Corniche Kennedy
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Thème
Ils sont un petit groupe, garçons et filles, des jeunes des cités, qui squattent la Corniche Kennedy, cette fameuse route des bords de mer qui s’élève assez haut au-dessus de l’eau en certains endroits. Ils sont là pour sauter, se faire une peur bleue, et sauter à nouveau en prenant leur élan de la corniche. Une fille en maillot de bain les observe. Elle habite l’une des villas chics du Roucas Blanc, quartier résidentiel qui domine l’endroit. Elle aimerait bien s’agréger à ce groupe si complice. Elle a 16 ans et elle va passer son bac. Les autres sont des décrocheurs. L’un d’eux est en contact avec le milieu. Le frère d’un autre est en prison. Mi documentaire, mi thriller, vrai film d’amour pour Marseille, film solaire, tranche de vie, tranche de ville, « Corniche Kennedy » ne rentre pas facilement dans un genre. D’où son originalité.
Points forts
Ils et elles s’appellent Aïssa Maïga, Lola Créton, Alain Demaria, Kamel Kadri – et dans le film, Awa, Suzanne, Mehdi, Marco. Ils disent, pour justifier leur passion du saut : « C’est le seul moment de ta life où tu te sens vraiment libre ». Ou bien : « Quand on veut, on peut ! Ce monde est tellement moche qu’on a besoin de rêver ! » Ou encore « Je sens que je rase la mort, mais c’est bon ! » C’est comme un saut à l’élastique sans élastique.
Normalement, compte tenu du danger, les sauts sont interdits sur la fameuse corniche. Même pour le film, la réalisatrice n’a pas obtenu l’autorisation : « Pas ici, mauvais signal, lui a-t-on dit, allez à Cassis ». Du coup, les jeunes ont sauté en douce les derniers jours du tournage, hyper entraînés et hyper protégés avec médecins, secouristes, sportifs de haut niveau, hélicoptère, etc.
Il n’y a pas que les sauts. Le film raconte une histoire qui relie ces jeunes entre eux depuis longtemps. Déscolarisés, liés parfois au milieu, ils sont surveillés par deux policiers qui n’ont aucune envie de les coffrer mais cherchent à atteindre les commanditaires, les vrais gangsters marseillais…
Il faut aussi parler de la mise en scène. Depuis Godard et son « Pierrot le fou », on sait que le cinéma est un art total qui fait exploser les cadres. Et face à la Méditerranée, les cadres qui explosent, c'est un cadeau pour le spectateur. Dominique Cabrera s’inscrit dans cette tradition inventive qui fait tant apprécier le cinéma français à travers le monde.
Quelques réserves
On pourrait trouver l’intrigue un peu faible si le film ne suivait une trajectoire plus haute. On peut aussi considérer le quotidien de ces jeunes assez limité si le film ne traitait pas justement de ces limites que la société leur impose.
Encore un mot...
« Corniche Kennedy » est adapté du roman de l’écrivaine Maylis de Kerangal, née à Toulon, dont on a vu au cinéma l’adaptation d’un autre de ses romans, « Réparer les vivants ». Par ailleurs, « Naissance d’un pont », de la même auteure, prix Médicis 2010, va être adapté au cinéma par Julie Gavras. « Les auteurs de ma génération écrivent avec le cinéma, dit Maylis de Kerangal. C’est comme un outil pour élaborer son langage. » Mais l’écrivaine ajoute que le livre et le film ne se ressemblent pas : Dominique Cabrera s’est inspiré du livre pour construire une œuvre personnelle et développer une intrigue par moment différente. C’est d’ailleurs pourquoi il est hasardeux de comparer un film et un livre.
Une phrase
« Ces jeunes sont portés à se dépasser par ce paysage naturel sublime et… gratuit. C’est une richesse que cette ville donne à ses habitants d’être au bord de la mer, dans ce paysage d’autant plus merveilleux quand il est filmé par le cinéma. » Dominique Cabrera
« Le nombre de jeunes de vingt ans et moins qui meurent tous les ans à Marseille en marge du trafic de stupéfiants est affolant. C’est vraiment Moloch dévorant les enfants. » D. C.
L'auteur
Dominique Cabrera, 59 ans, est née à Relizane en Algérie dans une famille pied-noir rapatriée en France en 1962.
Après l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques), où elle entre en 1978, elle réalise des documentaires sur la vie sociale en banlieue, sur les chômeurs et les exclus.
Elle consacre son premier long métrage de fiction, « L’autre côté de la mer » (1997), avec Claude Brasseur et Roschdy Zem, au déracinement des Pieds-Noirs et des Algériens contraints à l’exil par la montée du FIS (Front islamique du salut). Son deuxième long métrage de fiction, « Nadia et les hippopotames », relate les grèves de l’hiver 1995 à la SNCF. Dans ce beau film sorti en 1999, Olivier Gourmet, Thierry Frémont, Ariane Ascaride et Marilyne Canto se mêlent aux cheminots. On retrouve ces comédiens, avec en plus Patrick Bruel, Valeria Bruni-Tedeschi et Yolande Moreau dans « Le lait de la tendresse humaine » (2001) qui raconte avec pudeur et sensibilité l’histoire d’un baby blues. En 2004, « Folle embellie », avec en plus cette fois Jean-Pierre Léaud et Miou Miou, est inspiré d’un épisode de l’exode de 1940, des patients d’un hôpital psychiatrique en liberté et abandonnés à eux-mêmes lors de l’invasion allemande.
Aujourd’hui, avec « Corniche Kennedy », retour à 2016 et à Marseille, une ville qu’elle aime. « J’y vais souvent et depuis longtemps, dit la cinéaste. Je crois que c’est l’écho avec l’Algérie qui me touche dans cette ville, comme si elle était le miroir d’Alger. J’aime la grande ville populaire au bord de la mer, le brassage social, ethnique ».
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