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Trahisons
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Thème
Emma et Jerry boivent un verre. Elle est galeriste, métier qui la comble, il est agent littéraire. Tous deux sont mariés chacun de leur côté, et parents. Robert, le mari d’Emma, est le meilleur ami de Jerry avec qui il joue régulièrement au squash.
Le dialogue des deux personnages révèle qu’ils ont entretenu une longue relation amoureuse aujourd’hui terminée mais qui a duré sept ans. Puis Emma avoue : elle a, la veille, révélé à son mari la « trahison » dont ils ont tous les deux été les acteurs. Commence alors, au gré d’un récit à rebours, l’évocation de ces sept années d’adultère et de triangle amoureux.
Points forts
La subtilité sans fioriture de Pinter est mise au service d’une autopsie exempte de psychologie, et évite par là même les pièges de ce qui pourrait être la description grossière d’une relation perverse : Emma est adultère et dissimulatrice sans être ni infame, ni innocente ; les deux hommes, unis par une amitié passionnelle, sont à la fois avertis et candides, faux et vrais. Chacun est pris dans ce jeu sérieux, chacun est sincère à sa manière, il n’y a, à proprement parler, ni vérité ni mensonge : c’est l’amour, c’est l’amitié qui sont fragiles et impermanents.
A la fois minutieux et elliptiques, les dialogues témoignent – comme chez Sarraute, la contemporaine de Pinter - de l’impuissance des êtres à se dire ce qu’ils voudraient se dire, de leur propension à esquiver toujours le feu du sujet, à danser autour de lui, plutôt que de prendre le risque de s’y brûler, orchestrant une magnifique dramaturgie du silence.
Raconter cette histoire en usant d’une chronologie renversée n’est pas un exercice de style : il s’agit ici de dévoiler progressivement l’épaisseur de ce que fut l’événement, d’interroger avec précision la nature du lien amoureux, la circulation du désir et l’épuisement progressif du vertige qu’il procure.
Les comédiens sont impeccables, avec une mention spéciale pour Swann Arlaud et sa grâce d’elfe désinvolte et amoureux, fragile et impavide, rayonnant doucement.
Les intermèdes musicaux, l’esquisse de pas de danse, tout est beau et juste dans ce spectacle qui se tient toujours en lisière du drame.
Quelques réserves
On peut tiquer (et surtout souffrir) devant la balade des tubes de néons verticaux et aveuglants : s’il s’agit de suggérer que, comme toute relation profonde, celle-ci demeure énigmatique, et que la lumière n’éclaire que le vide ?
Encore un mot...
Le trio classique du théâtre bourgeois – le mari, la femme, l’amant – est ici déconstruit, révélant l’essence, la profondeur et toute la complexité des liens qui unissent les protagonistes. Ils se déchirent sobrement, en sourdine, avec une élégance presque détachée. Aucun d’entre eux ne manœuvre ou ne manigance. Ils sont tour à tour plein de désirs, de craintes, de fugaces lâchetés, de cruauté, de candeur et de dissimulation.
Le stéréotype vole en éclat, et permet d’arpenter toues les possibilités offertes par la triangulation : qui aime qui ? Qui trahit qui ? Qui est victime, qui est coupable ? La trahison n’est-elle pas au fond l’ultime preuve de l’amour ou de l’amitié, sa révélation scellant à jamais la destruction de ce lien ?
Ces questions restant sans réponses donnent tout son relief et sa valeur à ce récit d’un désastre annoncé plein d’opacité et de révélation, de mystère et d’obscure clarté.
Une phrase
Jerry : « J’essaye pas de dire quoi que ce soit, j’ai dit mot pour mot tout ce que j’avais à dire ».
Robert : « J’ai toujours beaucoup aimé Jerry. A vrai dire, je l’ai toujours aimé plus que je ne t’ai aimé. C’est peut-être moi qui aurait dû avoir une histoire avec lui. »
Emma : « Rien n’a jamais existé que nous. Nous, c’est la seule chose qui a jamais existé. »
L'auteur
- Comédien, scénariste et dramaturge anglais, Harold Pinter, prix Nobel de littérature en 2005, participe au renouveau théâtral britannique dans les années 1950. Forgeant un théâtre de l’intimité, il explore méthodiquement les méandres de relations humaines toujours singulières.
- Trahisons, créé en 1978, a longtemps été bannie de la Comédie française par un décret interdisant de jouer un auteur étranger de son vivant, avant d’entrer au répertoire en 2014. La pièce a été adaptée au cinéma en 1983 par David Hugh Jones, sous le titre Trahisons conjugales.
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