Old Times

Pinter, dans son excellence, ses mystères et ses complications, pas toujours indispensables
De
Harold Pinter
Texte français : Séverine Magois
Mise en scène
Benoit Giros
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre de l'Atelier
1, place Charles Dullin
75018
Paris
0146064924

Thème

Dans leur maison isolée en pleine nature, Deeley et Kate, un couple de quinquagénaires, attendent Anna. Vingt ans auparavant, les deux femmes, Kate et Anna, ont commencé ensemble dans la vie. Elles partageaient un petit appartement dans Londres et une passion commune pour tous les arts. Depuis, elles ne se sont jamais revues et Deeley dit ne pas connaître Anna. Mais est-ce si sûr ?

Points forts

1) Pas de menace dans Old times mais quand même une tension sous-jacente et permanente, deux affrontements successifs, deux duels à fleurets mouchetés (on est entre gens bien élevés) à propos du troisième personnage. Dans la première partie, dans le salon, ce sont Deeley et Anna qui s’affrontent à propos de l’évanescente Kate. Quelle a été la nature de la relation qui a uni les deux femmes ? Ont-elles été juste deux camarades ou ont-elles été plus intimes ? Deeley voudrait le savoir, et Pinter se garde bien de nous le dire.

Dans la seconde partie, dans la pièce attenante, la chambre à coucher meublée des mêmes meubles symétriques, c’est Deeley qui devient l’enjeu d’une bataille de dames. Il y a vingt ans, il a rencontré les deux femmes, s’est épris apparemment d’Anna mais finalement c’est Kate qui l’a emporté, qui l’a épousé. Deeley a-t-il confondu les deux femmes ? L’auteur ne tranche pas… On ne sait jamais tout d’une personne, nous souffle Pinter. Même si cette personne est un proche ou soi-même…

2) La pièce parle aussi de la mémoire, de toutes les sortes de mémoire. La mémoire commune (on se souvient exactement des mêmes événements), la mémoire dissonante (on se souvient mais chacun différemment), la mémoire non partagée (l’un se souvient précisément tandis que l’autre a tout oublié), la mémoire paradoxale (on se souvient d’un fait mais on n’est pas sûr qu’il se soit réellement passé). Passionnant.

3) Bien sûr, Adèle Haenel paraît beaucoup trop jeune pour le rôle d’Anna. Elle a plus de vingt ans de différence avec Marianne Denicourt ! Donc le choix de cette comédienne par le metteur en scène Benoit Giros entérine le fait que Kate et Deeley ne reçoivent pas une amie dans la réalité, mais convoquent son fantôme d’il y a vingt ans, à l’occasion d’une conversation sur leur passé. Rarement spectre aura été aussi incarné. Et c’est tant mieux ! Chez Pinter, les comédiens ne doivent jamais intellectualiser leur jeu. Celui d’Adèle Haenel est franc, parfois abrupt. Elle sait occuper un plateau, elle est étonnante, on ne la quitte pas des yeux. Ses partenaires Marianne Denicourt et Emmanuel Salinger sont excellents aussi, très nuancés.

4) Avant le lever du rideau, quelques images projetées, très belles : des vagues qui viennent mourir sur le sable et de très courts extraits du film en noir et blanc Odd man out de Carol Reed, avec James Mason et Robert Newton dont il sera largement question pendant la pièce. Le décor blanc et bleu est à la fois douillet et froid. Et la très grande baie vitrée qui dévoile un paysage de bord de mer nous fait parfois douter d’être à l’intérieur d’une maison. À noter, la translation astucieuse du décor au mitan de la pièce.

Quelques réserves

Il ne faut pas demander à Pinter ce qu’il est incapable de nous donner : une histoire claire, tangible avec un début, un milieu et une fin. Lui aime proposer des hypothèses, des pistes. Au spectateur de saisir celles qui lui conviennent, celles qui le touchent surtout. Face à ses pièces, il ne faut pas chercher à comprendre mais à ressentir, comme devant certaines peintures faussement figuratives. Pour nous Français, héritiers de Descartes, cette écriture énigmatique peut être déroutante. Et même si l’on est très friand et très admiratif de son œuvre, parfois on se demande si Pinter n’a pas tendance à trop compliquer.

Encore un mot...

Dans la mise en scène nouvelle de Benoit Giros, Old times avec ses tensions, ses non-dits, ses personnages mystérieux, ses jeux de miroir et de mémoire, ravira ceux qui aiment le théâtre de Pinter. Mais attention, son style sibyllin peut aussi en rebuter certains.

Une phrase

Anna : « Il y a des choses dont on se souvient même si elles ne sont peut-être jamais arrivées. »

L'auteur

Harold Pinter est un auteur majeur du théâtre anglais. Il a quasiment inventé un genre, « la comédie de menace ». 

Né à Londres en 1930, il a d'abord été comédien avant de commencer à écrire, en 1957. 

Il est devenu célèbre avec Le Gardien. Ses pièces suivantes, L’Amant, La Collection, L’Anniversaire, Le Retour, No man’s land, Trahisons… ont été créées dans le monde entier et sont reprises régulièrement.

Il a écrit aussi pour la radio, la télévision et surtout pour le cinéma, notamment avec Joseph Losey. 

Il a reçu le prix Nobel de littérature en 2005.

Il est décédé à Londres le 24 décembre 2008.

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