Le Roi en Jaune
traduit de l'anglais par Christophe Thill
Illustrations de Samuel Araya
Ed. Callidor
Octobre 2022
320 pages, Prix : 35 €
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Thème
Le Roi en Jaune est une pièce de théâtre aux pouvoirs fantastiques. Pour autant, ce recueil de nouvelles ne vous en délivrera ni le texte, ni l'intrigue, car ceux qui l'ont lu sont devenus fous, ou diront certains, auront quitté le monde "sensible" qui est celui de nos vies ordinaires. Le Roi en jaune, écrit en 1895 par Robert W. Chambers, est donc une œuvre mythique de la littérature fantastique de la fin du XIXème siècle. Elle est composée de dix nouvelles de Chambers, et d'une de son probable inspirateur pour ces étranges nouvelles, Ambrose Bierce. Si la première est une uchronie (Le restaurateur de réputation se passe à New York en 1925), les quatre suivantes sont étranges et fantastiques, et quatre encore sont des récits de la vie d'étudiants à Paris entre 1870 (un récit concerne le siège de Paris par les Prussiens) et le présent de l'auteur, les années 1890. Cette édition inhabituelle par son thème, sa facture (un papier de belle qualité, une couverture cartonnée illustrée) et son format (17X24), est enrichie des illustrations en pleine page de Samuel Araya, artiste paraguayen au style mystique et sombre.
Points forts
Parlons d'abord de la forme. Les Editions Callidor ont lancé la collection Collector pour restaurer le plaisir des beaux livres d'aventure du XIXème siècle. Cela a été dit dans le thème : couverture rigide, belles et grandes illustrations, lettrines et culs de poule (des embellissements des calligraphies), élégantes polices de caractère, cahiers reliés. Il faut bien entendu citer les œuvres de Samuel Araya, réalisées pour ce livre, empreintes d'un ésotérisme et d'un symbolisme très marqués, et dans l'esprit de cette pièce de théâtre mystérieuse, noire et trouble.
Parlons du fond. Robert W. Chambers a écrit ces nouvelles dans les années 1890, alors qu'il commençait sa carrière d'écrivain. Américain étudiant aux Beaux arts à Paris, il y a vécu plusieurs années. Ainsi, la plupart des nouvelles s'y déroulent, avec un souci du détail qui traduit sa connaissance personnelle des lieux qu'il décrit avec une plume raffinée et poétique. Du moins est-ce le jugement que nous pouvons porter aujourd'hui, car ce style d'écriture qui s'attache aux détails, aux lumières et aux ambiances est marqué par ce siècle de grande littérature, et quelques maîtres en la matière.
Les récits sont donc agréables à lire, étranges, poétiques, sentimentaux, surprenants, car il est bien difficile, dans ces textes assez courts (une vingtaine de pages en moyenne), de deviner où l'auteur va nous emmener.
Vie quotidienne, fantastique, presque science fiction, voyage dans le temps… les genres sont mélangés et composent un ensemble très inhabituel dans la littérature d'aujourd'hui.
Enfin, il est juste de rendre hommage à une traduction vraiment ciselée dans une adaptation qui valorise ce français que l'on qualifié de "soutenu". Et de citer les préfaces de Christophe Thill (traducteur de l'ouvrage et spécialiste français de RW Chambers) et la postface sur la vie de l'auteur, écrite en 1984 par S.T Joshi, auteur lui-même et critique américain spécialisé dans le "surnaturel", et en particulier, l'œuvre de H.P Lovecraft.
Quelques réserves
Formellement aucune ! Sur le fond, on pourra être surpris que cette littérature fut qualifiée de fantastique et noire, tant les détails sont allusifs, les descriptions sobres.
Dans ce patchwork d'aventures, la chute peut laisser un peu sur sa faim, ne permettant pas de faire facilement le lien (s'il existe) avec les histoires précédentes, sauf à reconnaitre que les personnages centraux sont étudiants aux Beaux arts, et que de jaune, il est question !
Encore un mot...
Le Roi en jaune, comme le dit l'exergue sur la collection Collector, renoue avec la tradition des beaux livres des XIX et début de XXème siècle ! Et cela fait plaisir. Ces livres avaient la solidité des livres qui se lisent et se transmettent, l'élégance qu'inspirait alors la littérature - et plus largement la culture. Pas de propos nostalgiques pour autant, mais une opportunité amusante et littérairement intéressante de se replonger dans ces nouvelles qui, de Lovecraft à Melville, Bierce, Chambers et autre Edgar Allan Poe, ont séduit et plongé dans l'effroi des générations de lecteurs. S'il est assez largement écrit que ces nouvelles entrent dans la case "horreur", sans doute faudrait-il inventer un nouveau mot pour traduire le contenu des nouvelles et romans modernes qualifiés comme tels ! Rien d'horrifique dans ces nouvelles, si ce n'est le malaise de l'étrange et de l'inexplicable, duquel transpire une assez belle poésie.
Une illustration
Une phrase
Au long du lac se brisent les vagues de nuages
Les deux soleils jumeaux meurent sur ses rivages
Et les ombres s’allongent
Sur Carcosa
Si étrange est la nuit sous les étoiles noires
Si étranges les lunes tournant au ciel du soir
Mais plus étrange encore
Est Carcosa
Les chansons qu’aux Hyades un jour on chantera
Là où flottent en bruissant les guenilles du Roi
Doivent mourir sans bruit
Dans Carcosa
Ma voix déjà se meurt et le chant de mon âme
Doucement s’évanouit comme sèchent les larmes
Qu’on n’a jamais versées
A Carcosa
Chanson de Cassilda
Le Roi en jaune, acte I, scène 2.
En introduction à la nouvelle Le Restaurateur de réputation
L'auteur
Robert W. Chambers est un écrivain américain, très connu de son vivant, en particulier dans le premier quart du XXème siècle. Son œuvre est plutôt "romantique", romans d'amour et autres romans feuilletons publiés dans les grands quotidiens de l'époque. Il a écrit un très grand nombre de romans, des livres pour la jeunesse, et des recueils de nouvelles.
C'est dans ce cadre que s'inscrit Le Roi en jaune, qualifié en son temps comme un chef d'œuvre de la littérature fantastique, inspirateur de nombreux auteurs des deux cotés de l'Atlantique. Ces nouvelles ont inspiré, notamment, les inventeurs des "Jeux de rôles", et plus proche du grand public, la série américaine The True Detective, en 2014.
Samuel Araya est un artiste et illustrateur Sud Américain. Très sensible à l'occultisme, il travaille sur de nombreux supports et techniques, des illustrations souvent sombres et mystérieuses. Il a reçu en 2015 le World Fantasy Award.
Et aussi
SALAMMBÔ, de Gustave Flaubert, réédition illustrée par Suzanne-Raphaële Lagneau
Écrit par Gustave Flaubert, édité en 1862, Salammbô raconte le conflit, qui eut réellement lieu 3 siècles avant Jésus-Christ, entre les Carthaginois et les mercenaires qu'ils avaient employés contre Rome. Salammbô, prêtresse de Tanit, la Lune, et fille du magistrat suprême de Carthage, Amilcar, s'attache à Mathô, le chef des mercenaires. Le roman, qui se veut historiquement fidèle et très détaillé, est le double récit de leur amour et de la révolte, sanglante, des esclaves. Il présente une antiquité grandiose et violente, et des amours impossibles autours desquelles plane la déesse de la nuit.
Pour cette édition sous forme de "beau livre", la mise en page, le style et le placement des illustrations rappelle en effet les beaux livres de l'Entre-deux-guerres, qui, à cette époque-là, valorisait de belles gravures.
Suzanne-Raphaële Lagneau (1890 -1985) fut la première femme à illustrer Salammbô, dans un style arts nouveaux, aux couleurs vives et parfois sanglantes - 70 illustration émaillent le récit de Gustave Flaubert et restaurent le style et l'ambiance de ces beaux livres d'aventure illustrés.
Editions Callidor, Octobre 2022, 416 pages, 39 €
Recommandation : ♥♥♥
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