Le procès de Jeanne
Conception : Judith Chemla et Yves Beaunesne Mise en scène : Yves Beaunesne Musique : Camille Rocailleux
Infos & réservation
Thème
Le procès de Jeanne d’Arc à Rouen en mai 1431, qui conduisit la pucelle d’Orléans au bûcher, fut certainement le deuxième procès politique de l’histoire de France après le procès de Jacques de Molay, grand maître des Templiers en 1307 sous Philippe IV le Bel. En effet aucune charge ne put être retenue contre Jeanne, mais il fallait absolument discréditer comme hérétique et sorcière celle qui avait fait échouer la tentative de créer une nouvelle légalité monarchique fondée sur le traité de Troyes (1422) qui aurait permis au roi d’Angleterre de devenir aussi roi de France
La pièce éponyme, aujourd’hui, enflamme le public des Bouffes du Nord
e livret de cette pièce, à vrai dire plutôt une forme oratorio, un « opératorio », selon le néologisme du metteur en scène Yves Beaunesne, fondé sur les minutes du procès instruit par l’évêque de Beauvais, monseigneur Cauchon, mêlant voix, musique et chants, textes et personnages historiques, instruments et choristes, à l’unisson de la divine héroïne, est resserré sur l’essentiel : interrogatoire tranchant d’un tribunal d’inquisition implacable, défense, ardente mais sereine et spontanée, d’une jeune femme de 23 ans, habitée par la foi.Si l’histoire, fondatrice de la France, est connue de tous ou presque, la forme multimédia mi- opéra mi- cinéma mi- théâtre et « seule en scène » adoptée aux Bouffes du nord est originale, sobre, et forte. Impeccable sur le plan technique, elle renouvelle le thème tout en précisant son déroulé. Le cadre est dépouillé : au sol un immense octogone de bois ; au centre un seul être de chair et de sang – Jeanne - affronte tel un gladiateur ceux qui vont la condamner à mort.
Points forts
L’interprétation est fantastique, à tous les niveaux.
D’abord en chair et en os, en live, dans ce qui ressemble à une arène ou à une fosse aux ours, en geste et par la voix, Jeanne, autrement dit Judith Chemla, est extraordinaire. Elle est unique dans la tonalité de sa voix, dans l’expression de ses traits d’esprit, de son inspiration divine, de son charme fait de force et de vulnérabilité. Muriel Mayette disait de Judith Chemla qu’à peine sortie du Conservatoire elle avait été engagée à la Comédie-Française : « Judith est d’une fragilité incassable. » Fragile certes et bourrée de talents. D’ailleurs elle a toutes les cordes à son arc, avec un jeu qui fait des miracles au cinéma et au théâtre, plus un talent d’artiste lyrique. Son interprétation des compositions de Camille Rocailleux, rompu à l’accompagnement des spectacles vivants, est émouvante.
Ensuite filmé, du côté des juges. Les deux interprètes principaux, l’accusateur, le chanoine de Rouen, professeur de théologie, interprété par Jean-Claude Drouot et puis Monseigneur Cauchon, l’évêque de Beauvais, Président du tribunal campé par Jacques Bonnafé, à la fois majestueux et machiavélique. Ils sont criants de vérité en assénant sans vergogne, comme du haut du ciel, des mensonges avec des expressions étonnantes : tour à tour patelins ou grimaçants de fureur, les inquisiteurs jouent benoitement la recherche de la vérité, la duplicité se lisant sur leurs visages. Ils sont entourés d’une dizaine d’affidés composant le jury, savants docteurs ou clercs grotesques. Personne ne pourra leur résister, même pas Jeanne qui finira par avouer l’indicible, broyée.
Les textes et la langue, « un champ de bataille oral. » Ciselés, les mots claquent au cours d’un interrogatoire musclé. L’atmosphère et les dialogues sont dignes d’un thriller ou d’un tribunal politique de l’époque des dictatures, toutes proportions gardées. La (mise en) scène des vêtements est spectaculaire : le port obstiné des habits d’homme fut constamment reproché à la pucelle guerrière et a été in fine la raison de sa conduite au bûcher, aggravée par le volte-face de la relapse qui, bien que connu, nous surprend.
Quelques réserves
- Aucune : c’est un sans-faute total, tant sur le fond que sur la forme.
Encore un mot...
La parole est au metteur en scène Yves Beaunesne à propos de la musique : « Nous avons, Judith et moi, demandé au compositeur Camille Rocailleux de créer autour de la pièce une partition pour voix, celle de Jeanne, instruments et chœurs, pour travailler la confrontation entre une poésie brute et terrienne et un lyrisme marqué par la passion charnelle et mystique. Pourront être convoqués dans l’écriture de la partition des métissages qui entrelacent plusieurs époques et styles, se rapprochant de temps à autre de Monteverdi, Fauré, Poulenc voire Bowie. Nous avons voulu créer un champ de résonance, une manière de se détacher délicatement d’un certain envoûtement de cette invraisemblable histoire vraie ! Nous avons cherché à accompagner le son et le sens de chaque mot et faire valoir cette géographie toute en crêtes et vallées qu’est la très riche langue de Jeanne. L’enjeu final est l’aboutissement à une vraie proposition musico-vidéo-théâtrale dans toute sa richesse lyrique. »
(noter que Le procès de Jeanne a pris sur le plan musical la succession de L’annonce faite à Marie de Paul Claudel créé avec les mêmes artistes aux Bouffes du Nord en 2014).
Une phrase
Jeanne : « Je ne crains pas les gens de guerre car j’ai mon chemin tout aplani. »
- De Judith Chemla (off the record celle-ci) « Jeanne d’Arc résonne avec le destin intime de plein de femmes qui subissent l’injustice. »
L'auteur
Judith Chemla a suivi une double formation de théâtre au Conservatoire national d’art dramatique et de chant lyrique au conservatoire d’Aubervilliers. Elle entre à la Comédie-Française en 2007, et en 2008 elle joue sous la direction de Lucas Hemleb dans le Misanthrope et dans Douze vengeances et autres sketches de Hanokh Levin, puis dans l’Illusion comique de Corneille. Jacques Lassalle va la diriger dans Figaro divorce d’Odon von Horvath. Elle joue sous la direction de Denis Podalydes au Théâtre de l’Europe, puis elle présente ses propres textes par exemple Tue-Tête aux Bouffes du Nord et à Vidy-Lausanne. Au festival d’Avignon, elle joue dans l’Entêtement de Raphaël Spregelburd. Elle va créer Traviata, vous méritez un avenir meilleur pour les Bouffes du Nord, donné en 2013 puis en 2023, avec Benjamin Lazar.
Elle joue au cinéma de nombreuses fois. Pour Camille redouble, elle obtient une nomination de meilleure actrice dans un second rôle aux Césars 2013, meilleur espoir féminin et le prix Lumière. Sous la direction d’Eric Toledano et d’Olivier Nakache, Judith Chemla joue dans Le Sens de la fête.
Yves Beaunesne, agrégé de droit et de lettres, se forme à Bruxelles et au CNSAD de Paris. Sa première mise en scène est pour Un mois à la campagne de Tourgueniev, pour lequel il obtient le prix Georges Lerminier, puis c’est Oncle Vania de Tchekhov, L’échange de Claudel au théâtre de la Colline, le Partage de midi, du même Claudel, On ne badine pas avec l’amour de Musset. Il crée Le Tartuffe de Molière, met en scène Werther de Massenet à l’Opéra, Rigoletto de Verdi, Cosi fan tutte de Mozart, Orphée aux enfers d’Offenbach, Carmen de Bizet. On ne compte plus ses mises en scène depuis Le Canard Sauvage d’Ibsen Lorenzaccio de Musset, L’intervention de Victor Hugo Roméo et Juliette de Shakespeare etc. et enfin L’annonce faite à Marie, de Claudel, bien sûr Il a également dirigé plusieurs théâtres en Suisse et en province.
Ajouter un commentaire