Au revoir là haut
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Thème
Novembre 1919. Au lendemain du premier grand carnage du XXème siècle, ses « poilus » tentent de survivre. Aux souvenirs des atrocités des tranchées. A leurs blessures physiques et morales. Au sadisme, aussi de certains qui, dans l’armée, furent leurs supérieurs, dont, entre autres ici, l’ignoble lieutenant Pradelle (Laurent Laffite).
Parmi ces hommes brisés, désocialisés, Albert Maillard, un modeste comptable à la compassion infinie (Albert Dupontel) et Edouard Péricourt, un jeune dessinateur, bohême, ultra doué, mais rejeté par son grand bourgeois de père (Niels Arestrup) en raison de son homosexualité (Nahuel Perez Biscayart).
Malgré leur différences, ces deux-là, le prolo au grand cœur et l’artiste rebelle que la guerre a réduit à l’état de gueule cassée, vont faire la paire. Ils s’étaient mutuellement sauvés la vie pendant les combats, dans le Paris interlope de l’après guerre, ils vont s’associer pour monter une arnaque en vendant de faux monuments aux morts...
Points forts
C’était un pari un peu insensé que de vouloir adapter pour le cinéma une odyssée picaresque de 600 pages qui avait raflé le Prix Goncourt en 2013 et tenu en haleine plus de 600 000 lecteurs… Mais, on le sait depuis son corrosif Bernie (1996), Albert Dupontel, amour fou pour le cinéma, humour trash et imaginaire hors norme, est un intrépide qui, pour défendre des causes qui lui tiennent à cœur, n’hésite jamais à aller s’aventurer sur des terrains casse-gueule. Un jour, par hasard cet incorrigible trublion lit Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre. En deux nuits de lecture, il décide qu’il va porter ce livre à l’écran. Non seulement le ton de cet ouvrage, entre tragique et comique, burlesque et pathétique, ironie (à l’égard des salauds) et compassion (à l’égard des laissés pour compte) lui convient parfaitement (c’est pile le sien !), mais il trouve ses personnages d’une modernité confondante, avec d’un côté, ceux qui souffrent en essayant de survivre et de l’autre, ceux qui les écrase par leur cupidité et leur avidité. L’époque, aussi, lui convient, lui inspire aussitôt un univers visuel très fort.
Deux ans, treize moutures de scénario, trois mois de tournage et quelques semaines de montage plus tard, voici sur grand écran cette histoire grandiose. La quadrature du cercle semble résolue. Le film est le miroir du livre. On y retrouve bien sûr ses personnages principaux, ses problématiques, ses rebondissements, mais on y retrouve aussi ce souffle qui avait soulevé les lecteurs du roman jusqu’à sa dernière page. C‘est pareil, ça procure les mêmes émotions, mais c’est, en plus, visuellement époustouflant. Par le biais de plans d’une beauté fracassante, le cinéaste a réussi à traduire le lyrisme de l’auteur.
A cela, ajouter une perfection côté distribution. On n’est pas prêts d’oublier les compositions des acteurs qui ont porté cette saga. Pourtant dissimulé sous des masques d’une folle, splendide et extravagante inventivité, Nahuel Perez Biscayart réussit à donner à saisir le désespoir et la créativité de son personnage de gueule cassée. Laurent Laffite incarne avec jubilation un salaud plus vrai que nature, sans chercher une seconde à le sauver. Niels Arestrup compose un père de marbre qui, dans une scène éblouissante, va soudain se briser. Quant à Albert Dupontel, il est bluffant d’humanité dans son personnage de petit comptable au grand cœur. Il faudrait citer aussi les « petits » rôles tous tenus par des comédiens qui les ont fait exister : Mélanie Thierry, Michel Vuillermoz, Emilie Dequenne, Philippe Uchan…
Quelques réserves
Même en cherchant bien, ce film cinq étoiles ne vacille sous aucune facilité. On n’y décèle aucune faille d’aucune sorte, ni formelle, ni rythmique, ni esthétique, ni scénaristique, ni non plus d’interprétation.
Encore un mot...
1 Le premier sur "Au revoir là-haut
« Au revoir là-haut » était (est) un grand roman. Albert Dupontel en a fait un grand film. Et personne ne pourra crier, ni à la simplification, ni à l’appauvrissement, ni à la trahison. Car même si le cinéaste, en accord avec l’écrivain, a pris des libertés avec son livre, notammenten ce qui concerne la fin, tout est fidèle. L’esprit est le même, sauf qu’ici, la lettre s’est faite image.
Dix huit ans après ses débuts de cinéaste, Albert Dupontel signe avec cet Au revoir là-haut son plus grand film. Son audace a payé. Sa passion et son respect pour les livres aussi.
2 Le second, sur un autre film
Un petit coup de projecteur sur un film sorti un peu trop silencieusement la semaine dernière, La Bête et la meute de Kaouther Ben Hania. Inspiré d’une histoire vraie, il retrace le parcours du combattant d’une jeune tunisienne pour faire arrêter les policiers qui l’ont violée. Passionnant, bien écrit, talentueusement tourné (plans-séquences, notamment, admirables), porté par une jeune actrice formidable (Mariam Al Ferjani) ce thriller haletant est édifiant sur la Tunisie d’aujourd’hui, qui malgré le Printemps arabe, ne s’est libérée ni de la corruption, ni de la domination masculine.
Une phrase
« En plus de mon plaisir de lecteur, j’ai trouvé le livre de Pierre Lemaitre extrêmement inspirant. J’y ai vu un pamphlet élégamment déguisé contre l’époque actuelle. Tous les personnages me paraissaient d’une modernité confondante… De surcroit le livre est un véritable mode d’emploi pour un scénario tant son écriture est visuelle et ses personnages parfaitement définis psychologiquement, le tout dans une narration aux rebondissements continus » (Albert Dupontel, réalisateur et acteur).
L'auteur
Né le 11 janvier 1964 à Saint-Germain-en-Laye, d’un père médecin et d’une mère dentiste, Philippe Guillaume ( le vrai nom d’Albert Dupontel) commence par suivre des études de médecine à la faculté. Il les plaque au bout de quatre ans pour suivre une formation théâtrale à l’Ecole du théâtre de Chaillot. Sollicité par Ariane Mnouchkine pour entrer dans sa compagnie, il refuse, et préfère se propulser seul sur scène. Pour préserver sa famille il se choisit son pseudo. C’est sous le nom d’Albert Dupontel qu’en 1990, cet artiste, déjà inclassable, crée une série de sketchs pour Canal+. Leur ton, grinçant et nouveau pour l’époque, lui permet de connaître le succès, dès ses premiers one man show.
En 1996, le comédien se lance dans la comédie avec Bernie, qui reçoit un bel accueil de la critique. En 1999, il écrit et réalise Le Créateur qui confirme sa singularité et son style décapant. Jusqu’à ce Au revoir Là-haut, Albert Dupontel a encore réalisé trois autres films dont il est l’auteur, Enfermés dehors (2006), Le Vilain (2009) et 9 Mois ferme qui lui a valu, en 2013 au Festival d’Angoulême, vingt minutes de standing ovation.
Jusqu’à présent, il n’avait jamais cessé parallèlement de faire l’acteur au cinéma (une quarantaine de rôles). Récemment, il a déclaré vouloir mettre cette carrière là entre parenthèses, pour se consacrer exclusivement à sa passion de toujours, la réalisation.
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