Le Vénérable W
Infos & réservation
Thème
Après ceux du “Général Idi Amin Dada” en 1974 et de “L’Avocat de la terreur” Jacques Vergès en 2007, et en conclusion de sa “trilogie du Mal”, Barbet Schroeder dresse le portrait du moine bouddhiste Wirathu, leader populiste et nationaliste birman. Alternant interviews et images d’archives, il nous plonge de façon édifiante autant que sidérante au cœur d’une haine à l’origine de nombreux massacres au détriment de la minorité Rohingya (musulmans sunnites issus du Bengale), à l’opposé des références bouddhistes dont l’homme prétend s’inspirer, nous rappelant que “Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde”.
Points forts
Il y a d’abord le style même de Barbet Schroeder : ne pas juger tout en prenant position. Plutôt que de commenter, il laisse ses “invités” s’exprimer après avoir acquis leur confiance puis accole des images d’archives afin que le public se fasse son propre avis. On pourrait objecter que le tri des images peut fausser le regard. Sauf qu’il use de documents “objectifs” (actualités filmées, réactions officielles, etc)… Signe des temps, ce documentaire ne nous autorise ni le rire jaune qui naissait de l’infantile bonhomie d’Idi Amin dada ni le titillement de l’intelligence qui émanait de la sulfureuse rouerie de Jacques Vergès.
C’est suite à la haine qu’il ressentit après qu’un voisin eut détruit sans son autorisation la forêt entourant la maison de son enfance à Ibiza que Barbet Schroeder a éprouvé le besoin de comprendre tout en ravivant en lui son attirance de toujours pour le bouddhisme. Un ami lui ayant parlé des exactions dont étaient victimes les Rohingyas, profitant de la facilité technologique (camera Sony AS7 4k et I Phone), il est donc allé en Birmanie accompagné de sa complice monteuse Nelly Quettier.
Résultat, il décrypte comment, dévoyant le message du Bouddha, le leader Ashin Wirathu, issu d’une famille pauvre de Kyaukse, moine bouddhiste depuis l’âge de 12 ans et incarcéré de 2003 à 2010 par les militaires pour ses propos haineux envers les Musulmans, est devenu populaire à sa sortie de prison au point de fonder le mouvement nationaliste et populiste 969 devenu Ma Ba Tha (trad. : “pour la protection de la race et de la religion”), après son interdiction en 2015.
Paroles fielleuses assumées avec sérénité, réification d’un ennemi commun qualifié de poisson-chat africain pour sa violence et de lapin pour sa prolifération, distillation de la peur pour justifier sa position, propagande lors de sermons et via les réseaux sociaux, insultes envers l’ONU et complicité discrète des autorités… s’épanouissent devant nos yeux affligés. Il n’est jusqu’à la traduction des paroles joyeuses de l’hymne du parti Ma Ba Tha qui ne donne des frissons par la détestation de l’autre qu’elles révèlent.
Si à l’instar d’une victime Rohingya réchappée des massacres de Rakhine (Arakan) en 2013, on pense d’abord à Hitler (d’autant que les deux ont écrit en prison leur “succès littéraire”), très rapidement on délaisse cet incontournable “point Godwin” (théorie qui veut que toute discussion prolongée aboutit à parler du nazisme) pour pénétrer le processus même qui mène au génocide quel que soit le pays dont, malheureusement, la liste est infinie et mouvante
Ainsi, d’interviews en contre témoignages, d’images d’archives de massacres en propos du Vénérable W, Barbet Schroeder renvoie en miroir le Myanmar et l’Occident, créant un avertissement aussi urgent que nécessaire, salutaire qu’exemplaire. Notons que Barbet Schroeder est aujourd’hui interdit de séjour en Birmanie par le gouvernement même de Aung San Suu Kyi.
Quelques réserves
Aucun, ni sur le fond ni sur la forme.
Encore un mot...
Il peut être utile, si on est à Paris, de compléter ce documentaire en se rendant à l’exposition consacrée à Barbet Schroeder au Centre Georges Pompidou jusqu’au 11 juin.
Une phrase
“Il s’agit de rencontrer en les faisant parler sans les juger des personnages au travers desquels le mal peut s’incarner sous différents visages et en laissant l’horreur ou la vérité s’installer d’elles-mêmes petit à petit.” (…) Pour moi, le bouddhisme est une religion athée, sans dieux, et qui permet le pessimisme. Cette pensée m’a toujours fasciné, au point qu’en 1961, à l’âge de 20 ans, j’ai entrepris un long voyage sur les lieux historiques du Bouddha jusqu’au Sri Lanka. Tout change et se transforme constamment : c’est l’une des idées fondatrices de la vision bouddhiste du monde. Le Bouddha a lui-même annoncé, de son vivant, la fin de sa propre doctrine : il a estimé que, 5000 ans plus tard, il n’en resterait plus rien... Aucun chef religieux n’a jamais eu ce courage. C’est peut-être pour cela que j’ai toujours considéré le bouddhisme comme l’un des trésors les plus précieux de l’Humanité”. Barbet Schroeder
L'auteur
Producteur et réalisateur de cinéma suisse, Barbet Schroeder naît le 26 août 1941 à Téhéran. Fils d’un père géologue et d’une mère dont le père fut psychiatre et historien d’Art allemand, il suit des études à la Sorbonne avant de collaborer à deux courts métrages avec Jean-Luc Godard et à la toute jeune revue Les Cahiers du cinéma.
Le 16 avril 1964, âgé de 22 ans, il fonde officiellement la société Les Films du Losange avec (entre autres) Jean Douchet, Eric Rohmer, Pierre Cottrell. Cette dernière produit ainsi Godard, Rohmer -notamment ses deux premiers “contes moraux”-, Chabrol, Rouch, Pollet, Rivette, Eustacle, Fassbiner et Wenders, excusez du peu!
En 1968/1969, Barbet Schroeder passe au long de fiction avec "More", tourné à Ibiza, avec la merveilleuse et délicate Mimsy Fermer sur une musique des Pink Floyd.
Dès lors, il alterne production, documentaires et fictions long métrage. Citons pour mémoire et de façon arbitraire tant la liste est longue et éclectique : Barfly, Le mystère von Bülow, nominé aux Oscars, Jeune fille cherche appartement, La Vierge des tueurs, Amnesia…
Ajouter un commentaire