L'épreuve
Infos & réservation
Thème
La pièce qu’on nous présente à la Scala en ce moment, interprétée par l’Académie de la Comédie-Française, est la énième version de la pièce éponyme de Marivaux, après L’épreuve nouvelle, L’épreuve villageoise, etc...
Les personnages, souvent masqués et intemporels, sont aussi issus de l’expérience vécue par les jeunes protagonistes, enfants-cobayes de La Dispute, autre pièce fascinante de Marivaux. Les enfants-cobayes étaient le sujet d’expérience du Prince, désireux de savoir si, sans bagage intellectuel prédéterminé, ils parviendraient à bâtir un monde meilleur après la catastrophe qui va survenir.
Cette expérience voulait que Lucidor, le héros et fils d’un personnage énigmatique et “sadien“, se mette en tête d’éprouver l’amour d’Angélique : l’aime-t-elle vraiment ? N’aime-t-elle pas plutôt sa fortune ? En effet, Lucidor est issu d’une famille bourgeoise fortunée, tandis que la candide Angélique, portant bien son nom, est d’un milieu plus simple.
Tout au long de cette Epreuve, les personnages, tous jeunes, s’amusent à changer de rôle pour un moment, pour une heure ou deux, dans l’idée de tester l’autre, le temps d’une fête. Il s’agit par exemple d’évaluer sa sincérité jusqu’au bout et d’assister éventuellement aux tromperies, de tester la fidélité à soi-même et aux autres. Dans ce jeu cruel de l’amour et du hasard, on vérifiera lequel des deux sexes est celui qui est le plus constant ou le plus inconstant.
Dans la présente version, on se retrouve enfermé dans une sorte de huis clos, dans la cave d’un immeuble parisien, où quatre amis se retrouvent chaque week-end pour participer à un jeu, ce fameux jeu “de la dispute et de l’épreuve“, dont les acteurs entre eux déterminent les règles, semaine après semaine. Mais, un soir, l’un deux décide d’inviter une inconnue.
Dès lors, la pièce n’est plus écrite et s’improvise devant nous, car cette inconnue va modifier totalement les rapports des uns par rapport aux autres. Le groupe se trouve dès lors pris au piège d’une partie qui lui échappe.
Points forts
- Outre l’énergie déployée par l’ensemble des protagonistes on relèvera, émergeant d’échanges et de situations souvent trop confuses, la vérité et l’empathie émanant du personnage d’Angélique, fraiche et sincère.
Quelques réserves
Si l’on comprend bien que les personnages de L’Epreuve continuent à vivre l’expérience de leur enfance, décrite dans La Dispute (du même auteur), ce mélange donne un corpus théâtral un peu confus : on a du mal à distinguer les scènes de fête du présent de celles du passé.
Des expressions scéniques au niveau de la ceinture (ou en-dessous) puisque, clin d’œil ultime d’une mise en scène souvent osée, on est par moment en pleine querelle du genre ; les sexes se mélangent, il n’y a plus de tabous. On s’approche d’une ligne rouge contemporaine où l’amour se joue sur scène - ou plutôt un simulacre d’amour - la recherche du plaisir à tout prix…
On sait maintenant que les manifestations d’amour dans un couple peuvent être aussi convaincantes quel que soit le sexe, mais là c’est trop, ce n’est plus du marivaudage, c’est à la limite du voyeurisme. Il est vrai que le metteur en scène reconnait que, pour fuir la banalité et les habitudes intellectuelles et sensorielles, il ne craint pas la vulgarité. De ce point de vue, on est amplement servi-e-s.
Encore un mot...
Cette pièce est une « épreuve » qui tient davantage d’un enfer sartrien que des joutes amoureuses de Marivaux.
Une phrase
« Cette pièce est pour moi un essai, une épreuve aussi. Elle emprunte autant à Marivaux qu’à de nombreux autres modèles, on y trouvera des lambeaux de répliques, ou même d’articles écrits par Marivaux dans Le Spectateur français ou dans Le Cabinet de philosophe, des bribes de ses romans, des chutes de mon mentor, Simon Stone, qui m’a fait plonger dans l’écriture radicale d’œuvres théâtrales, de citations de Malebranche, de Simone Weil, de Paul Thomas Anderson et de nombreux autres auteurs. Il s’agit pour moi d’apprendre en volant, en vandalisant, en triturant… »
L'auteur
La version originale de l’Epreuve, qui tire également son inspiration ici de La Dispute, a été créée par l’auteur du Jeu de l’amour et du hasard, le génial inventeur des « jeux fous » du XVIIIe siècle.
Cette pièce est une adaptation librement inspirée de l’œuvre de Marivaux, mise en scène par Robin Ormond, jeune metteur en scène d’à peine 35 ans, formé auprès de la troupe du Théâtre National de Strasbourg. Après ses études à Sciences-Po Paris, il monte ses premières productions au Théâtre Nancy-Lorraine, puis au Theater Basel.
Ormond a été l’assistant de Simon Stone pour les Les trois sœurs à Bâle, puis à l’Odéon à Paris. Il collabore ensuite avec d’autres metteurs en scène comme Silvia Costa ou Lilo Baur. Il est également traducteur. En tant que metteur en scène, il monte notamment La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès au Theater Basel. Robin Ormond est également enseignant à Sciences-Po Paris et a été metteur en scène-dramaturge de l’Académie de la Comédie-Française pour la saison 2022/2023.
Ajouter un commentaire