La Mort de Louis XIV
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Thème
Atteint de gangrène, le Roi Louis XIV refuse de se faire amputer. Recevant ministres, ecclésiastiques et courtisans, dont le Duc d’Orléans, futur Régent, entouré de Fagon, son médecin personnel, Georges Mareschal son chirurgien et Blouin, son valet de chambre, le Roi Soleil s’acharne à continuer de régner. Un certain Docteur Lenoir, aux méthodes moins scientifiques, arrive alors de Marseille, suscitant intrigues et jalousie de la part des autres thérapeutes, d’autant que ses soins (à base de sperme de taureau et de cerveau) se révèlent encourageants. Mais rien n’y fera : commencée le 09 août 1715, la royale agonie s’achèvera le 1er septembre.
Points forts
- Un film à l’ambiance crépusculaire dont on ressort comme en apesanteur, la tête pleine d’images et de questionnement tant il touche à la perfection : plans aux cadrages d’une pertinence visuelle sidérante (le corps allongé du roi agonisant servant de ligne horizontale tandis que le fond se divise verticalement en une ou deux parties)… Couleurs évoquant les plus grands tableaux de Maîtres, de Watteau (pour la Nature) à Rigaud via Le Brun… Une lumière crépusculaire qui nous fait nous recueillir.
- Deux grands moments musicaux seulement mais renforçant la beauté visuelle jusqu’à nous couper le souffle : tambours et hautbois de la St Louis où le Roi semble reprendre vie et le Kyrie Eleison de Mozart sur l’image statufiée d’un Jean-Pierre Léaud, bouleversant dans son silence, et semblant scruter les spectateurs.
- Le casting est à l’aune de l’ensemble : avec son regard fixe et perçant, Jean-Pierre Léaud nous transmet toute la douleur qui le ronge. Tout en retenue, Patrick d’Assumpçao est une merveille de jeu qu’il soit mû par l’orgueil, tendu à faire respecter le protocole ou dans son mea culpa final.
- Les conflits opposant la médecine “scientifique” aux thérapies “naturelles” sont absolument savoureux et d’une totale modernité tout comme la défection des inféodés pressés de s’attirer les grâces du successeur.
Quelques réserves
La loi du genre : un huis-clos, le sérieux du propos et un réalisme qu’aucun artifice ne vient jamais trahir.
Encore un mot...
Replaçons les mots dans leur juste acception : il y a l’Art, destiné à produire chez l’être humain un état de sensibilité et de questionnement plus ou moins lié au plaisir esthétique… et la Culture, ensemble d’éléments communs à un groupe d’hommes. Le premier exige un effort d’approche et d’investissement personnel, tant pour le créateur que pour celui qui l’observe, le second s’adresse à des consommateurs (il n’y a aucun jugement dans ce propos liminaire). Incontestablement, ce huis-clos envoûtant et jamais ennuyeux, se déroulant exclusivement dans la chambre du Roi, est une œuvre d’Art cinématographique. Rythmée par le temps qui s’écoule, le rituel qui s’installe peu à peu autour de l’agonisant, inspiré des Mémoires de Saint-Simon et de ceux du Marquis de Dangeau, "La Mort de Louis XIV" décline les derniers jours d’un Roi qui se prépare à perdre la vie tel un homme. Certaines des paroles rapportées ici sont authentiques et les états successifs de la jambe pourrissante du monarque décrits scrupuleusement, avec ce que cela suppose de détails sordides.
On ne peut s’empêcher de penser aux deux présidents de la Vème République pareillement malades dont l’un décéda en cours de mandat. Ce n’est pas le sujet du film, peut-être même pas dans l’intention du réalisateur. Ce n’en est que plus fort.
Regrettons, une fois de plus, la suppression de la catégorie Art et Essai qui aurait permis à ce style d’œuvre de trouver pleinement son public. Une page d’Histoire passionnante et un moment de grâce.
Une phrase
- “Ils m’aiment ?” “Oui, Sire, vous êtes leur maître” (Louis XIV à Mme de Montespan et réciproquement).
- “Nous nous occupons des entrailles, c’est du sol que pourrissent les plantes” (Fagon).
L'auteur
Né le 31 mars 1975 à Banyoles, province de Gérone (Espagne), licencié en philologie espagnole et en théorie de la littérature, Albert Serra commence par écrire des pièces de théâtre et diriger différents travaux de vidéo. Il acquiert une reconnaissance internationale avec son premier long métrage, Honor de Cavalleria, une adaptation libre de Don Quichotte tournée avec des acteurs non-professionnels recrutés dans son village, adaptation sélectionnée à la Quinzaine des Réalisateurs en 2006.
Inspiré de la chanson catalane traditionnelle, de Noël, El cant sels ocells, et reprenant la même troupe, Le Chant des oiseaux, son deuxième film (2008), conte le voyage des Rois mages guidés par l’étoile du berger en quête de l’enfant Jésus.
En 2013, une carte blanche lui est offerte par le Centre Pompidou à Paris dans le cadre d’une correspondance avec le cinéaste argentin Lisandro Alonso. C’est à cette occasion qu’il a l’idée de créer sur place une “performance théâtrale” intitulée "La mort de Louis XIV". Elle n’aura pas lieu mais deviendra ce film. En revanche, la même année, il adapte les mémoires de Casanova dans Histoire de ma mort, qui gagne le Léopard d'Or au festival de Locarno.
Enfin, présenté présenté Hors Compétition au 69e Festival de Cannes, La Mort de Louis XIV reçoit le 06 juin 2016 le Prix Jean Vigo (actuellement dirigé par Luce, la fille du réalisateur de l’Atalante) qui récompense depuis 1951 “l’indépendance, l’audace et le talent de réalisateurs constituant la part la plus vive, belle et rebelle du cinéma français”. Parmi eux : Maurice Pialat, Jacques Rozier, Olivier Assayas, Bruno Dumont, Philippe Garrel…
Commentaires
Quel bel hommage ! J'avais peur que le film sente la reconstitution didactique à l'aune du très ennuyeux film La prise du pouvoir par Louis XIV de Rossellini des années 60 ! Le Masque et la Plume du dimanche 6 novembre a dans l'ensemble boudé le film d'Albert Serra le trouvant d'un mortel ennui et d'une languissante durée.
Vous m'avez pourtant convaincu d'allez assister en direct à l'agonie du roi. Entre la finitude d'un corps et la sacralisation de l'Histoire, entre le temps humain et la réalisation d'un mythe se joue certainement une formidable dialectique qu'il me tarde de découvrir.
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