Kadoc
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Thème
Sur scène, trois couples dont les hommes travaillent dans l’entreprise Krump :
Wurtz, autoritaire et cassant, un brin sadique, est cadre, responsable des deux autres ;
Serge, le carriériste, assez brutal et pas très malin, est tellement prêt à tout pour grimper les échelons qu’il entre progressivement dans une espèce de délire ;
Hervé, employé réservé et docile, si désireux de plaire et dépassé par l’impossible dossier Karflex, est menacé par le burn-out. Il croit voir une créature assise à son bureau chaque matin, dont l’allure simiesque le pousse à imaginer tous les scénarios paranoïaque…
C’est par leurs trois épouses Nora, Marion et Judith qui, à l’exception de l’étrange et terrifiante Nora, accompagnent fidèlement les élucubrations de leurs maris que l’entreprise pénètre dans les foyers et envahit jusqu’à la folie l’espace domestique.
Un quiproquo fait basculer la pièce dans un délire commun qui révèle à quel point l’entreprise, détruisant toute possibilité de sociabilité ordinaire et de liens humains, rend fou.
Points forts
Loufoque et cruel, drôle et noir, le texte est servi par une mise en scène pleine de trouvailles, en particulier la sonorisation des gestes mimés dont on comprend après quelques minutes qu’elle est assurée par les comédiens demeurés sur le plateau après leur scène, dans l’ombre.
Les plinthes étroites, qui dessinent des figures géométriques sur la scène, définissent à merveille l’espace des déambulations et des échanges qui apparaissent comme autant de mécaniques sociales artificielles.
Quelques réserves
On peut regretter que le texte n’aille pas assez loin dans la folie, ne pousse pas sa logique jusqu’à son terme, demeurant à un niveau d’aimable superficialité, de boulevard, moderne peut-être, mais sans doute trop sage.
Et il recèle aussi des ambiguïtés, des opacités accentuées par les choix de mise en scène et de direction d’acteurs qui plongent le spectateur dans un certain embarras. Car, au-delà des relations de travail, ce sont aussi les relations de couple dont il s’agit :
ainsi dans les rapports entre Nora et Wurtz - la jeune femme passant à l’égard de son mari, de l’injure aux déclarations les plus tendres suscitant de la part de ses voisines ce « On ne peut pas en vouloir à un homme marié à une folle » - constituent une incise détonante dans cette dénonciation des rapports sociaux au travail ;
quant à Marion, elle est prête à tout – y compris coucher avec son supérieur - pour satisfaire l’ambition dévorante de son goujat de mari.
Dès lors, que faut-il donc entendre au juste des rapports de genre dans cette série de portraits ?
Les ruptures de rythme, en partie dues aux scènes de danse des singes, nuisent à la cohérence. Mais il est vrai que la pièce fut donnée avec un tel brio au Théâtre du Rond-Point en 2020, qu’il est difficile de ne pas établir une comparaison.
Encore un mot...
Par l’absurdité des situations et la déstructuration du langage à laquelle elle procède, cette farce sociale tient du théâtre de l’absurde entre Beckett et Ionesco. Le quiproquo autour du risotto aux fruits de mer rappelle évidemment certaines répliques de La Cantatrice chauve et témoigne de l’insignifiance d’existences consacrées à la banalité.
Mais, outre qu’elle est plus résolument vaudevillesque, la pièce cible aussi plus précisément les luttes de pouvoir au sein de l’entreprise : la pression exercée sur chacun par l’organisation du travail, l’envie de réussir, la peur de l’échec, l’insécurité que procurent les rapports hiérarchiques et l’ambition dévorante qui, nécessairement habite jusqu’à l’autodestruction certains employés. C’est bien pourquoi on regrette qu’elle semble s’arrêter au milieu du gué.
Une phrase
- Hervé : « Quand je suis arrivé, mon bureau était occupé par quelqu’un d’autre.
- Judith : Quelqu’un fouillait dans tes affaires ?
- Hervé : Non, il était simplement à ma place. Assis à mon bureau.
- Judith : Tiens donc…
- Hervé : Il était petit et tout à fait grotesque. Il boitait. Il m’a fait penser à un singe.
- Judith : Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
- Hervé : Il ne boitait pas vraiment, il se dandinait. Il allait d’un pied sur l’autre comme s’il marchait sur des oeufs. Son costume était trop grand pour lui. J’ai dû me retenir pour ne pas rire. »
L'auteur
Pour avoir exercé de nombreux “petits boulots “, Rémi de Vos nourri ses pièces de cette expérience du monde du travail.
Auteur d’une vingtaine de pièces éditées, créées et traduites en une quinzaine de langues, qui passent la réalité sociale et politique au crible de l’humour, du comique, de l’absurde, Rémi De Vos est auteur associé au Centre dramatique national du Nord, à Lille et au Centre dramatique national d’Auvergne à Montluçon, et membre du Comité de lecture du Théâtre du Rond-Point.
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