GAGARINE

Un regard original sur la banlieue et la démolition d’une cité mythique
De
Fanny LIATARD et Jérémy TROUILH
Avec
Alseni BATHILY, Lyna KHOUDRI, Jamil McCRAVEN, Finnegan OLDFIELD…
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Youri, 16 ans ( Alseni Bathily) a grandi à Gagarine —une immense cité de briques rouges d’Ivry-sur-Seine— où il rêve de devenir cosmonaute.

Quand il apprend que Gagarine va bientôt être démolie au nom du renouvellement urbain, il  décide d’entrer en résistance et de la sauver, à sa manière. Avec la complicité de ses copains et aussi de quelques « grands », il va la transformer en « vaisseau spatial ».

Points forts

 C’est une épopée qui débute comme  un …documentaire, sur des images d’archives montrant la construction et l’inauguration en 1960 de la  vraie cité Youri Gagarine, en présence du cosmonaute soviétique qui lui donna son nom. D’un noir et blanc aussi magnifique que nostalgique, ces images sont là pour rappeler combien à cette époque, l’utopie communiste imprégna de nombreuses villes de la banlieue parisienne — dont celle d’Ivry-sur-Seine où fut érigée cette cité de béton— dans le but de procurer logement et bonheur communautaire à des milliers de gens dans le besoin.

Quand la fiction démarre, quelque quarante ans se sont écoulés. La cité a vieilli, beaucoup. Elle est au bord de l’obsolescence, mais pour quelques-uns de ses habitants, la vie y semble toujours belle. Youri, un préadolescent  tendre et débrouillard, est de ceux-là, qui continue de croire que sa « barre » de béton est  toujours un havre de paix, où il peut échafauder ses rêves d’un avenir meilleur. Quand il apprend que cette Gagarine où il est né et où il grandit va être détruite, il échafaude un plan complètement fou, celui de transformer sa cité en navette spatiale, pour pouvoir monter à son bord et s’envoler avec elle, en compagnie de quelques copains vers des cieux plus cléments. C’est le début d’une alternance de séquences qui vont marier avec un talent fou, onirisme et réalisme. Un réalisme accentué par le fait qu’une grande partie du film a été tournée pendant la démolition de la cité.

La cité qui « joue » ici, comme un personnage à part entière, est  tellement bien « appréhendée » qu’au gré des séquences, on a l’impression de la « voir » palpiter, trembler, résister, s’assoupir, se vider, se transformer, souffrir aussi, sous les coups de ses démolisseurs. C’est très impressionnant, très émouvant aussi.

Quelques réserves

A certains moments, la continuité du récit connaît quelques ratés et vers la fin, l’histoire d’amour entre Youri et une jeune fille Rom ( Lyna Khoudri) semble surgir d’on ne sait où. Mais ce  sont des péchés véniels, sur lesquels on passe tant ce film est beau et poétique.

Encore un mot...

Il y a deux ans, Les Misérables de Ladj Ly évoquait les tensions grandissantes entre habitants des cités et forces de police. Cette année, Gagarine offre un autre regard sur la banlieue qui, avec poésie et énergie, met en exergue son sens de l’entraide et sa capacité à rêver et à créer. Visuellement, Gagarine est un film magnifique et audacieux, qui est en outre porté par une interprétation impeccable ( Alseni Bathily, notamment, dans le rôle de Youri, est une vraie révélation). Cette belle fable urbaine qui avait obtenu l’année dernière le Label Cannes 2020 est notre coup de cœur de la semaine.

Une phrase

« On avait envie de porter un regard positif sur un lieu et une jeunesse  qui sont souvent caricaturés. Youri aime sa cité. Pour lui ce n’est pas qu’une utopie du passé. C’est son présent, et c’est le terreau de son avenir. La quitter c’est tout perdre : renoncer à sa famille et à son monde imaginaire. Alors il rentre en résistance » ( Fanny Liatard, co-réalisatrice).

L'auteur

Avant de réaliser leur premier film, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh  se sont rencontrés à Sciences Po. Leur diplôme en poche, ils se séparent. Jérémy part en Inde, puis en Amérique du Sud d’où il décide de postuler au Master de réalisation de documentaire de création de Lussas en Ardèche. Fanny, elle, va voyager au Liban, puis se pose à Marseille sur des projets artistiques en lien avec les transformations urbaines des quartiers. Elle envoie un projet de court-métrage à La Ruche de Gindou Cinéma, une formation de scénaristes pour autodidactes.

Après ces expériences respectives, Fanny et Jérémy se retrouvent à Paris avec l’envie commune d’écrire et de réaliser des films de fiction. En 2014, ils sont sélectionnés à un concours de scénario qui leur permet de réaliser leur premier court-métrage Gagarine. Ils en réaliseront deux autres ( La République des enchanteurs et Chien bleu qui sera nominé aux César 2020). En 2018, ils décident de développer Gagarine en un long métrage, avec les habitants de ce territoire de banlieue parisienne en pleine transformation.

Et aussi

 

-IBRAHIM de  Samir GUESMI- Avec Abdel BENDAHER, Samir GUESMI, Luàna  BAJRAMI…

Timide lycéen de 17 ans, Ibrahim vit seul avec son père Ahmed. Écailler dans une grande brasserie, Ahmed rêve de travailler en salle, mais pour cela, il doit d’abord s’offrir une prothèse dentaire. Son rêve tourne court quand il doit rembourser la note d’un vol commis par Ibrahim et qui a mal tourné. Entre le père et le fils, les rapports se tendent. Déchiré et meurtri, Ibrahim décide alors de prendre tous les risques pour réparer sa faute et offrir à son père le sourire qu’il attend depuis si longtemps.

Pour son premier long métrage, le comédien Samir Guesmi  souhaitait un récit d’initiation à hauteur de son jeune personnage principal. Il voulait aussi une histoire qui donne à ses personnages, grandeur, dignité et noblesse. Et il a écrit Ibrahim, qui relate le chemin que vont devoir faire un père et un fils pour se dire leur amour, dans un univers où leur manquent à la fois les mots et les gestes. S’il joue le père avec l’humanité chaleureuse et discrète qui est sa marque de fabrique d’acteur, il confie le rôle du fils à un ado qu’il avait repéré dans la rue. Bonne pioche :  Abdel Bendaher s’est retrouvé nominé cette année aux Césars dans la catégorie, « Révélations ».

Tendre, pudique, émouvant, poignant même, Ibrahim (qui  avait reçu le Label Cannes 2020) était reparti du dernier Festival d’Angoulême avec quatre trophées. Récompenses amplement méritées pour ce film qui avait reçu, là-bas aussi, un accueil triomphal du public.

Recommandation: Excellent.

 

- UN ESPION ORDINAIRE de Dominic COOKE- Avec Benedict CUMBERBATCH, Merab NINIDZE…

1960.Modeste représentant de commerce anglais, Greville Wynne se retrouve plongé, presque malgré lui, au cœur de la guerre froide. A la demande du MI6 ( les Services secrets anglais) et de la CIA, il noue une alliance secrète avec le colonel soviétique Oleg Penkovsky avec l’objectif que celui-ci livre des informations aux occidentaux. Le but? Éviter un affrontement nucléaire et une troisième guerre mondiale. Greville va entamer une série d’allers-retours entre Londres et Moscou. Mais le KGB finit par avoir des soupçons…

Même si on le croit sorti d’un roman de John Le Carré (La Taupe)  tant il est à la fois banal, haletant et compliqué, ce scénario a été tiré d’une histoire vraie de la Guerre froide. Dominic Cook la restitue avec classicisme mais brio, dans une tension qui va crescendo. Le cinéaste, qui vient du théâtre, fait preuve, ici, d’un vrai sens de la narration, de la dramaturgie et de la direction d’acteurs. Tout en fragilité,  flegme, aplomb, peur aussi, et colère rentrée, Benedict  Cumberbatch est parfait dans son rôle d’espion britannique. Dans celui du colonel soviétique, Merab Ninidze (repéré dans Le Pont des espions) est formidable lui aussi. On ne quitte pas l’écran des yeux ! 

Recommandation: Excellent.

 

-TOKYO SHAKING d’Olivier PEYON- Avec Karin VIARD, Stéphane BAK, Philippe

UCHAN…

Le 11 mars 2011, Tokyo connait le plus grand tremblement de terre de son histoire, puis un tsunami qui déclenche la catastrophe de Fukushima. Alexandra, Française fraîchement arrivée à Tokyo pour travailler dans une grande banque de l’Hexagone, doit affronter cette crise nucléaire sans précédent. Tiraillée entre les ordres de son entreprise et la nécessité de protéger sa famille et ses collaborateurs, elle se retrouve, presque malgré elle, à défendre une certaine idée de l’honneur et de la parole donnée…

Olivier Peyon ( Comment j’ai détesté les maths, Latifa, le cœur au combat )s’inspire souvent de la réalité pour bâtir ses films. Tokyo Shaking lui a été « soufflé » par le récit d’une amie partie travailler au Japon sur la semaine folle qu’elle avait vécue lors du tremblement de terre. Le cinéaste y a vu là l’occasion de se lancer dans une analyse des comportements humains -entre lâcheté et  dépassement de soi, veulerie et générosité,  - face aux catastrophes.

Dans le rôle de la « working girl » partagée entre son devoir, ses sentiments et son ambition, Karin Viard est sensationnelle de retenue, de froideur, d’ambition affichée et, finalement, d’humanisme. Visuellement, le film est splendide ( On reconnait bien là la patte de l’Olivier Peyon, grand documentariste). Dommage que le scénario soit si linéaire. Le film y perd en surprise et en tension. 

Recommandation : Bon.

 

- WENDY de  Benh ZEITLIN- Avec Devin FRANCE, Yashua MACK, Gage NAQUIN, Gavin NAQUIN…

Elevée par sa mère célibataire, Wendy s’étiole dans le quotidien du restaurant tenu par sa mère. Un jour, encouragée par l’irascible petit Peter, elle décide de partir à l’aventure en sautant sur le toit d’un train en marche, avec ses deux petits frères jumeaux. Au terme de leur voyage, ils vont débarquer sur une île mystérieuse où les enfants ne semblent pas vieillir …

Il y a huit ans que le réalisateur du cultissime et multi récompensé Les Bêtes du Sud sauvage n’était pas réapparu sur le grand écran… Refusant les ponts d’or proposés par Hollywood, le cinéaste peaufinait tranquillement, à son rythme, une adaptation de Peter Pan, le roman de J.M. Barrie. Sa relecture est très intéressante, qui s’attache au personnage de Wendy, et qui pose la question qu’on se pose souvent dès la préadolescence: « comment grandir en restant libre et heureux ? ». A la fois naturaliste et fantastique, sensoriel et immersif, Wendy est un film lyrique, captivant. Dommage qu’il accumule les références cinématographiques. Cela noie un peu son propos. Restent, pourtant, l’essentiel :  le souffle du conte, la beauté de l’image, son onirisme et… l’interprétation.

Recommandation : Bon.

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