Notre recommandation
3/5
Infos & réservation
Théâtre de Poche Montparnasse
75 bd du Montparnasse
75006
Paris
01 45 44 50 21
Tous les lundis à 19h - jusqu’au 18 décembre 2023
Retrouver également les chroniques Toujours à l'affiche dans cette même rubrique
Thème
- Seule en scène, Judith Magre nous lit trois nouvelles de Sylvain Tesson, trois récits sans rapport entre eux, et apparemment totalement différents
- il y a d’abord l’escalade acrobatique d’un amant pris sur le fait, qui s’enfuit et ne trouvera son salut qu’en s’échappant par les toits et en s’accrochant à une gouttière branlante ;
- ensuite vient la vie chahutée et émouvante d’un migrant nigérien qui, après avoir dépensé la petite fortune économisée par ses parents, échouera en Europe, le cœur plein de regrets ;
- et enfin, complètement décalée, la reconstitution historique et étincelante de la bataille napoléonienne de Borodino, organisée chaque année en Russie même.
- Rien de commun apparemment entre ces trois histoires, si ce n’est la philosophie de Tesson, fil rouge de ces nouvelles. Elle tourne autour du « pofigisme », concept russe défini par l’auteur comme une « résignation joyeuse, désespérée face à ce qui advient », et autour d’une certaine façon de mettre en scène les accidents du destin. Sylvain Tesson l’écrit lui-même :
« Tout ce qui bouleverse la vie advient fortuitement,
Le destin ressemble à ces seaux d’eau posés en équilibre sur la tranche des portes,
On entre dans la pièce, on est trempé. Ainsi va l’existence ! »
Points forts
- La magie des mots, la poésie des textes ciselés, chantants, souvent émouvants qui, tour à tour, racontent une histoire vraie ou plus encore, vraisemblable. On voyage ainsi d’un continent à l’autre accompagné par la voix chaude de la comédienne chevronnée qu’est Judith Magre, dans les pas imaginaires d’un Sylvain Tesson grand aventurier.
- Trois nouvelles, donc trois aventures. D’un appartement bourgeois dans un quartier chic du Paris germanopratin au désert du Sahara, terre du mythe, jusqu’à la toundra de Sibérie tellement aimée de Tesson, le dépaysement est total. Les héros décalés, prenant tous les risques tissent une atmosphère surprenante et mystérieuse. Point n’est besoin de partir dans le Yunnan pour jouir d’un tel dépaysement captivant et insolite. La première nouvelle intitulée « La Gouttière, » qui se passe à Paris, rue Saint-Séverin, nous transporte dans un suspense intense…jusqu’à la chute du… cinquième ! Un vrai polar, mais pas que. En effet, on vit, on danse, on boit on échange, on b…même, enfin on en parle : la vie quoi ! On rencontre aussi Cioran et Baudelaire, Heidegger et Céline. Et puis soudain un imprévu, un grain de sable qui change le cours des choses. Ainsi après avoir roulé pendant des heures dans le désert, après avoir été plumé par les passeurs on se retrouve à laver les carreaux dans le 13ème, obsédé par Western Union et les versements pour rembourser la famille
- Bref, on a aimé ces morceaux choisis de voyage, le “lâcher prise“ de personnages héroïques pour « s’abandonner à vivre ». On a été, dans la première nouvelle, suspendu aux lèvres de Judith Magre comme l’amant de La gouttière suspendu dans le vide, ou ébahi, dans la dernière, devant la reconstitution plus vraie que l’original (pour autant qu’on puisse l’imaginer) de la bataille de Borodino. Las, le spectacle sera interdit par la police du canton juste avant l’assaut final. Encore une histoire de « tromperie ». C’est la vraie vie !
Quelques réserves
- Peu, à vrai dire, mais une d’importance quoique fortuite et éphémère certainement, à moins que ce ne soit pour donner encore plus de véracité au récit, toujours est-il que la comédienne fut prise d’accès de faiblesse au deux tiers du seul en scène : voix moins perceptible, trous de mémoire, quelques troubles de langage. Rien de grave on l’espère, sans doute dus au grand âge de cette immense comédienne, qui n’est plus à l’époque du personnage de « Marie Chantal » qu’elle créa il y a 70 ans. Malgré tout, pour cette raison, la troisième histoire a manqué peut être un peu du panache qui sied à la Grande Armée.
- Autre réserve : le choix de la deuxième nouvelle, qui traite d’un sujet émouvant certes mais qui remplit hélas jour après jour, la “une“ de nos quotidiens. Ces bémols lui coûtent une étoile, peut-être injustement.
Encore un mot...
En incipit du recueil des trois nouvelles et d’autres éditées chez Folio qu’il faut lire, deux citations :
- La première de Pascal : « On mourra seul, il faut donc faire comme si on était seul."
- La seconde de Kafka : « En voilà un qui s’étonnait de parcourir si facilement le chemin de l’éternité ; il dévalait en effet la pente à toute vitesse. »
Une phrase
- L’amant : « Je ne sais comment je me trouvais seul sur le rebord de la fenêtre, tout habillé, en moins de trente secondes. Marianne retapait le lit, j’entendis claquer la porte d’entrée, des exclamations enjouées “Quelle salope tout de même“ pensais-je. Paris est un terrain d’escalade insoupçonné. Pour peu qu’on considère la ville avec un œil d’alpiniste, la géographie urbaine devient topographie ! »
(extrait de La Gouttière, première nouvelle)
L'auteur
- Ecrivain-voyageur par excellence, Sylvain Tesson est fou d’escalade et de haute montagne, ce qui a failli lui couûer la vie en tombant… du toit de sa maison. Il raconte dans ses premiers récits ses pérégrinations aux quatre coins du monde, depuis « On a marché sur la terre » avec Alexandre Poussin, autre amateur professionnel de trekking, jusqu’à « Dans les forêts de Sibérie » (prix Médicis essai 2011). En 2019, il écrit « La Panthère des neiges » qui remporte le Prix Renaudot.
- S. Tesson collabore avec des revues de voyages en compagnie de photographes Il publie ainsi « Eloge de l’énergie vagabonde » (éd. Equateurs), « Un Eté avec Rimbaud » et des nouvelles comme « Nouvelles de l’Est », « Une vie à coucher dehors» (Goncourt de la nouvelle en 2009). • « S’abandonner à vivre » (publié chez Gallimard en 2019), «Les Forêts de Sibérie » avec William Mesguich et« Byron, la liberté à mort » ont été adaptés au théâtre.
Ajouter un commentaire