Emilia Perez
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Thème
Patron richissime d’un cartel mexicain, Manitas (Karla Sofía Gascón) décide de changer de sexe, moins tant pour devenir une femme que pour en finir avec la vie ultra-dangereuse qu’il a imposé à sa famille. Avec la complicité d’une avocate que la précarité a poussé, contre son gré, à défendre des voyous (Zoé Saldana), il maquille sa mort, file à l’autre bout du monde, et effectue sa transition.
Réapparu quatre ans plus tard en Emilia Perez, l’ancien narcotrafiquant retourne au Mexique et rappelle à ses côtés son ancienne épouse (Selena Gomez) et ses enfants, sans rien leur dévoiler de sa nouvelle identité. Insensiblement, la femme que l’ancien Manitas est désormais devenue, effectue une mue intérieure. L’ex-démon ultra-violent, sans scrupule ni pitié, se fait ange et trouve sa rédemption en créant une association de bienfaisance en faveur des victimes du narcotrafic.
Points forts
Son scénario: bien que d’apparence très fantaisiste, il est en plein dans le mille de nombreuses préoccupations actuelles puisqu’il aborde, en vrac, les ravages des narcotrafiquants au Mexique, les questions de genre, la place des femmes dans la société, le mouvement #MeToo, l’importance de la parentalité …
Sa mise en scène : brillante, composite et, évidemment au cordeau, elle emprunte à plusieurs genres, sans boursouflure inutile, ni effet superfétatoire, avec, au contraire, une fluidité et même une évidence incroyable.
Son image: moderne, inventive, et « chaude » (elle n’est jamais ni trop colorée, ni trop sombre, ni « surex »), elle n’en rajoute jamais dans les effets, tout en nous emmenant dans un « ailleurs » purement cinématographique, et donc « fictionnel ».
Ses chorégraphies, puissantes, signées Damien Jalet, ses chansons, divines, dues à la chanteuse Camille : elles magnifient la musique, pop et élégante, composée par un Clément Ducol très inspiré.
Et bien sûr, sa distribution, plus qu’impeccable, qui a valu à toutes ses comédiennes un prix d’interprétation collectif à Cannes. Elles sont toutes épatantes, mais s’y détache, quand même celle qui interprète le rôle-titre, Karla Sofía Gascón. Homme devenue femme en 2018 à 46 ans, l’actrice est incontestablement la meneuse de ce drame musical qui, tour à tour, et parfois en même temps, bouleverse, épouvante, emporte et émeut.
Quelques réserves
Aucune .
Encore un mot...
Pour ses 72 ans et son dixième film, Jacques Audiard s’est fait (et nous offre ) un sacré cadeau : un film qui, comme souvent avec lui, jongle entre plusieurs genres, - en l’occurrence, le drame musical, le film noir, le mélo transgenre et le film d’auteur - mais où il a poussé encore plus loin le cursus de sa créativité, de sa fantaisie, et…de sa rigueur stylistique.
Présenté à Cannes, Emilia Perez avait raté d’un cheveu la Palme d’Or (au grand dam de la presse , mais il était quand même reparti de la Croisette avec le Prix du Jury ainsi que celui de l’interprétation féminine pour l’ensemble de ses actrices. Le voici enfin en salles. Il faut s’y précipiter : beau, violent, baroque, émouvant, follement audacieux et d’un talent époustouflant, c’est un chef d’œuvre.
Une phrase
« Emilia Pérez, c’est un peu comme si la Belle et la Bête étaient renfermées dans un même corps. Au début du film, elle est Manitas, une femme prisonnière d’une vie qui n’est pas la sienne, mais qui, à un moment de son existence a l’opportunité de laisser derrière elle cette vie dont elle ne veut plus. Manitas a grandi dans un monde où les parents préfèrent que leurs fils soient des délinquants plutôt que des « pédés ». Cela les piègent à deux titres: dans la délinquance et dans une masculinité qui ne sont pas eux » ( Karla Sofía Gascón)
L'auteur
Fils de Michel Audiard, Jacques Audiard, né le 30 avril 1952 à Paris, commence d’abord par des études de lettres. Mais il est vite rattrapé par le démon du cinéma. Il devient d’abord l’assistant de Roman Polanski sur Le Locataire, puis de Patrice Chéreau sur Judith Therpauve. Après avoir fait un détour par le montage, il se lance, au début des années 80, dans l’écriture de scénarios, dont, entre autres, ceux de Mortelle Randonnée (co-écrit avec son père) et Le Professionnel (co-écrit avec Georges Lautner).
En 1994, il s’essaie à la réalisation avec Regarde les hommes tomber, dont il est l’auteur. Dans le Landerneau cinématographique, ce road movie entre deux truands minables fait l’effet d’une bombe. Le film est sélectionné pour Cannes, puis remporte trois Césars. Deux ans plus tard, le cinéaste sort Un Héros très discret, qui va rafler en 1996, toujours à Cannes, le prix du scénario. Cinq ans plus tard, son Sur mes lèvres, un mélange de thriller et de romance avec Emmanuelle Devos et Vincent Cassel se verra encore gratifié de trois Césars. Cinq de moins pourtant que son film suivant, De battre mon cœur s’est arrêté. Un Prophète, qui va révéler Tahar Rahim dans le rôle d’un délinquant, vaudra au cinéaste, en 2009, le Grand Prix du Jury de Cannes et le Prix Louis Delluc, et en 2010, neuf Césars.
Sortiront encore, en 2012, De rouille et d’os, un mélo social avec Marion Cotillard, qui raflera encore 4 Césars; en 2015, Dheepan, qui repartira la même année de Cannes avec la Palme d’Or ; en 2018, Les Frères Sisters, un western avec Joaquin Phoenix et John C. Reilly qui sera sacré à Venise, Lion d’Argent du meilleur réalisateur, et en 2021, Les Olympiades.
Emilia Perez est le dixième film de ce cinéaste aussi brillant que singulier et éclectique, et qui, à ce jour, est la personnalité la plus récompensée aux Césars. (rattrapage : film sorti le 21 août))
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