Ici, sont les dragons (Première époque – 1917 : La victoire était entre nos mains)
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Thème
Cette “mega pièce“, cette gigantesque fresque, est le fruit d’une immense indignation, d’un coup de gueule devant l’invasion de l’Ukraine il y a près de trois ans, et en réaction à la main mise sur quelques pays indépendants par certains apparatchiks qui se sont saisis du pouvoir ou sont en train de le prendre. C’est la protestation artistique et métaphorique d’Ariane Mnouchkine contre la tentative d’asservissement et de destruction d’un pays indépendant, sauf qu’ici, sur scène, c’est la Russie de 1917, celle de Lénine, qui est la cible de la grande prêtresse du Théâtre du Soleil. L’histoire ne fait que se répéter.
Dans Ici sont les Dragons nous sommes donc projetés en 1917 au cœur de la révolution russe. Ariane Mnouchkine et sa comparse Hélène Cixous essayent de répondre à la question fondamentale : qu’est-ce qui au cours des décennies fabrique un dirigeant, un homme ou plusieurs hommes, pour les mettre durablement aux commandes d’un si vaste pays ? Autrement dit : « Comment une poignée d’hommes parvient à transformer leur pays, puis le monde, en enfer » ? (A.M.)
Points forts
La verve théâtrale d’Ariane Mnouchkine. Dans une scène emblématique, on va voir ainsi apparaître sur son cheval le tsar Nicolas II accompagné de son ordonnance, puis un train blindé - enfin qu’on imagine blindé - qui arrive en provenance de Finlande, fumant et ahanant, jusqu’en gare de Petrograd. Lénine en descend, pour ainsi dire impérial, puis Trotski et encore Staline, silencieux et massif. Ce sont les premiers dragons de la Révolution Russe, ceux qui vont s’emparer sans coup férir de la vraie révolution, celle du peuple. D’emblée les idéaux seront piétinés ou dévoyés. C’est ce “vol“ qui sert de colonne vertébrale au spectacle, une belle leçon d’histoire animée et vivante comme au cinéma, à l’aide d’un tour de force technique et d’une âme bien trempée.
Une mise en scène est spectaculaire mais fluide, au cours de laquelle s’enchainent les séquences jouées, souvent et simultanément, par une trentaine de personnages (au moins) dans des décors somptueux, au son de partitions vocales enregistrées dans la langue russe contemporaine, avec l’appel à la vidéo et aux photos d’époque
L’interprétation magistrale des personnages-clés de la révolution russe, tel Lénine au crâne luisant et à la barbichette épique, ou au contraire Staline, imposant et hiératique dans une scène où les hiérarques du Politburo scellent le sort d’une Ukraine déjà martyrisée.
Quelques réserves
- L’élan théâtral, l’immense attente des amoureux de Mnouchkine et de son univers créatif sont brisés par la tension dramatique du sujet et la volonté pédagogique de la mise en scène. • Poésie, magie, et donc émotion, ne font qu’affleurer dans ce spectacle qui laisse sur leur faim ceux qui ont adoré Une Chambre en Inde, l’Ile d’Or ou même Kanata sur la même scène !
Encore un mot...
La “patte“ du Théâtre du Soleil, notamment cette volonté de “rentrer dans le lard de l’histoire“ est efficace : Ariane Mnouchkine n’a pas son pareil pour nous faire comprendre les méandres de l’Histoire. C’est une obsession.
Comment s’y prend-elle ? Dans la fosse et même sur scène, Cornelia, la metteuse en scène intervient, commente, explique.
Ici sont les dragons répond bien au défi annoncé par Mnouchkine elle-même. « Nous avons mis en place de petits laboratoires pour progresser (dans la compréhension), notre ambition est de réussir à jouer sur scène les mécanismes de l’histoire. Cela n’est possible qu’en reconnaissant l’importance de la passion des hommes.»
Une phrase
« Tout commence toujours par une guerre. »
« Hic sunt dracones » : cette phrase-titre apparait sur les cartes d’époque médiévale comme délimitant une Terra incognita, un pays mystérieux et fantasmé, peuplé de créatures monstrueuses et dangereuses. Depuis l’invasion de l’Ukraine, déclare Ariane, « l’Europe est peuplée de Dragons ! »
L'auteur
Ariane Mnouchkine, née en 1939 à Paris, est autrice et metteuse en scène dramatique, et scénariste pour le cinéma. Son père, Alexandre Mnouchkine, avait fondé les films Ariane, mais sous l’Occupation, ses parents, des émigrés russes en France, furent internés à Drancy, puis transférés à Auschwitz, où ils périrent.
Ariane Mnouchkine a commencé ses études théâtrales à l’université d’Oxford, où elle débuta comme assistante de Ken Loach qui y finissait ses études. Les siennes terminées, elle fonde très vite une coopérative ouvrière de production, structure originale égalitaire dans laquelle tout le monde a le même salaire et où les rôles peuvent s’échanger. Chacun a une mission particulière en dehors de ses rôles ou fonctions de base. • De nos jours, on sert encore la soupe à la Cartoucherie de Vincennes, dans les immenses locaux du Théâtre du Soleil qu’elle a investis en 1970. C’est une tradition sociale, un rite quasi familial, et c’est une des trois grandes originalités du théâtre d’Ariane Mnouchkine, avec les décors en mouvement et la bande son en premier plan.
Ses principales œuvres au théâtre sont à ce jour 1789, Les Ephémères, les Naufragés du fol esprit, Macbeth, Une Chambre en Inde, L’Ile d’Or, Kanata. Son inspiration repose sur le monde et les visions de Brecht et de Vilar.
Ariane Mnouchkine a tourné cinq épisodes de Molière, la vie d’un honnête homme pour la télévision et a créé une école de théâtre à Kiev au début de la guerre. Ses récompenses : deux Molières pour Une Chambre en Inde en 2018.
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