du public le soir de la projection, ce film n'apparaîtra pas au palmarès, ce qui ne l’empêchera pas de faire un joli score au box-office.
Après avoir reçu un formidable accueil au dernier Festival de Venise, Un autre monde sort sur les écrans français sous les dithyrambes pratiquement unanimes de la presse française.
Et aussi
- LA VRAIE FAMILLE de FABIEN GORGEART - Avec MÉLANIE THIERRY, LYES SALEM, FÉLIX MOATI…
Parce que son papa, Eddy, devenu veuf (Félix Moati) avait alors trop de difficultés pour s’occuper seul de lui, Simon avait été placé chez Anna (Mélanie Thierry), mariée avec Driss et maman de deux enfants. Il avait alors 1 an et demi. Quand le film commence, Simon en a six, et il est parfaitement heureux dans cette famille aussi aimante que joyeuse et unie. Au fil des ans, le petit garçon est même devenu le « chouchou » d’Anna, ce qu’acceptent, avec une belle générosité, les deux enfants biologiques de cette dernière. Ce joli bonheur familial va pourtant prendre fin lorsque Anna apprend qu’Eddy veut récupérer son fils. En « mère courage » exemplaire, Anna, malgré sa peine abyssale, va tout faire pour que le départ de Simon se passe le plus en douceur possible, non seulement pour lui, mais aussi pour les siens, déchirés par ce départ que tous devinent sans retour…
Depuis sa première projection en août dernier au dernier Festival d’Angoulême, d’où il est reparti avec le Prix du Jury et celui de la meilleure actrice pour Mélanie Thierry (extraordinaire de vérité dans le rôle d’Anna), La Vraie famille — inspiré à son réalisateur Fabien Gorgeart par sa propre histoire d’enfant de parents accueillant chez eux des enfants en détresse — n’a plus cessé d’être récompensé dans tous les festivals où il a été présenté. Cette pluie de récompenses n’a rien d’étonnant, car ce film est d’une subtilité et d’une humanité rares, réussissant cet exploit, avec un sujet aussi délicat, à ne jamais tomber dans le tire-larmes, à être, au contraire, d’un bout à l’autre, d’une « solarité » qui laisse pantois. Intense et magnifique.
Recommandation : 4 coeurs
- WILD MEN de THOMAS DANESKOV- Avec RASMUS BJERG, ZAKI YOUSSEF…
En route pour un séminaire, Martin, un quadra père de famille jusque-là sans histoire, a tout quitté pour aller vivre dans une forêt norvégienne comme nos ancêtres de l’âge de pierre il y a des milliers d’années. Depuis, vêtu de peaux de bêtes, dormant sous une tente de fortune, il se balade armé d’un arc et d’une hache pour tuer les animaux dont il se nourrit désormais. Un jour, sa route croise celle d’un fugitif blessé. Martin ne le sait pas, mais il s’agit d’un dealer recherché à la fois par les autorités et par ses anciens complices qu’il a volés. Commence alors pour ce drôle de tandem une aventure mouvementée qui va les mener à la rencontre de policiers désœuvrés, d’un lapin épris de liberté, de truands éclopés et de vikings de pacotille…
Quel drôle de film que celui-là — le deuxième du jeune cinéaste danois Thomas Daneskov — qui, en interrogeant, dans un même scénario, la masculinité et l’utopie d’un retour strict à la nature, en profite pour combiner comédie et thriller. Quelque part entre un Fargo qui se serait déroulé dans un pays Nordique et un Revenant qui aurait perdu de sa violence et gagné en drôlerie, Wild Men surprend autant qu’il amuse et incite à nous poser des questions. Très bien réalisé, remarquablement interprété (Rasmus Bjerg,notamment, impressionnant dans le rôle de Martin), voilà le film le plus singulier, le plus « culotté » et le plus « grisant » de la semaine.
Recommandation : 3 coeurs
- PICCOLO CORPO de LAURA SAMANI - Avec CELESTE CESCUTTI, ONDINA QUADRI…
Dans l’Italie de 1900, Agata perd sa fille à la naissance et elle ne peut se résoudre à l’idée que l’âme de cette dernière soit condamnée à errer éternellement, sans nom, dans cet au-delà indéfini, ni enfer, ni paradis, qu’on appelle les limbes. La jeune femme apprend alors que dans la montagne, il existerait un sanctuaire où son bébé pourrait être ramené à la vie, juste le temps d’un souffle, ce qui lui permettrait d’être baptisé, de monter au ciel et de devenir un enfant de Dieu. En route pour ce lieu, chargée d’un petit coffre de bois qui contient le corps de sa petite défunte, Agata rencontre Lynx, un être solitaire, dont, malgré ses vêtements masculins, on ne parvient pas à déterminer d’emblée s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. Qu’importe ! Ces deux êtres souffrants vont faire un bout de chemin ensemble. Un voyage à la fois physique, spirituel et métaphysique, qui les conduira, l’un comme l’autre, vers une sorte de rédemption pouvant leur faire espérer des jours meilleurs…
Pour son premier long métrage, la jeune cinéaste triestine Laura Samani propose une œuvre entre drame, conte initiatique et film d’aventures. Une œuvre d’une grande force émotionnelle et d’une beauté renversante, sublimée par une musique minimaliste signée de la grande Fredrika Stahl. Sélectionné à la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes, Piccolo corpo est parfois un peu trop énigmatique, mais il est indéniablement envoûtant.
Recommandation : 3 coeurs
- KING de DAVID MOREAU- Avec GÉRARD DARMON, LOU LAMBRECHT, LÉO LORLÉAC'H…
King, un lionceau destiné à un trafic, s’échappe de l’aéroport et se réfugie dans la maison d’Inès,12 ans et d’Alex, son frère, de trois ans son aîné. Comprenant qu’ils ne pourront pas le garder, le frère et la sœur imaginent alors de ramener le bébé fauve dans son Afrique natale. Mais en raison de la traque des douaniers, leur projet s’annonce bien difficile. Tout s’arrange lorsque Max, leur grand-père fantasque qu’ils n’ont vu que deux fois dans leur vie (Gérard Darmon) se joint à l’aventure. Prêts à surmonter tous les dangers, les voilà embarqués dans des péripéties très divertissantes.
Jamais deux sans trois ! Après le film d’horreur The Eye et la comédie romantique 20 ans d’écart, David Moreau change de nouveau de registre et s’essaye au film d’aventures. Et encore une fois avec bonheur, car il est difficile de résister au charme de ce road-movie qui, bien qu’un petit peu trop attendu, mêle, bon train, rebondissements et émotion. La distribution, en tête de laquelle Lou Lambrecht (Inès) et Léo Lorléac’h (Alex), est épatante et le propos, espiègle. Que les amis des bêtes se rassurent : si les gros plans de King ont été tournés avec un vrai lionceau (emmené en Afrique, dès la fin du tournage, dans une réserve protégée où depuis, il vit en liberté), tous les autres ont été tournés avec un lionceau réalisé en images de synthèse. Pour les enfants, à partir de 8 ans.
Recommandation : 4 coeurs
Ajouter un commentaire