JOYLAND
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Thème
A Lahore au Pakistan, Haider (Ali Junejo) et son épouse cohabitent avec la famille de son frère. Mais dans cette maison placée sous un régime patriarcal où chacun vit sous le regard de l’autre, le jeune trentenaire, homme au foyer, étouffe d’autant que son père, propriétaire de la maison, le somme de faire un enfant et de trouver un emploi. Un jour, Haider déniche un petit boulot de danseur dans un cabaret et y rencontre Biba, une danseuse transsexuelle aussi sensuelle que magnétique (Alina Khan). Pour Biba, Haider, et aussi son épouse, c’est le début d’une existence impossible où aucun des trois ne pourra assumer ses désirs.…
Points forts
- Saim Sadiq dit qu’il n’avait pas le choix, qu’il devait faire ce film, qu’il le portait depuis trop longtemps. Et c’est vrai que sous la fiction de l’histoire, dramatique, qu’il raconte, on sent une grande part de vécu, qui étreint et bouleverse.
- Joyland nous emporte dès ses premières images : sens précis du cadre, photo magnifique, fluidité du montage, interprétation très juste des comédiens : tout est parfait. Ensuite, il est impossible de quitter des yeux ce film qui dure pourtant plus de deux heures.
- Contrairement au cinéma indien, le cinéma pakistanais n’avait jusqu’à présent aucune visibilité sur le plan international. Joyland a déjà fait bouger les lignes. Sous la houlette de son producteur, Sarmad Sultan Khoosat, un cinéma indépendant commence à naître.
Quelques réserves
Aucune.
Encore un mot...
Une semaine après le début du Festival de Cannes, les festivaliers, éberlués, découvraient ce film passionnant et déchirant qui, sous le chatoiement incroyable de ses images, démonte et dénonce, avec une audace étonnante, les multiples contraintes et interdits de la société pakistanaise, se recevant, au bout du compte, comme un appel à la liberté, autant pour les femmes que pour les hommes. Après avoir essuyé les foudres des autorités d’Islamabad, Joyland, qui a été ovationné partout où il a été projeté, va sans doute finalement représenter le Pakistan aux Oscars 2023.
Une phrase
« Joyland s’attache à « déromantiser » un récit initiatique et se présente comme un hommage à toutes les femmes, tous les hommes et à tous les transgenres qui paient de leur vie le poids du patriarcat. Le film célèbre aussi le désir qui tisse des liens inattendus et l’amour qui les immortalise. En fin de compte, c’est surtout un message d’amour que j’adresse à ma patrie ». (Saim Sadiq, réalisateur).
L'auteur
Avant de se lancer dans le cinéma, Saim Sadiq, né à Lahore au Pakistan (la deuxième ville du pays) a commencé par obtenir une licence en anthropologie à l’université de sa ville natale, puis un master de mise-en-scène à Columbia University aux Etats-Unis. En 2014, son premier film est un documentaire Stepmotherland. Il sera suivi de six courts-métrages, dont Nice Talking to you qui remporte, en 2018, le Bafta du meilleur film de fin d’études et le prix de la mise en scène de Vimeo au Festival du film de Columbia University, puis Darling qui sera le premier film pakistanais jamais présenté à la Mostra de Venise où il remporte le Prix Orizzonti du meilleur court métrage.
En mai dernier, Joyland (qui sort donc cette semaine en France) est le premier long-métrage pakistanais à être sélectionné au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard où il obtient le Prix du Jury, la Queer Palm, la récompense LGBT de ce même festival, et dans la foulée de ces deux Prix, une renommée internationale.
Saim Sadiq, 31ans cette année, écrit actuellement l’adaptation pour le cinéma du best-seller Hôtel des souvenirs doux-amers (signé de l’américain Jamie Ford) que le réalisateur sino-américain Bing Liu, devrait réaliser.
Dominique Poncet
Et aussi
- HINTERLAND de STEFAN RUZOWITZKY - Avec MURATHAN MUSLU, LIV LISA FRIES, MAX VAN DER GROEBEN…
Vienne 1920. Peter Berg, un soldat gradé de la Grande Guerre ( Murathan Muslu) revient de captivité. Depuis la chute de l’empire austro-hongrois survenue deux ans plus tôt, tout a changé dans sa ville. Le chômage et les pulsions nationalistes prennent de plus en plus d’ampleur et les femmes ont désormais la parole. Berg, qui avait abandonné épouse et enfant pour servir l’Empereur, s’y sent devenu comme étranger. Il voudrait bien renouer avec son ancien métier de commissaire de police, mais désormais, on se méfie des soldats de l’ancien régime. Soudainement, plusieurs vétérans de la Première Guerre mondiale sont brutalement assassinés après avoir été sauvagement torturés. Touché de près par ces crimes, Berg retrouve son flair d’ancien limier et s’allie au médecin légiste, en l’occurrence une femme perspicace et ravissante, pour mener l’enquête. Le pire va être sûr. Le plus inimaginable aussi…
Après avoir déroulé son précédent et sublime film, Les Faussaires ( nominé aux Oscars 2008 ) dans l’Autriche nazie de la seconde guerre mondiale, le cinéaste autrichien Stefan Ruzowitzky remonte le temps et s’intéresse cette fois à la période qui a suivi la chute de l’Empire dans son pays. Une fois encore, c’est une réussite. Son intrigue, de plus en plus haletante, est aussi machiavélique que bien ficelée, et ses interprètes sont parfaitement choisis ( Murathan Muslu, stupéfiant d’intensité à la fois douloureuse et menaçante ). Mais ce qui, surtout, sidère dans ce thriller qui s’appuie sur la Grande Histoire, c’est son aspect visuel et sa mise en scène. Dès le début, il nous plonge dans une ambiance qui évoque le cinéma expressionniste allemand et les toiles d’Otto Dix. Un effet obtenu par la re-création des décors en numérique sur fond vert. Étouffant, dérangeant, et surtout bluffant.
Recommandation : 4 cœurs
Dominique Poncet
- CARAVAGE de MICHELE PLACIDO - Avec RICCARDO SCAMARCIO, LOUIS GARREL, ISABELLE HUPPERT…
Naples, 1609. Le Caravage (Riccardo Scamarcio) a 48 ans et une réputation sulfureuse en tant que peintre. Accusé de meurtre, l’artiste est contraint de quitter Rome pour se réfugier à Naples. Dans son malheur, il peut toutefois compter sur le soutien de la puissante famille Colonna, représentée par la Marquise Costanza (Isabelle Huppert). Alors qu’il tente d’obtenir la grâce de l’Église pour revenir à Rome, Le Caravage ne se doute pas qu’une enquête est secrètement menée sur lui par un mystérieux inquisiteur, l’Ombre (Louis Garrel)…
Caravage est un beau film. C’est même sa caractéristique première. Le nouveau long-métrage de Michele Placido (Romanzo Criminale) est une merveille de splendeur(s) et certains plans font même penser à des tableaux de maîtres. Le spectateur se retrouve instantanément transporté à l’époque de la Renaissance Italienne. Si la reconstitution historique et la rigueur scientifique sont irréprochables, il n’en est pas forcément de même pour la mise en scène du film qui manque de relief et finit par peser en raison d’un trop grand académisme.
Recommandation : 3 cœurs
Antoine Le Fur
- LA PASSAGÈRE d’HELOÏSE PELLOQUET - Avec CÉCILE de FRANCE, FÉLIX LEFEBVRE, GRÉGOIRE MONSAINGEON…
C’est l’histoire de Chiara, une quadra magnifique, blonde aux yeux bleus, solide, souriante et sympathique, une femme marin-pêcheur qui soulève casiers de tourteaux ou de poissons avec autant de grâce que de féminité, une épouse aussi, jusque là amoureuse de son Antoine de mari, et qui soudain va succomber au charme d’un jeune stagiaire, Maxence, venu apprendre son métier…
Il est difficile de ne pas succomber au charme de ce premier long métrage signé Héloise Pelloquet qui traite de l’adultère à travers le personnage d’une femme de quarante ans, dont la sensualité est chamboulée par un gamin de 20 ans. Le formidable de ce film est la simplicité, le naturel, le romanesque aussi avec lesquels est racontée cette histoire, cette façon aussi que sa réalisatrice a de nous faire découvrir à quel point ce métier de marin pêcheur, malgré sa difficulté et sa rudesse, a ce pouvoir d’éveiller les sens de ceux qui l’exercent. Dire que Cécile de France est sensationnelle dans ce personnage de femme qui redécouvre la sensualité et la liberté serait un pléonasme, tant à chacun de ses rôles, elle est formidable de naturel et de justesse. Le jeune Félix Lefebvre, révélé par François Ozon en 2020 dans Eté 85 n’est pas mal non plus, éclabousse l’écran de son charisme.
Recommandation : 4 coeurs
Dominique Poncet
- CHŒUR DE ROCKERS d’IDA TICHER et LUC BRICAULT - Avec MATHILDE SEIGNER, BERNARD LECOQ, ANDRÉA FERRÉOL…
Alex, une chanteuse dont la carrière peine à décoller (Mathilde Seigner, en pleine forme !) accepte un drôle de job : faire chanter des comptines à une chorale de retraités, dans le cadre d’un programme social concocté par un maire bien-pensant. Surprise ! Quand elle arrive devant eux, elle découvre un groupe de séniors ingérables qui ne rêvent que d’une chose, faire du rock, à ce petit problème près qu’ils déraillent à tout va et ne savent pas chanter en groupe. Grâce à sa persévérance, son humour et son talent, Alex va réussir à monter, dans le plus grand secret, la plus stupéfiante des chorales.
Quelle jolie idée Ida Techer et Julie Manoukian ont eue d’adapter le livre éponyme que Valérie Péronnet avait tiré de l’aventure (vraie) des Salt and Pepper, un groupe de Dunkerquois à la retraite qui fait depuis des années un tabac sur les scènes du Nord de la France ( et d’ailleurs) !
Cela donne ce film pétaradant, drôlissime et émouvant, interprété par une bande d’acteurs qui s’amusent comme des fous à jouer d’insupportables retraités saisis par le démon du rock. Dans tous les festivals où Chœur de Rockers a été projeté ( Angoulême, Arras…), les salles se sont levées. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir sur le grand écran un film feel-good qui célèbre le refus de la résignation et le dépassement de soi, et cela sur des musiques qui ont presque toutes été des tubes !
Recommandation : 3 coeurs
Dominique Poncet
- PAR CŒURS de BENOÎT JACQUOT - DOCUMENTAIRE- Avec ISABELLE HUPPERT et FABRICE LUCHINI.
L’idée était excellente : mettre deux comédiens face à leur rôle et à leur texte, juste avant une représentation. Son auteur, Benoît Jacquot, l’a réalisée au Festival d’Avignon 2021. Il a choisi deux grands acteurs qui s’apprêtaient à jouer dans deux lieux très différents, des textes de natures dissemblables : Isabelle Huppert, qui se préparait à jouer La Cerisaie dans la Cour d’honneur du Palais des Papes et Fabrice Lucchini qui allait donner un seul en scène autour de Nietzsche au Musée Calvet.
Huppert, Lucchini, Jacquot… le casting était alléchant pour un projet qui ne l’était pas moins. Une réflexion sur l’art de l’acteur donnée par deux comédiens phare, réputés pour leur culture et leur « cérébralité », très proches, qui plus est, de celui qui allait les filmer… le résultat est décevant. Si, contrairement à ses habitudes, Isabelle Huppert se laisse filmer sans aucun apprêt, elle ne se dévoile jamais, se contentant, ou presque, de parler de sa difficulté à mémoriser une phrase de son texte, pourtant en apparence assez banale. C’est un peu court. Fabrice Luchini est plus disert, qui explique, à sa façon si exubérante et dans un monologue jamais interrompu, la manière dont il s’approprie les textes, en l'occurrence, ici, Nietzsche. Mais, comme parfois chez cet acteur pourtant formidable, la forme finit par prendre le pas sur le fond. Il n’y a pas non plus de confrontation entre les deux acteurs et Jacquot ne les pousse pas à approfondir leur réflexion. Dommage.
Recommandation : 2 cœurs
Dominique Poncet
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