Article 353 du Code pénal
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Thème
Au milieu des vagues, un homme appelle à l’aide son « ami » Kermeur qui ne bouge pas et le laisse se noyer. Rentré au port, Martial Kermeur, le narrateur de cette histoire, qui n’entend pas se « soustraire à la loi », est arrêté par la police.
Au juge, il raconte son histoire, celle d’un « homme parmi ceux qui ne sont rien » et qui n’ont pas beaucoup de chance : le billet de loto gagnant mais pas validé, le divorce, le licenciement de l’Arsenal, le fils Erwan qui développe en grandissant une « énergie noire », et puis les séduisants projets d’un promoteur immobilier, Antoine Lazenec qui rêve de créer un “St Tropezbis“ dans la rade de Brest. Martial se laisse convaincre par ce beau parleur, malgré la Porsche, les chaussures pointues et la chemise ouverte, et, comme une partie des habitants du bourg, il investit sa prime de licenciement dans le projet.
Or, le promoteur n’est pas seulement flambeur et véreux, il est aussi suffisant, sans vergogne, et plein d’une outrecuidance qui lui permet de continuer à parader et à humilier ses victimes.
Points forts
Au gré de ce huis-clos qui tient du monologue intérieur, se dévoile la généalogie du crime, mais aussi et surtout l’intériorité d’un homme miné par le peu de confiance qu’il a dans son langage, par le sentiment de sa dignité perdue et par l’impuissance de son amour pour son fils.
Dans le rôle de Martial, Vincent Garanger, trapu et dense, est parfait, sans humilité ni colère excessive, accablé par le sort certes, mais blessé sans pathos, totalement en phase avec les mots qu’il prononce.
La projection des très belles vues de la rade, de la mer et de quelques silhouettes confirment la mélancolie lasse de ce récit déchirant.
Quelques réserves
- La levée de terre figurant à la fois la côte bretonne, le rectangle idéal de la maquette qui a fait rêver toute la commune, le chantier inachevé et le cabinet du juge est une bonne idée, mais hélas de facture assez laide.
Encore un mot...
L’article 353, qui est un article du code de procédure pénale et non du code pénal (qui forment deux corpus bien différents), stipule en réalité que l’intime conviction concerne les jurés : « Avant que la cour d'assises se retire, le président donne lecture de l'instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations : Sous réserve de l'exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d'assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, (…) ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ? ". » Pure liberté d’écrivain, elle ne s’adresse pas au juge d’instruction et n’a, à ce stade de la procédure, aucun sens juridique.
Mais ce juge qui, de fait, refuse son costume de garant de l’ordre social, qui trahit son engagement en n’étant pas ce tiers impartial que l’institution attend qu’il soit, restaure un peu de la dignité humaine… Il n’y aura ni procès ni condamnation.
Un polar breton ? Pas vraiment, puisqu’il n’y a ni enquête ni vrai mystère, même si le dénouement vaut la peine. Mais une tragédie contemporaine, un roman social certainement, qui, en nous parlant de lutte des classes et de paix sociale, dit quelque chose de la noblesse qu’il y a, parfois, à trahir la justice.
Une phrase
« Peut-être qu'à n'importe quel âge, on encaisse le monde comme il va et puis c'est tout. Et seulement certaines heures en s'écoulant font comme des marques noires qui vous construisent. Même la pire des crapules, y’a des moments où elle n’est pas une crapule. »
« Peut-être que la mémoire ce n’est rien d’autre que ça, les bords coupants des images intérieures, je veux dire, pas les images elles-mêmes mais le ballottement déchirant des images à l’intérieur de nous, comme serrées par des chaînes qui les empêchent de se détacher, mais les frottements qui les tendent et les retiennent, ça fait comme un vautour qui vous déchire les chairs, et qu’alors s’il n’y a pas un démon ou un dieu pour vous libérer, le supplice peut durer des années. »
« Est-ce que la silence c'est comme l'obscurité ? Un trop bon climat pour les champignons et les mauvaises pensées ? »
L'auteur
Né en Bretagne, Tanguy Viel a été publié dès son premier roman (Le Black Note en 1998) par les Éditions de Minuit.
Article 353 du Code pénal (2017) est son neuvième roman, récompensé par le Grand Prix RTL Livre et le Prix François Mauriac. Son œuvre explore les rapports de classes, les liens familiaux et les relations père/enfant. Avec comme objectif, selon ses mots, de « refabriquer du vivant. »
Tanguy Viel a obtenu le prix Fénéon et le prix de la Vocation pour L’Absolue perfection du crime. Et a collaboré à l’écriture du film de Louis Garrel, L’Innocent (César 2023 du meilleur scénario).
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