Un sentiment de vie
Un sentiment de gâchis
De
Claudine Galéa
Durée : 1h20
Mise en scène
Emilie Charriot
Avec
Valérie Dréville
Notre recommandation
2/5
Infos & réservation
Théâtre des Bouffes du Nord
37bis, Bd de la Chapelle
75010
Paris
01 46 07 34 50
Jusqu’au 27 janvier 2024. Du mardi au samedi à 20 h.
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Thème
- L’écrivaine, s’exprimant par le truchement de la comédienne Valérie Dréville, envisage un projet d’écriture sur son père. Celui-ci, pied-noir et ancien combattant de diverses guerres (celle de 1939-45, et celle d’Indochine, d’après ce que l’on croit comprendre…), est décédé d’un cancer de la gorge.
- Pour cela, la narratrice met d’abord son projet en miroir avec la pièce My Secret Garden du dramaturge allemand Falk Richter, puis avec le répertoire de Frank “The Voice “Sinatra, idole de son père.
- Mais, pour parvenir à son but, l’écrivaine doit-elle, peut-elle, veut ou va-t-elle passer à l’écriture ? Hélas, oui.
Points forts
- Une comédienne chevronnée qui fait ce qu’elle peut pour donner vie à un texte très en-dessous de son niveau.
- L’idée (somme toute pas si originale) qu’une chanson populaire (à défaut de la pièce) peut être le catalyseur d’un « sentiment de vie ».
Quelques réserves
- Une première difficulté se présente à celles (ou ceux) qui ignorent tout de My secret garden de Falk Richter : ils (ou elles) seront bien en peine de saisir le propos de ladite pièce d’après ce qui en est dit par la narratrice, et par là de saisir en quoi elle peut être rattachée à l’entreprise de récit familial qui forme l’enjeu d’Un Sentiment de vie. Des bribes d’action d’un certain Lenz refont surface ça et là sans que l’on comprenne de quoi il retourne.
- La seconde faiblesse tient au défi de débusquer le fameux « sentiment de vie » dans une famille incapable de « parler d’amour » (ce qui n’a rien de nouveau). A quoi s’ajoute l’absence de tout élément dans l’évocation du père qui puisse retenir notre attention : en quoi consiste précisément son parcours - qui n’a pas l’air d’un chemin semé de roses - on ne le saura jamais…
- Mais il y a plus grave, qui fait la faiblesse intrinsèque du texte de cette pièce, car aucune facilité ne nous est épargnée dans ce qui s’apparente à un texte de commande :
- l’écriture genre “chic-vulgos“, avec des « putains de » à discrétion, une profusion de « bullshit » ou de « fucking » je-ne-sais-quoi (encore convient-il de pas prononcer « zi hand » pour « the end »…)
- une cuistrerie qui éclate à la première erreur grossière : Janis Joplin est bien morte d’overdose, mais certainement pas au célèbre Chelsea Hotel de New York !
- Les poncifs se ramassent ici à la pelle(-teuse), et fourniront un catalogue de citations très utile à l’usage de khâgneux en perdition le jour de l’épreuve de littérature (cf. les extraits cités plus bas, qui ne constituent qu’un modeste échantillon) :
- des portes ouvertes défoncées à grands renforts de sentences risibles (« La fiction n’est pas la vie »), de questionnements grandiloquents (« Qu’est-ce que la vraie vie ? »), ou encore d’injonctions à la création littéraire qui frisent le ridicule (« Trouve la forme de tes mots ! Cours après le soleil ! »).
- on passera vite sur l’interminable réception comparée du White Christmas interprété par Sinatra et du Petit Papa Noël de Tino Rossi auprès des jeunes pieds-noirs des années 1950, un sujet capital, aux enjeux sous-jacents considérables..
Le but de toute cette entreprise étant de mettre au jour ce fameux « sentiment de vie », on s’aperçoit que le Graal en question consiste dans une exaltation des « forces de la vie, de la beauté et de l’amour », et l’on se dit « Bullshit, la fucking p…. de découverte que voilà » !
- Les snobs parleront de mise en scène “à l’os“, mais on se demande bien si ce terme (de mise en scène) s’applique à la consigne de posture statique assortie de quelques mouvements dans la profondeur du plateau. De la même manière, vêtir la comédienne d’un pantalon noir à pinces et d’un chandail bleu quelconque peut-il tenir lieu « d’habillage », et mérite-t-il une mention au générique ?
Encore un mot...
- Un sentiment de vie prétend relever d’un “théâtre de parole“. Soit, mais à condition que le récit qui le porte - et qui a ici une importance capitale (puisque de mise en scène, il n’y en a pas, ou si peu) - puisse capturer, hypnotiser, fasciner, emporter le spectateur, à la seule force de son évocation et de son interprétation.
- Or le défi était considérable, qui consistait à emporter le spectateur dans l’intimité d’une femme issue d’une famille dans laquelle « on ne disait rien, et tant mieux, car apparemment, il n’y a(vait) pas grand’chose à dire ». Hélas, faute de chair et de consistance dans un cas (My Secret garden) comme dans l’autre (le père de l’autrice), comment s’intéresser au contenu de ce Sentiment de vie ?
- On ne peut donc guère décerner à cet échantillon de “théâtre du sur-place“ qu’un “bof“ (du Nord)…
Une phrase
Voici quelques-uns des puissants aphorismes qui m’ont particulièrement réjoui (en passant sous silence les rimes faciles du type « écriture / pure ») :
- « On dit “elle“, on dit “il“ : on dit toujours “je“. » ;
- « Bullshit, la vie meilleure ! I don’t give a shit. »
- « L’Histoire n’est pas normale » [avec une insistance appuyée sur la dernière syllabe, sans doute pour faire ricaner les snobs de l’assistance : bien vu, ça marche !] ;
- « On ne meurt pas, on est tué(e ?). »
- « L’écriture, c’est l’intention d’y arriver. »
- « Est-ce que les livres sauvent ? »
L'auteur
- Claudine Galéa (née en 1960) écrit pour le théâtre, la jeunesse, les lecteurs de romans et le public de fictions radiodiffusées. L’un de ses livres - Je reviens de loin - fut adapté au cinéma par M. Amalric (Serre-moi fort, 2021).
- Elle a reçu le Grand Prix de littérature dramatique pour Au bord (en 2011), puis le même en catégorie jeunesse pour Noircisse (2019), et le Prix SACD radio pour son oeuvre.
- Claudine Galéa travailla jusqu’en 2022 avec le Théâtre national de Strasbourg, et depuis 2021 avec celui de Nanterre- Les Amandiers.
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