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Thème
Il s’appelle donc Paterson et il vit à Paterson, New Jersey, la cité du poète américain William Carlos Williams (1883-1963), qui a construit, autour de sa ville natale et de la rivière Passaic qui la traverse, un long poème, « Paterson », sur l’histoire et le paysage de cette cité ouvrière (merci Wikipedia…). Et Paterson est justement un poète. Tous les jours, sur son carnet, il écrit des textes courts sur n’importe quoi, une boîte d’allumettes, le pont qui traverse la ville, une petite fille qui revient de l’école. Et surtout sur sa belle compagne, Laura, qui partage sa vie de chauffeur de bus.
Et bien oui, si la poésie nourrissait son homme, ça se saurait. Dans la journée, Laura invente des dessins insensés sur des tissus dont elle décore outrageusement l’appartement. Quand il entre le soir, Paterson ne manque pas de la féliciter. Le film nous fait ainsi partager une semaine de sa vie, une semaine paisible à l’image de ce film où personne ne tue, personne ne meurt, personne ne pleure; ça repose.
Points forts
« Paterson », le film, est une ode à la poésie. Un film sur la poésie ? N’est-ce pas terriblement ennuyeux ? Et bien non. Il suffit de se laisser guider par le personnage principal dont l’existence est réglée comme un métronome. Petit déjeuner avant celui de sa compagne qui dort encore. Trajet à pied à travers la ville pour aller chercher le bus au dépôt. Il observe les gens et la vie autour de lui qu’il couchera dans son cahier à l’heure de la pause déjeuner. Retour à la maison en fin d’après midi. Paterson emmène alors le chien Marvin pour aller boire un dernier verre de bière au pub du coin. Puis il rentre et parfois sa compagne s’est endormie. Au matin, il se réveille vers 6 h 30. Une nouvelle journée commence, la même que la veille.
Il y a dans ce film un moment de grâce qui se répète huit fois du lundi au lundi suivant quand le jeune couple se réveille le matin dans les bras l’un de l’autre. Miracle de l’amour capté avec gourmandise et pudeur, une grande pudeur qui nous lave des scènes cinématographiques s’échappant parfois vers le pornographique. On ne les voit jamais « faire » l’amour - bizarre expression… Aucune violence non plus. Un film sans coucheries ni violences, ça existe ? Oui, « Paterson ».
Connaissez-vous William Gordon Williams ? Moi non plus. C’est paraît-il un grand poète né à Paterson, on l’a dit. Notre Paterson l’admire. On vient de loin en pèlerinage dans sa ville, comme ce Japonais policé que rencontre le chauffeur de bus à la fin du film, une rencontre comme dans un jardin japonais, toute en finesse, humour et arabesques.
Quelques réserves
Si l’on aime les mots, l’humour pince sans rire, la vie quotidienne sans relief et sans tragédie, alors on verra que ce film ne recèle aucune faiblesse. Mais ce même film est déconseillé à ceux qui préfèrent les courses poursuites ou ceux qui mènent leur vie à cent à l’heure avec la crise cardiaque au bout du chemin.
Encore un mot...
Comment peut-on être poète et chauffeur de bus ? Et pourquoi non ? Notre poète national Paul Valéry occupa longtemps un emploi d’administrateur, il écrivait tôt le matin, puis, « ayant consacré quelques heures à la vie de l’esprit, je me sens le droit, disait-il, d’être bête le reste de la journée ». Le philosophe Emmanuel Kant n’a jamais quitté sa ville natale, Königsberg, où il est enterré. Ces deux grands hommes d’esprit ont vécu comme Paterson qui enchante sa vie simple en jouant avec les mots.
« La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles est une œuvre de choix qui veut beaucoup d’amour », chantait Verlaine, un poète qui a réussi…
L'auteur
Jim Jarmusch est entré brillamment dans une carrière de cinéaste marginal et adulé des cinéphiles avec « Stranger than paradise », Caméra d’or en 1984 au Festival de Cannes. S’en sont suivis des films inspirés à l’intrigue mystérieuse et parfois hermétique, « Down by law » (1986), « Mistery train » (1989), « Night on earth » (1991), « Dead Man » (1995), jusqu’à ce film magnifique et pas hermétique du tout, « Broken flowers », grand prix du Festival de Cannes 2005, dans lequel un homme vieillissant – Jim Jarmusch himself ? – rend visite à ses compagnes d’autrefois, prenant prétexte de la recherche d’un fils qu’il aurait eu avec l’une d’elles. Mais laquelle entre Sharon Stone, Jessica Lange, Julie Delpy, Chloë Sevigny, Tilda Swinton ? …excusez du peu. Notre homme, joué par Bill Murray, est donc un grand amoureux. Comme Paterson, le héros de son nouveau film, interprété par Adam Driver, qui, lui, se contente d’une seule femme, mais quelle femme ! La belle actrice iranienne Golshifteh Farahani, qui a fait un bras d’honneur aux barbus traditionnalistes de son pays pour embrasser les cinémas du monde. Depuis, elle tourne autant en Europe qu’à Hollywood.
Commentaires
On a connu Jim Jarmush plus convaincant par exemple dans Dead Man (1995) avec la bande son de Neil Young déchirante et crépusculaire ou Dans Only Lovers Left Alive (2013) qui recyclait un romantisme rock dans des cités post industrielles quasiment néo gothiques. Ce Jim Jarmush là avait de la démesure. Son style, de l'expression. Sa poésie, du suc et de la consistance. Ici le minimalisme est tellement outré que ça en devient presque impossible. La "poésie" qu'il nous est donné de "gouter" dans un tempo lent et répétitif n'a vraiment rien d'exaltant ni de roboratif ; c'est une poésie frappée d'anorexie que sauve (un peu) la délicate et primesautière fiancée qui manie l'incongru avec beaucoup d'élégance.
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