Cézanne et moi
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« Il y a une quinzaine d’années, ajoute la cinéaste, j’ai lu un article sur Cézanne et Zola. Je ne savais pas qu’ils s’étaient connus dans une école d’Aix-en-Provence ». Le film commence par une discussion franche et virile entre les deux ex-amis au soir de leur vie dans la belle maison de Zola à Médan en région parisienne. Puis la réalisatrice, qui affirme avoir lu tout ce qui concerne le peintre et l’écrivain, et on la croit, remonte le fil jusqu’à cette cour d’école aixoise où le petit Paul, fils de banquier, prend la défense d’Émile, fils d’immigré italien, orphelin de père, pauvre et moqué par ses camarades pour son accent étranger. Ainsi débute une amitié durable et rongée sur le tard par les aléas de la vie, l’un, Zola (Guillaume Canet), ayant gravi les marches de la renommée, l’autre, Cézanne (Guillaume Gallienne), n’étant pas parvenu à faire reconnaître une œuvre picturale trop en avance sur son temps et défendue seulement par quelques initiés. La rupture entre les deux amis s’accomplit au moment où Zola publie « L’œuvre » (1886) qui raconte le destin du peintre raté, Claude Lantier. Cézanne s’est cru visé alors que Lantier était le condensé des impressionnistes de cette époque, Manet, Monet, Renoir, d’autres moins connus qui ne se sont pas formalisés, et bien sûr Cézanne qui s’est senti trahi.
Points forts
- Le scénario de Danièle Thompson est rigoureusement conforme aux trajectoires des deux amis, étincelante pour l’écrivain, laborieuse pour le peintre : il suffit de se reporter aux nombreuses biographies sur l’un ou l’autre. Par exemple à celle, excellente, de l’écrivain Bernard Fauconnier parue en Folio sur Paul Cézanne, d’ailleurs vendue dans l’atelier du peintre à Aix, sur les hauteurs de la colline Saint-Eutrope, transformé depuis quelques années en musée. C’est l’atout principal du film qui apprend en distrayant.
- Danièle Thompson et son équipe ont filmé sur les lieux mêmes où vécurent les gamins et dans les sentiers aixois que le peintre a parcouru jusqu’à la fin de sa vie. Le contraste entre la lumière de la Provence et la grisaille de Paris est saisissant. Les images qui se succèdent en clair et en obscur expliquent en creux pourquoi Cézanne ne pouvait demeurer longtemps à Paris. « Quand on est né là-bas, disait-il, c’est foutu, rien ne vous dit plus ». Il repartait peindre la lumière et les arbres dans son cher Midi, soit près de Marseille, à Lestaque, un village au bord de la Méditerranée, soit sur les collines aixoises d’où il observait la montagne Sainte-Victoire qu’il a peinte jusqu’à son dernier souffle.
« Regardez cette Sainte-Victoire, disait-il, quel élan, quelle soif impérieuse du soleil, et quelle mélancolie, le soir, quand toute cette pesanteur retombe… Elle participe toute bleutée à la respiration ambiante de l’air… ».
La maison de Zola à Médan, la vraie, apparaît également dans le film et notamment le jardin où les proches de l’écrivain se retrouvaient à la belle saison et où Cézanne a fait plusieurs séjours avant de se brouiller avec son ami. Aix, Lestaque, Paris, Médan, des lieux mythiques, des couleurs et des mots pour un film inspiré.
Quelques réserves
- Selon les biographes de Cézanne, sa compagne Hortense, la mère de son fils Paul, devenue son épouse après la mort de son père (interprété par Gérard Meylan), était une femme revêche, aux dires de l’entourage du peintre, peut-être à cause de la vie peu sociable que lui faisait mener Cézanne. Or dans le film, c’est une jolie fille qui l’interprète, Déborah François. Point de détail…
- On reprochera à Guillaume Gallienne, qui joue Cézanne, son accent provençal un brin studieux. Gallienne a passé sa jeunesse dans le 16e arrondissement de Paris comme chacun sait depuis « Les garçons et Guillaume, à table ! »; et la Comédie Française, dont il est sociétaire, est une institution bien parisienne, ça n’aide pas… En comparaison, Gérard Meylan, père de Cézanne, que l’on voit dans tous les films de son ami marseillais Robert Guédiguian, a un accent plus authentique puisqu’il est lui aussi marseillais. Il est vrai, comme le dit Gallienne, que Cézanne passant du temps à Paris, « son accent se gommait parfois »…
- Plus sérieusement, si les images sont belles et la mise en scène soignée, il manque l’étincelle qui aurait fait flamber l’écran et vibrer le spectateur. Pourtant, on peut dire que Danièle Thompson a fait le job. Avant elle, beaucoup d’autres cinéastes ont tenté l’aventure de la peinture. L’un des derniers en date étant Maurice Pialat et son « Van Gogh » qui n’est pas nécessairement plus convaincant, plutôt moins d’ailleurs.
Encore un mot...
L’œuvre de Cézanne a été méprisée par les bourgeois plus ou moins cultivés de son temps, heurtés par le caractère non académique de sa peinture. Le directeur du musée du Luxembourg a ainsi refusé la plupart des tableaux que lui offrait à bas prix, après la mort du peintre, un collectionneur parisien averti; il a raté l’occasion de construire un grand musée Cézanne à Paris. L’administrateur de l’école de dessin d’Aix-en-Provence a fait de même. Il a toujours dispersé les tableaux que Cézanne lui donnait libéralement. Lui aussi a manqué l’occasion de réaliser un grand musée Cézanne dans sa ville natale – seulement une dizaine de tableaux de la montagne Sainte Victoire sont rassemblés au musée Granet. Quant à sa femme et son fils, ils se sont empressés, après sa mort, de tout brader à des collectionneurs avisés. Et voilà pourquoi, la plupart des tableaux de l’artiste aixois ont été pieusement recueillis par des amateurs étrangers, américains notamment. Il est vrai qu’au cours de sa vie, Cézanne n’a rien fait pour se rendre agréable, comme on le voit dans le film. Il fuyait toute vie mondaine qui aurait pu lui ouvrir les portes des salons bourgeois – les galeries n’existaient pas à l’époque. Il a fini sa vie en solitaire, ce qui lui convenait, tout en étant adulé par une poignée d’amateurs éclairés. C’est ce que raconte avec empathie Danièle Thompson.
Une phrase
- « Je veux peindre le vent ».
- « Je veux mourir en peignant ».
Paul Cézanne.
- « Sine die, sine linea » (pas un jour sans une ligne), inscription latine au-dessus de la cheminée du bureau de Zola à Médan.
- « Ce tournage a fait évoluer mes goûts. J’aimais les esthétiques très cadrées, les icônes, les dorures, et je commence à être ému par le vent dans les arbres, l’eau sur les rochers… ».
Guillaume Gallienne
L'auteur
Danièle Thompson baigne dans le cinéma depuis toujours puisque chacun sait qu’elle est la fille de Gérard Oury (1919-2006). En 1966, à 24 ans, elle démarre une carrière de scénariste pour les films de son père en commençant par un coup d’éclat, « La grande vadrouille », l’un des plus grands succès du cinéma français. Suivront « Le cerveau », « La folie des grandeurs », « Les aventures de Rabbi Jacob », « L’as des as » et bien d’autres qui ont rempli les salles d’éclats de rire. Elle se lance dans la réalisation en 1999 avec « La bûche » et continue avec « Décalage horaire », « Fauteuils d’orchestre », « Le code a changé », d’excellentes comédies que l’on revoit avec plaisir à la télévision. Mais son avant-dernier film, « Des gens qui s’embrassent » (2000), est un échec critique et public plutôt justifié. Voilà pourquoi elle a finalement lâché la comédie pour mettre en scène une histoire qui l’intéressait depuis longtemps, l’amitié de Cézanne et Zola. « Chaque fois que je finissais un film, dit Danièle Thompson, j’avais envie d’aborder cette histoire mais on me disait : “Fais une comédie, c’est ce que tu sais faire”. Jusqu’à “Des gens qui s’embrassent”, dont l’accueil m’a un peu déstabilisée ».
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