IPHIGENIE
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Thème
La mer est d’huile, le ciel est immobile, et l’Oracle a parlé : pour que les vents se lèvent de nouveau et que les Grecs puissent cingler vers Troie, il faut que leur chef, Agamemnon, sacrifie sa fille Iphigénie. Le camp entier piaffe, n’attend que de partir, et Agamemnon a donné sa parole. Pourtant, il est à l’agonie. En lui, le père aimant le dispute au conquérant. Sans cesse, il oscille. Quand son secret est découvert, la situation s’embrase : il commande ; la sage Iphigénie accepte d’obéir et s’oppose passionnément à sa mère et Achille, son futur époux, déterminés à arrêter le bras d’Agamemnon. C’est finalement par Eriphile, captive des Grecs, princesse sans nom à la naissance inconnue, que le nœud tragique est tranché : l’Oracle révèle que son premier nom fut Iphigénie. Elle est celle que les Dieux réclament. Alors qu’elle plonge elle-même le couteau dans son sein, les vents se lèvent.
Points forts
Iphigénie n’est pas la pièce de Racine la plus brillante ni la plus déchirante. Elle se caractérise plutôt par sa simplicité et ses rebondissements (même si l’intériorité y est présente). Ceci n’entame pas pour autant la langue, la musique de l’alexandrin, qui procurent une véritable émotion chez le spectateur. Pour les savourer pleinement, je recommande tout de même d’avoir (re)lu le texte – malgré la virtuosité des acteurs à nous la rendre accessible, cette langue en vers qu’entendaient sans difficultés les courtisans de Louis XIV est loin de notre prose actuelle...
La scénographie de Stéphane Braunschweig réussit son adaptation à la crise sanitaire et à ses contraintes. Il en tire même parti. Profitant de l’espace modulable de Berthier pour placer les spectateurs bien à distance, il jette la scène rectangulaire au milieu du public comme un bateau sans voile, et en panne. Sur un immense écran, la mer, unité de lieu, et le ciel dont les couleurs évoluent à mesure que le jour avance, unité de temps. En guise de coulisses, la salle et une double porte vitrée qui, telle une gueule d’enfer, éclairée en rouge et dégageant de la fumée, aspire les personnages vers leur destin. Parfait.
Jean-Philippe Vidal (Agamemnon) et Virginie Colemyn (Clytemnestre) sont éblouissants. A la fois chef charismatique et père accablé, J.-P.Vidal dit son texte avec une incroyable évidence, on ne perd pas une nuance des débats de son personnage avec lui-même ou avec les autres. Dans sa bouche, le personnage semble parler un langage moderne (et pourtant respectueux de l’alexandrin). Quant à V.Colemyn, elle incarne une Clytemnestre absolument juste, digne dans la douleur, contenue dans l’indignation, et dont le jeu ne s’emporte qu’au moment crucial. Deux acteurs exceptionnels, qui savent jouer des silences autant que des mots.
L’ actualité de la pièce – « un monde à l’arrêt » – a donné l’envie à Stéphane Braunschweig de monter Iphigénie à un moment où il pensait plutôt s’atteler à Pirandello. Dans les vers de Racine résonnent des questionnements proches des nôtres aujourd’hui. Quand la transcendance ou un virus suspendent le temps, quelle sera la réaction des puissants ? Comme Ulysse, ne voient-ils pas d’alternative à toujours plus de conquêtes, de profits ? Comme Agamemnon, réussiront-ils à introduire de la complexité dans leur monde intérieur ? Que sommes-nous prêts à sacrifier : nos enfants, ou notre croissance ? Bref, avons-nous tellement besoin d’aller écraser Troie quand tout nous annonce un désastre... La pièce fait retomber la faute sur Eriphile, l’étrangère. Et nous, céderons-nous à la tentation facile de montrer du doigt les migrants pour les accuser de nos maux ?
Quelques réserves
L’acoustique, qui étouffe la fin des vers chez certains acteurs, à certains moments. Cela oblige à tendre l’oreille et nuit aux nuances de l’interprétation.
L’interprétation de Suzanne Aubert – Iphigénie enragée plutôt que tragique et dont le jeu corporel est répétitif. On aimerait une Iphigénie en retenue brûlante, plus intense, qui sache certes s’indigner mais en mettant en valeur le courage, la sagesse et la piété filiale propres au personnage. Dommage.
Encore un mot...
Une création en résonance avec la crise que traverse la planète, sobrement scénographiée comme il convient à Racine, et jouée avec une justesse variable – mais cette dernière remarque est strictement subjective.
Une phrase
Agamemnon : les Dieux depuis un temps me sont cruels et sourds.
Iphigénie : Calchas, dit-on, prépare un pompeux Sacrifice.
A. : Puissé-je auparavant fléchir leur injustice !
I. : L’offrira-t-on bientôt ?
A. : Plus tôt que je ne veux.
I. : Me sera-t-il permis de me joindre à vos vœux ?
Verra-t-on à l’Autel votre heureuse famille ?
A. : Hélas !
I. : Vous vous taisez ?
A. : Vous y serez, ma Fille.
L'auteur
Après des études de philosophie, Stéphane Braunschweig reçoit sa formation à l’école de Chaillot dirigée par Antoine Vitez. Il fonde sa compagnie en 1988, dirige le Centre dramatique national d’Orléans, le Théâtre national de Strasbourg, son école La Colline-Théâtre national et depuis 2016 le théâtre de l’Odéon. Aujourd’hui âgé de 56 ans, il a signé plus de 70 mises en scène dans un large répertoire. Il est aussi intervenu à l’Opéra.
Commentaires
suzanne aubert est superbe, vous vous trompez
Personne ne se "trompe"; chacun a un avis et peut le donner.
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