Le Suicidé

Tant qu’à mourir, autant que cela serve à quelque chose !
De
Nicolaï Erdman
Scénographie : Eric Ruf
Mise en scène
Stéphane Varupenne
Avec
Sylvia Bergé, Florence Viala, Julie Sicard, Adeline d’Hermy, Anna Cervinka, Léa Lopez et Jérémy Lopez, Clément Hervieu-Léger, Serge Bagdassarian, Clément Bresson, Christian Gonon, Adrien Simon, Melchior Bu
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Comédie Française - Salle Richelieu
Place Colette
75001
Paris
01 44 58 15
Du 11 octobre 2024 au 2 février 2025

Thème

  • Dans la Russie soviétique des années 1928-1930, l’emprise de Staline, à la conquête du pouvoir depuis 1924, grandit. L’action se situe en 1929, alors que les fondements de la société russe traditionnelle russe s’effondrent et les valeurs disparaissent : religion, propriété, liberté sont mises à bas, la politique de collectivisation et d’oppression en a eu raison. La Russie stalinienne prend le chemin de la terreur…

  • Les laissés-pour-compte de la société soviétique, en particulier la petite bourgeoisie, admiratrice nostalgique de la défunte monarchie, vivent alors dans l’angoisse. Le Suicidé raconte la vie d’un déclassé, chômeur et dépressif, Semione, coincé avec sa femme et sa belle-mère dans un minuscule logement collectif, une kommunalka

  • C’est là que Semione  Semionovitch,  petit bonhomme ordinaire et chômeur sans ressort, se réveille en pleine nuit, affamé, et réclame à sa femme, qui est au lit, un morceau de saucisson. N’obtenant pas gain de cause, il se rue à la cuisine pour se le procurer.  Mais exiger du saucisson en ces temps de famine, c’est un comble, mieux : un luxe ! Une scène de ménage éclate. Semione décide alors de quitter l’appartement communautaire et disparaît. Sa belle-mère et sa femme se persuadent qu’il a voulu mettre fin à ses jours… 

  • Qu’en est-il vraiment ? Pour en avoir le cœur net, rendez-vous (au Français dans sa merveilleuse salle Richelieu) avec  son auteur, dont Gorki disait  qu’il était un nouveau Gogol. Méfiez-vous quand même, car le texte du Suicidé, étant considéré comme calomniant la réalité soviétique, a valu l’exil à son auteur en exil et le bagne à son ami Kachalov.

Points forts

  • Au-dessus de tout, d’entrée de jeu et tout au long de la pièce, une interprétation magistrale (Jeremy Lopez joue Semione), servie par une mise en scène étourdissante et soutenue par le décor magique d’Eric Ruf. 

  • Plus globalement, le génie d’Erdman est de faire d’une galerie de personnages pathétiques une série de figures attachantes, presque philosophiques, en tout cas extravagantes.

  • Le grotesque chez Erdman est au service d’une seule vérité, le désir de vie confronté à la puissance de l’État et à sa censure. Sa force ?  Une prose terriblement efficace, une  drôlerie désespérée, une puissance dramatique au cœur  d’un questionnement existentiel. L’esprit de la pièce est terriblement actuel et se résume dans un cri : c’est le : « Je veux vivre » de Semione (voir les extraits). 

Quelques réserves

  • Les comédies burlesques les plus courtes sont les meilleures, mais Le Suicidé n’en finit pas de mourir  (2h20).  Le candidat au suicide va-t-il disparaître finalement et de quelle façon ? Le suspense est quasi insoutenable. 

Encore un mot...

  • Cette comédie, à la fois grinçante et burlesque, constituait à l’époque une charge contre l’opportunisme régnant au sein du parti bolchévique et de ses relais politiques depuis la Révolution d’octobre, qui veulent s’imposer au nom d’un unique symbole fort : la détention d’une carte de membre du Parti Communiste d’Union Soviétique (PCUS). 

  • Mais la pièce va bien au-delà de son époque, car ce qui apparait comme très contemporain et reste fascinant de bout en bout, c’est que les gens deviennent progressivement cyniques, opportunistes, délateurs sans autres idéaux ni de perspectives de transcendance dans leur vie. Ce sont des petites gens un peu pathétiques, des pantins dont l’Histoire se joue. Ils  sont en « perte d’humanité comme chez Kafka ou dans le Révizor de Gogol. »

Une phrase

• Semione :
- « Quand vous coupez la tête d’un poulet il continue à courir, et moi aussi, je veux vivre même comme un poulet à la tête coupée. Oui, je veux vivre ! »
« Je n’étais qu’un homme qui vivait comme un homme. »  [lors du banquet final].

L'auteur

  • Nicolaï Erdman est né à Moscou le 16 novembre 1900. Il intègre à 18 ans le mouvement d’avant- garde des Imaginistes et publie de nombreux poèmes, jusqu’à la création du Mandat qui remporte un véritable triomphe dès 1925, l’année où Staline entreprend la conquête du pouvoir en URSS. La pièce, jouée 350 fois dans toute l’Union Soviétique, sera censurée en 1930 et retirée de l’affiche jusqu’en 1956.

  • En  1928, Erdman écrit Le Suicidé, pièce interdite dès 1932. Il sera exilé en Sibérie trois ans (1933 -1936) puis interdit de séjour à Moscou. En 1949, retour à Moscou. Il n’écrira plus de pièces, se consacrant au cirque et à la comédie musicale. En 1965, sous Brejnev, Le Suicidé sera une nouvelle fois censuré. 

  • En 1970, Nicolaï Erdman meurt à Moscou, et il faut attendre 1981 pour que le Suicidé soit monté à Moscou dans une version expurgée, puis 1984 pour la voir à Paris reprise par la Comédie Française, à l’Odéon. Ce n’est qu’après la Perestroïka, en 1987, que les deux seules pièces de Nicolaï Erdman seront produites dans leur « intégrité. » 

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.

Toujours à l'affiche