Polina
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Thème
Dans la Russie des années 90, portée par la rigueur et l’exigence de son professeur, Polina (Anastasia Shevtsova), petite ballerine à la volonté de fer, ne travaille que pour une seule chose : entrer au prestigieux ballet du Bolchoï pour y devenir étoile.
Adolescente, elle assiste un jour à un spectacle de danse contemporaine qui bouleverse ses certitudes, et lui fait comprendre que le vocabulaire classique, au lieu de les épanouir, peut rigidifier les corps et les esprits. Complètement chamboulée, la jeune danseuse s’enfuit en France et rejoint Aix-en-Provence pour étudier avec Liria Elsaj (Juliette Binoche), une chorégraphe dont elle espère qu’elle lui fera trouver sa vraie voie. L’amour, le désamour, l’errance, les désillusions aussi, parsèmeront son chemin…
Points forts
- Adapté donc de l’album de Bastien Vives qui avait été récompensé par trois grands prix, dont celui des libraires de bande dessinée, ce « Polina » a pour premier mérite de faire, sans avoir l’air d’y toucher, l’apologie de valeurs qui semblent aujourd’hui bien démodées, à savoir l’obstination et l’endurance. Il le fait en retraçant le parcours d’une danseuse, ce qui tombe bien pour l’œil du spectateur, qui se régale ! Regarder travailler cette jeune fille, même quand elle recommence inlassablement les mêmes gestes, est visuellement assez magique.
Autre point fort : si on peut voir dans ce film un plaidoyer en faveur de la ténacité, on peut aussi le regarder comme un éloge de l’émancipation et de la liberté. Tout nous pousse à admirer le cran de la jeune ballerine qui quitte cocon familial, pays natal et carrière toute tracée, pour suivre un instinct qui lui dit que son épanouissement personnel est ailleurs. Et tant pis pour les risques !
- La personnalité de l’héroïne. Enfin à l’écran, une danseuse classique qui est une fille « normale », c’est à dire qui mange (pas beaucoup, c’est vrai, mais quand même !), aime, rit, se dispute et se pose des questions, comme n’importe quelle fille de son âge ! Et non, comme on en voit trop souvent dans les films sur la danse, une éthérée anorexique, envieuse, et coupée du monde !
- Les interprètes qui sont, tous, pour beaucoup, dans le plaisir qu’on retire de ce film. A commencer par la jeune Anastasia Shevtsova, qui est « Polina ». Cette artiste de 21 ans, formée dès la petite enfance à la danse, au piano, au violon et à la peinture, et qui vient d’intégrer la troupe du théâtre Mariinsky de Saint Péterbourg, habite magnifiquement son rôle. C’est la première apparition au cinéma de cette jeune artiste, mais sa présence, si expressive, tient formidablement le coup face à celle d’acteurs plus confirmés, comme celle de Niels Schneider. Juliette Binoche apporte pour sa part, son énergie et sa belle humanité à son personnage de professeur de danse. Quant à l’étoile de l’Opéra de Paris, Jérémie Belingard, il est, comme lorsqu’il se produit sur scène, époustouflant !
- Le filmage en lui même. Anjelin Preljocaj dit qu’il a choisi de tourner en scope pour pouvoir garder, à l’image, deux bras ouverts à l’horizontal. Il a eu raison. Sur le plan formel, « Polina » ,qui nous permet de suivre les corps et les mouvements à la fois au plus près et au plus large, est une réussite.
Quelques réserves
- Les fans de la BD regretteront sans doute que ce « Polina », filmé de façon réaliste, ne reflète pas la splendeur graphique de son album originel.
- A environ ses deux tiers, le film insiste trop sur les « errances » et les rencontres, peu recommandables, de Polina . Il en perd de sa force et de son intérêt.
Encore un mot...
- Quel beau film sur l’apprentissage de la vie et d’un métier, parmi les plus exigeants qui soient ! Quel beau film, aussi, sur la danse, les danses , devrait-on plus précisément écrire, car « Polina » nous fait pénétrer aussi bien dans l’univers du classique que dans celui du contemporain. L’héroïne choisit le second, mais c’est pour une question de goût personnel. Il n’y a dans « Polina » aucun dénigrement du classique. On comprend au contraire que c’est à partir de ce classique, qui semble si figé, si codifié, que d’autres vocabulaires ont pu se développer. Ajouter, pour les fans de Preljocaj, qu’on retrouve dans ce film, ce pourquoi, ils le vénèrent : son sens du mouvement, son inventivité, son humanisme, sa sensualité, son humour et… son pragmatisme .
- « Polina » se perd, à certains moments, dans des méandres inutiles; frôle, à d’autres, les poncifs (les pas d’une jeune fille perdue dans une ville ne la mènent pas obligatoirement à la porte de voyous...). Ce sont des péchés véniels pour une œuvre ambitieuse, qu’on regardera avec plaisir et intérêt, à condition, bien sur, d’aimer la danse.
Une phrase
« Depuis que j’ai commencé à danser, j’ai vu des tas de danseurs. Certains étaient très doués, d’autres moins. Et il s’avère que ce ne sont pas toujours les plus doués qui font carrière. Certains sont fulgurants, puis s’éteignent d’un coup, qu’ils soient danseurs ou chorégraphes. C’est une forme de longévité…qui fait la force de certains artistes. Quand la BD est sortie, j’ai trouvé très juste ce propos ». Angelin Preljocaj
L'auteur
L’une (Valérie Müller) s’est essentiellement illustrée dans la réalisation et la production; l’autre (Anjelin Preljocaj), comme interprète et chorégraphe, dans l’univers de la danse. Mariés à la ville, ils ont conjugué leurs talents pour réaliser ce « Polina », dont elle, Valérie Müller, a également écrit le scénario.
Avant de cosigner ce film, Valérie Müller, qui a suivi des études d’Histoire de l’Art et de Cinéma, a réalisé de nombreux documentaires (dont un, en 1999, sur celui qui allait devenir son mari), et aussi des courts métrages, parmi lesquels, en 1998, « La Surface de Réparation », avec Marion Cotillard et, en 2007, « Les hommes s’en souviendront », avec Marina Foïs. C’est en 2013 qu’elle s’attelle, pour la première fois, au long métrage, avec « Le Monde de Fred », co-écrit avec Olivier Soler.
« Polina », inspiré du roman graphique éponyme de Bastien Vives, est donc son deuxième long. Elle en partage ici la création avec son époux, Angelin Preljocaj. Né en France de parents albanais, ce dernier, qui dirige le Centre chorégraphique d’Aix-en-Provence, est l’un des créateurs phares français. On lui doit 49 pièces (du solo aux grandes formes), dont beaucoup sont entrées au répertoire de prestigieuses compagnies, telles que la Scala de Milan le New York City Ballet ou encore l’Opéra de Paris. « Polina » n’est pas la première incursion de cet artiste talentueux dans le cinéma. Outre des courts métrages, on lui doit notamment « Blanche neige », en 2011, et plusieurs réalisations mettant en scène ses chorégraphies.
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