L’odeur de la guerre
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Thème
Être une fille est-il en soi un handicap ? Comment grandir quand on est une fille ? Si la vie est un combat, les multiples personnages qui se croisent et dialoguent en une seule comédienne posent, chacun à leur façon, la question essentielle.
Jeanne, de huit à dix-huit ans, explore tous les défis posés à sa génération : les rapports avec ses parents, obsédés par les diplômes, ceux avec et dans l’univers impitoyable de l’école - les professeurs peu à l’écoute et les camarades qui harcèlent en mode « même pas avec un bout d’bois j’la touche, celle-là » - sans parler de ces garçons qui se livrent à des « agressions physiques dites accidentelles », scène matricielle du trauma, contre lequel il faudra se battre encore et encore.
Pour se défendre, Jeanne se réfugie dans ses pensées : dans ses rêves, sa mère se noie comme dans les scènes de Titanic, sauf que c’est avec le cartable de marque dont sa fille ne veut plus... Son père, Tonio, est un manutentionnaire qui, incapable de la comprendre, inflige à sa fille le traitement qu’il aurait réservé au fils qu’il rêvait d’avoir à la place de Jeanne. Les amies de celle-ci ne sont pas calibrées pour comprendre ses questionnements, à l’instar de Dounia, une cagole de la plus belle eau, dont le but dans la vie est de devenir patronne pour « plier l’game. »… Bref, on nage en plein Je parle comme je suis (Julie Neveux, Grasset, 2020).
Par instinct et après quelques tâtonnements, la voie s’ouvre vers un équilibre gagné de haute lutte grâce à la boxe et à la magie du verbe théâtral.
Points forts
La mise en scène, extrêmement dépouillée, laisse place à une comédienne-caméléon qui joue tous les personnages, change de voix, bouge, grimace dans une expression qui est celle d’une poétique du corps, articulé et désarticulé sous l’effet de la violence.
La performance théâtrale de ce “seule en scène“, d’une puissance incroyable, vaut d’être saluée tant les mots résonnent fort et juste quand ils se déploient dans le mouvement.
Un humour maîtrisé, plein de finesse et de sensibilité, permet d’aborder des thèmes aussi graves que la violence familiale, la violence scolaire, la violence sexuelle, la violence professionnelle, tout en brossant le portrait, tendre malgré tout, d’une mère esseulée, sans empathie et pathologiquement attachée à son chien, seule source d’affection, mais aussi d’un père fermé et violent, et d’un monde adolescent guère plus policé, ainsi que l’avanie de Pôle emploi, à quoi se résume le monde du travail.
Dans cette galerie de portraits aux accents autobiographiques, le professeur de boxe - au ton faussement brutal, mais qui permet un nouvel accès au corps martyrisé - et le (ou la) professeur(e) de théâtre, dont l’air, le ton et les sentences inspirées (« J’accueille, je transforme ») ne sont pas sans rappeler Daniel Mesguich, mais qui parviennent à libérer l’esprit - s’avèrent particulièrement savoureux et pertinents.
Quelques réserves
- Le cliché de la boîte de nuit comme lieu de prédation pour les mâles et de perdition envers les filles aurait pu être évité, dans la mesure où il ne fait qu’illustrer les démons qui hantent une figure maternelle qui ne rêve que d’enfermer sa fille, comme elle-même se trouve emprisonnée au foyer.
Encore un mot...
- Au-delà de la prestation virtuose de Julie Duval, le monde qui s’anime sous les yeux du spectateur, pour être cruel et angoissant, porte paradoxalement un message optimiste à destination de la jeunesse parce qu’il peut être transformé par la volonté, la ténacité, le travail dont il n’est jamais inutile de rappeler qu’il s’avère, dans nos sociétés sécularisées, la forme de rédemption majeure.
Une phrase
Tonio (le père) : « Sans diplôme, t’es personne… Faites des filles, va ! »
Jeanne :
« Bonjour, je m’appelle Jeanne, j’ai huit ans. Aujourd’hui, c’est mon anniversaire, et j’ai des gants de boxe et le DVD de Titanic… »
« C’est horrible d’être une fille… Je ne sens pas mon corps. »
- Francesco (l’entraîneur de boxe thaïe) : « La boxe ce n’est pas de la bagarre, c’est l’équilibre. »
L'auteur
Formée au Cours Florent de 2011 à 2015, Julie Duval pratique, à haut niveau, la boxe thaïlandaise. Sport et théâtre façonnent son univers artistique. Après avoir créé et joué en 2019 Aux poings avec Alix Andréani au 100ecs à Paris (puis au théâtre de la Tempête en juin 2021), Julie Duval poursuit en 2020 avec son seule en scène L'odeur de la guerre, mis en scène par Juliette Bayi, rencontrée au cours Florent, et elle remporte le Concours des fléchettes.
Programmée au Théâtre de La Flèche en octobre 2021, elle joue, en juillet 2022, L’odeur de la Guerre à Avignon à la Scala-Provence. Après des débuts difficiles, le spectacle connaît un succès croissant grâce au bouche à oreilles et aux excellentes critiques. Avec sa metteuse en scène, elle fonde l'association Jemmes, qui donne la parole aux femmes.
Julie Duval enseigne en parallèle le théâtre à la Guild et la boxe au Palais de la femme, tout en s’engageant dans des actions culturelles avec le 104 et le Théâtre Studio à Alfortville.
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