Moi, Daniel Blake
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Thème
Suite à un accident cardiaque, Daniel Blake, charpentier menuisier sexagénaire, découvre Pole emploi et ses rouages ubuesques, surtout depuis l’irruption du numérique. Il y rencontre aussi une jeune femme, mère de deux enfants. Fort de cette relation et de l’amitié de ses deux jeunes voisins, China et Piper, qui vivent de petits trafics, Daniel Blake voit désormais sa vie balloter entre rendez-vous pour retrouver du travail, solidarité avec ses amis et combats inégaux contre les enfers administratifs de tous ordres pour conserver sa dignité d’homme.
Points forts
- L’absolue justesse du regard qu’il pose sur les ravages du numérique au détriment des personnes peu rompues aux arcanes de l’informatique, souvent les plus âgées et les plus fragilisées par le chômage. Sauf à appartenir aux geeks, chacun s’y reconnaîtra. Il est vrai, il fut aussi un temps où, quand on allait déposer une plainte pour vol de papiers, on nous demandait notre carte d’identité !
- Tout aussi parlante à tous, la dénonciation d’une institution censée aider à se réinsérer et mue en une machine autiste, jargonnante, humiliante, faisant porter la responsabilité de la misère sur ceux qui en sont les victimes. Qui n’a jamais craqué devant les messages d’attente téléphoniques interminables ? Contesté les manipulations visant à rendre satisfaisants les chiffres sur l’emploi ? Jamais entendu parler des étudiant(e)s se prostituant pour financer leur logement voire leurs cours ou ne se soignant pas faute d’emploi ?
- Tout cela se trouve dans ce film profondément humain, bouleversant de par sa simplicité même et parfaitement ancré dans son époque, ce qui n’est pas le moindre mérite de la part d’un octogénaire !
Quelques réserves
- Comme il a été écrit plus haut, on aime ou on déteste ce cinéma social qui ne cache pas vers où vont ses sympathies. Les comptenteurs de Loach ne changeront donc pas d’avis.
- Pour les mêmes raisons, on pourra regretter une histoire, des sentiments et des personnages frôlant parfois le simplisme pour mieux remuer nos émotions.
Encore un mot...
Il est de bon ton, y compris chez ses partisans cinéphiles, de reprocher à Ken Loach de tourner toujours le même film en ne changeant que le thème (façon les exercices de style de Queneau). Outre que c’est faire preuve d’un esprit particulièrement réducteur, le rédacteur de ces lignes préfère s’inquiéter du jour où Ken Loach aura rejoint les siens au paradis des éveilleurs de conscience et que ce genre de cinéma, en fin de compte sociologique tant il scrute avec acuité son époque, n’existera plus.
Une phrase
Ou plutôt une profession de foi:« Le cinéma fait vivre notre imagination, apporte au monde le rêve mais nous présente le vrai monde dans lequel nous vivons. (…) Il est porteur de nombreuses traditions, l’une d’entre elles est de présenter un cinéma de protestation, un cinéma qui met en avant le peuple contre les puissants, j’espère que cette tradition se maintiendra. (…). Nous devons dire qu’un autre monde est possible et nécessaire. ». Ken Loach lors de son discours de réception de sa palme d’Or. Cannes 2016.
L'auteur
Présenter Kenneth “Ken” Loach, né le 17 juin 1936 à Nuneaton dans leWorwickshire, comté britannique situé au centre de l'Angleterre, est le genre d’exercice qui rend mal à l’aise tant il est, depuis 50 ans, un des réalisateurs européens en général et britanniques en particulier parmi les plus incontournables pour tout cinéphile, qu’on l’appréciât ou pas. Autant décrire une formule 1 à un pilote de courses !
Puisqu’il faut bien y passer: issue de la classe moyenne, il suit des études de droit avant d’entrer à la télévision dans les années 60 avec des docu-dramas comme Cathy come Home (1964), sur la désagrégation d’une famille touchée par le chômage. Déjà un drame social ! En 1969, après un galop d’essai, il réalise Kes, l'histoire d'un garçon solitaire ayant pour amie une crécerelle (sorte de faucon). S’ensuit l’éprouvant Family Life en 1971, plongée d'une jeune fille dans la schizophrénie, jeune fille victime d’un terrible carcan socio-familial. C’est le début d’une très longue et fructueuse carrière que nous ne détaillerons pas ici, notamment dans les années 80 et 90 sous les gouvernements de Margareth Thatcher et John Major dont il sera un pourfendeur assidu, persévérant et sans concession, avec son scénariste devenu attitré, Paul Laverty.
Sur 13 sélections cannoises, ses films cumulent sept prix, ce qui en fait l'un des cinéastes les plus récompensés de l'histoire du festival, avec deux palmes d’Or (Le vent se lève en 2006 et Moi, Daniel Blake), trois Prix du Jury (Secret défense(1990), Raining Stones (1993), La part des anges (2012)), un Prix d’interprétation masculine pour Peter Mullan dans My Name is Joe (1998) et un Prix du scénario avec Sweet Sixteen (2002) écrit par… Paul Laverty.
Plus édifiante que l’énumération de ses films et de ses récompenses, sa marque de fabrique, empruntée au free cinéma et au documentaire : une œuvre amoureuse des gens modestes et résolument centrée sur la dénonciation des injustices d’où qu’elles viennent, politiques, sociales, économiques… pour laquelle il déploie un talent sans pareil à faire aimer ses personnages, un sens du naturel jusque dans le jeu de ses acteurs (n’hésitant pas à ne pas leur confier l’entièreté du scenario pour traquer leur réaction réelle au moment de découvrir l’action), et une intelligence assez rouée pour entremêler avec harmonie fiction romanesque et réalité quotidienne.
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