Paris Police 1900

Lépine contre les Louchébems
De
Fabien Nury
Canal+ -
Série en 8 épisodes (saison 1) de 52 mn chacun
Avec
Jérémie Laheurte (Antoine Jouin), Evelyne Brochu (Marguerite Steinheil), Marc Barbé (le préfet Lépine), Patrick d’Assumçao (Puybaraud), Thibault Evrard (inspecteur Fiersi), Christian Hecq (le Professeur Bertillon), Hubert Delattre (Jules Guérin)
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

• Paris est en pleine effervescence en cette fin de XIXème siècle : l’affaire Dreyfus et ses rebondissements n’en finissent plus de secouer le monde politique et l’opinion, d’autant que le capitaine juif va être rejugé à Rennes. Au même moment, le président Faure trouve le moyen de succomber à la « pompe funèbre » administrée par la sulfureuse Marguerite  Steinheil (“Meg“ pour les intimes). 

• Il n’en faut pas plus pour que les ligues nationalistes, chauffées à blanc par “l’Affaire“, songent à porter l’estocade à “la gueuse“. Parmi les ennemis jurés de la République, Jules Guérin se distingue en chef exalté et vociférant de sa Ligue antisémite, une petite entreprise familiale de haine. Il s’agite rue de Chabrol, au siège de L’Antijuif, entouré de solides bouchers (louchébems dans leur argot) qui ne tranchent pas que le lard du côté de la Villette...

• Bref, la politique s’invite de plus en plus ouvertement dans des affaires de mœurs épicées ou des crimes sordides, ainsi cette “malle sanglante“ retrouvée dans la Seine et contenant le corps d’une moucharde découpé en morceaux. René Waldeck-Rousseau, président du Conseil s’exaspère : que fait la Sûreté parisienne ? Cette sorte de police politique, fondée sous le Second empire par Napoléon III, n’a pas bonne presse depuis le retour de la République ; reste qu’elle dépend de la préfecture de police de Paris et peut rendre des services, à condition d’y remettre de l’ordre, du sommet à la base. 

• On exige donc en haut lieu le rappel du préfet Lépine, ce qui en dérange plus d’un à la Sûreté. Au bas de l’échelle, un jeune inspecteur, Antoine Jouin, tente de faire son chemin dans un service pas si sûr que ça...

Points forts

• Depuis le Dreyfus de Polanski, la “France fin de siècle“ est une source d’inspiration cinématographique et sérielle (cf. Le Bazar de la charité), pour le meilleur et pour le pire. Dans le cas présent, l’affiche, d’une laideur peu commune, ne présage rien de bon... L’ensemble est cependant de bonne tenue, et convaincant quand il veut mettre en évidence la lutte impitoyable que les républicains résolus menèrent sans concession contre l’extrême-droite nationaliste, xénophobe, antisémite et antidreyfusarde des ligues. De ce point de vue, la série est un vaccin de rappel pour les amateurs de synthèses molles et autres thuriféraires du « en même temps ».

• Autour de l’inspecteur Antoine Jouin s’agitent des personnages pas tous recommandables, mais interprétés de manière affirmée, voire jubilatoire : le glaçant préfet Lépine et le matois commissaire Puybaraud mènent la danse et leurs ouailles avec maestria ; l’inspecteur Fiersi, torturé de remords, “Meg“ Steinheil en « grande horizontale » prête à tout pour conserver sa place dans la haute société, et les frères Guérin ne leur cèdent en rien. Le vibrionnant professeur Bertillon, sûr de ses théories, entonne un De profundis particulièrement bienvenu lors d’une recherche d’indices tout à fait spéciale. 

Quelques réserves

Points faibles

• Par contraste avec la manière dont certains acteurs habitent leur personnage, on peut s’étonner du choix retenu pour interpréter Antoine Jouin, un grand échalas “raide comme la justice de Berne“, mutique et insignifiant, voûté et passif la plupart du temps. Son insignifiance, voulue ou non, plombe la série, car il suscite peu d’empathie, faute de complexité et de charisme. Les origines paysannes prêtées au personnage ne sont pas un motif pour priver Antoine Jouin d’à peu près tout ce qui pourrait lui donner épaisseur et caractère.

• On a moins aimé divers gimmicks de la série : contre plongées systématiques dans la cage d’escalier de la Sûreté, rue des Saussaies ; ambiance brumeuse permanente, à mi-chemin entre le fog londonien et l’affiche de L’Exorciste. Last but not least, il y a ce manichéisme au didactisme lourdingue, consistant à charger un camp politique (en l’occurrence celui des nationalistes antirépublicains) de toutes les tares du monde (personnelles, politiques, morales, criminelles). 

• S’il s’agit de nous montrer l’antisémitisme en vigueur dans les milieux nationalistes au moment de l’affaire Dreyfus, le pari est relevé, même si on peut relever ici ou là de petites erreurs (La France juive de Drumont a été publiée une dizaine d’années avant l’affaire). Mais insister aussi régulièrement et lourdement sur les mises en scène et les slogans nauséabonds des aficionados de L’Antijuif... à quoi bon ? Devant ce didactisme pesant, on ne peut s’empêcher de penser «  La barque est pleine ! »

• Il y a un petit côté “cabinet des curiosités“ qui peut lasser quand il tourne au procédé. Il est ici parfois maîtrisé, quand les innovations techniques de l’époque (téléphone, anthropométrie) sont mises au service de l’enquête, et moins quand telle trouvaille (phonographe, le répertoire de Sébastien Bottin appelé à une grande postérité) ou telle lubie (spiritisme) se présente avec un clin d’œil appuyé. 

Encore un mot...

Quand la Sûreté parisienne traque la “bête immonde“, ce n’est pas toujours dans les règles de lard.

Une phrase

Jeanne Chauvin (avocate au cabinet Weidman, parlant des frères Guérin) : « Ces gens-là vivent de la haine. Elle les engraisse. Leur appétit est sans fin. »

L'auteur

• Né en 1976, Fabien Nury a vite délaissé les perspectives de carrière que lui offraient ses études à la prestigieuse École Supérieure de Commerce de Paris (ESCP) pour scénariser de remarquables bandes dessinées historiques (notamment Il était une fois en France et La mort de Staline), multi-primées.

• Il s’est ensuite essayé aux longs métrages (des Brigades du Tigre, 2006 à Guyane, 2017), et on le retrouve à la création pour ce Paris Police 1900.

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