Le Bazar de la charité
Coproduction TF1 – Netflix - Quad Télévision – RTBF (disponible sur Netflix).
Infos & réservation
Thème
• Depuis son inauguration en grande pompe en 1885, on se presse au Bazar de la charité pour se distraire, se rencontrer, et surtout acheter tel ou tel objet dont le produit revenait aux nécessiteux. Dans cette vente de bienfaisance, on croise la crème de la haute société de l’époque lorsque le 4 mai 1897, un incendie ravage l’édifice mal sécurisé, provoquant la mort de 112 personnes, majoritairement des femmes de la meilleure société.
• C’est le point de départ de trajectoires multiples et croisées pour des personnages ayant en commun de voir leur vie bouleversée en profondeur par l’incendie : ainsi Rose Rivière, jeune domestique en partance pour l’Amérique avec son fiancé, Alice de Jeansin, une ravissante “oie blanche“ poussée à un mariage seul capable d’éviter la faillite de son père Auguste, propriétaire du Bazar, où elle est sauvée des flammes par Victor Minville - jeune anarchiste “marchant aux lacsés“ à ses heures perdues - ou encore d’Adrienne de Lenverpré, qui veut divorcer d’un mari odieux, violent mais haut placé dans les milieux conservateurs, et qui vient de lui retirer sa fille unique.
Points forts
• Cette mini-série vise un large public, et s’est donnée les moyens d’une reconstitution probante de la vie parisienne à la fin du XIXe siècle, rassemblant un casting haut de gamme (cf. plus haut). Il faut saluer la prestation de Gilbert Melki, qui, sous des airs de Christopher Lee, campe avec délectation une canaille de la plus belle eau, mais aussi Stéphane Guillon, inattendu et convaincant dans le rôle d’un enquêteur de la Sûreté générale à la carrière cabossée par sa quête obsessionnelle de la vérité, sans oublier Josiane Balasko, qui donne une vraie densité à madame Huchon, cette richissime et forte femme, tour à tour ravagée par le chagrin, affectueuse et viscéralement déterminée à protéger sa descendance des prédateurs à particule.
• Surtout, dans la meilleure tradition des séries populaires, Le Bazar aborde des thématiques faisant très largement écho à celles d’aujourd’hui.
Tout d’abord la question de l’émancipation des femmes (sous divers aspects : sentimental, économique, sexuel...) dans une société dominée à tous points de vue par les hommes. Entre la jeune Alice, promise à un freluquet aussi fat et falot que friqué, sa propre mère tristement résignée à un mariage de convenance l’ayant rendue malheureuse, pour ne rien dire de sa tante qui cherche à divorcer et vivre avec son enfant, ou encore sa domestique, prisonnière d’alternatives douloureuses, le sort des femmes est l’un des fils rouges tout au long des huit épisodes. La détermination de tous les personnages féminins en quête d’émancipation, au prix de souffrances, de défis et d’échecs passagers, parcourt toute la série.
Le second fil directeur du Bazar traite de l’anatomie d’une élite, cette “haute société“ parisienne où se mêlent - au gré des alliances matrimoniales, des conseils d’administration, des familles politiques et des intérêts croisés – les vestiges de l’aristocratie avec de grands bourgeois sûrs de leur fait : barrières et destinées sociales, fétichisme du patrimoine, sacrifices nécessaires pour sa préservation et sa circulation via une endogamie prononcée. Tels sont les défis qui se posent à ce groupe social au début de ce qu’on appellera plus tard “la Belle époque“ (fin XIXe siècle-1914).
Il y a là un regard sur les élites qui, s’il tourne parfois un peu trop au portrait à charge, ne manquera pas de susciter une réflexion sur les us et coutumes de celles qui dominent à présent notre société un siècle plus tard...
• L’intrigue tire parti d’un contexte historique porté par le rôle (véridique) du cinématographe dans le dramatique incendie, l’âge d’or de la presse (son rôle dans et sur l’opinion), et bien sûr la vague des attentats anarchistes (1892-1894), pouvant laisser penser non à un accident, mais à un ultime baroud des adeptes de « la propagande par le fait ».
• Enfin, on a particulièrement apprécié le soin porté à la musique d’accompagnement tout au long de ce Bazar. Plutôt que de singer la musique d’époque (en mode “M’sieur Clémenceau" dans Les Brigades du Tigre), François Liétout a composé, à grands renforts de “nappes de synthétiseurs“, une musique d’atmosphère parfaitement en phase avec la noirceur de l’intrigue.
Quelques réserves
• Quelques faiblesses dans la construction de l’intrigue, tant l’on sent qu’à partir du 6ème épisode le temps presse pour ressaisir tous les fils du récit en vue d’une résolution au 8ème épisode. La série prend une tournure de plus en plus rocambolesque, qui passe bien plus difficilement de nos jours qu’aux temps de Ponson du Terrail et de Maurice Leblanc. C’est ainsi qu’outre le passif de plus en plus lourd sur les épaules d’un candidat à la présidence du Sénat (sésame pour la présidence de la République sous la IIIe République), on peut s’étonner de voir un homme politique en vue - prétendant devenir le deuxième personnage de l’État - agir en plein jour en compagnie d’une bande “d’Apaches“ (les pires voyous de l’époque) qui lui sert de garde rapprochée !
• Dans une reconstitution aussi soignée, les anachronismes de langage - un journaliste parle de scoop (terme certes né dans les milieux de la presse américaine dans le dernier tiers du XIXe siècle, mais introduit en France seulement au milieu du siècle suivant) font un peu tache. Les dialoguistes auraient pu également nous épargner des tics de langage contemporains - « quoi ? » hachant les phrases du projectionniste incriminé dans l’incendie - pour ne rien dire des insultes bien moins usitées à l’époque (« enfoiré, enc... ») qu’aujourd’hui, y compris chez les anarchistes...
Encore un mot...
Être une femme libérée, tu sais, c’est pas si facile...
Une phrase
Auguste de Jeansin à sa fille Alice [à propos de Marc-Antoine de Lenverpré] : « Il a tous les droits... Le pouvoir, le réseau, et l’argent qui nous sauve de la faillite ! »
L'auteur
• Catherine Ramberg, scénariste, adaptatrice et dialoguiste, a à son actif une trentaine de productions télévisées depuis 1993, et cinq longs métrages depuis 2009.
• La série, diffusée en France d’abord sur TF1 en clair, a remporté un beau succès d’audience, rassemblant près de 7 millions de téléspectateurs entre novembre et décembre 2019. Son scénario a donné lieu à un roman éponyme d’Odile Bouhier, paru chez Michel Lafon la même année.
• Signalons l’existence antérieure à la mini-série du roman de Gaëlle Nohant, La part des flammes, publié en 2014 (et en Livre de poche en 2016), dont les scénaristes du Bazar de la charité, C. Ramberg et Karine Spreuzkouski, affirment ne pas s’être inspirées.
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