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Thème
C'était à priori difficile de monter une grande expo rétrospective sur Lavier puisque le Musée d'Art Moderne l'a fait fin 2012-début 2013.
D'où l'originalité de la démarche adoptée ici: Bertrand Lavier dialoguant par les oeuvres et le texte avec l'oeuvre de son grand ami, Raymond Hains, décédé en 2006. Raymond Hains, figure certes moins connue du Nouveau Réalisme que Yves Klein, Arman, César ou Niki de Saint Phalle, mais considéré comme l'un des maîtres de cette tendance, y compris dans sa manière très originale d'utiliser la photographie.
L'hommage le plus touchant que Bertrand Lavier rend ici à Raymond Hains est, sans doute, de présenter deux de ses oeuvres maîtresses -"La Boca sur Zanker" et "Walt Disney Productions N°2"- à travers une plaque de verre cannelé, technique que Raymond Hains utilisait en photographie pour créer ce qu'il appelait des photos hypnagogiques. Une manière donc pour Bertrand Lavier de proposer une relecture de ses oeuvres à travers le regard de son ami.
Points forts
1 Parmi les exemples présentés des détournements créatifs d'objets, marque de fabrique, donc, de Bertrand Lavier, j'ai été, personnellement, particulièrement sensible à sa "Fontaine", 2000-2014, 2016 Image, entrelacs de fins tuyaux, qui donne la sensation épidermique d'être face à un mille-pattes dans la jungle...
2 Ceci étant, de mon point de vue, ce qu'il y a de plus original et de plus fort dans cette expo, c'est l'alliance quasi permanente de la création et de l'humour. Une manière de refuser de se prendre au sérieux tout en étant conscient de l'importance de l'oeuvre créée.
Le ton est donné dès l'entrée avec une oeuvre monumentale intitulée "Il y a six troènes entre Matiz et Picasso", oeuvre jouant sur l'association de deux voitures de Citroën et Chevrolet, la Matiz et la Picasso, reliées par six arbustes dans des pots, six troènes évidemment... Et puis, dans l'escalier d'honneur, cet hommage à Frédéric Dard, rendu à travers une gigantesque plaque de monuments aux morts, récapitulant, datés, les titres des oeuvres du maître, et intitulé tout simplement "OBJET DARD"...
3 Concernant Raymond Hains, ce qui m'a personnellement paru le plus remarquable, ce sont ses panneaux de jeu avec des photos, en particulier "L'apparition de Magritte à Margueritte"(1999) et "L'Amant vert, Magritte d'Autriche et Marguerite d'Autruche"(1999 également). Oui, oui, vous avez bien lu...
4 N'hésitez pas à faire appel -gratuitement- aux deux médiatrices, très jeunes, qui vous attendent dans les salles et qui répondront à toutes vos questions. Je vous dis cela parce que j'avoue que celle qui s'est occupé de nous, Sophie, m'a bluffé par ses connaissances et sa courtoisie.
Quelques réserves
Le livret de suivi de l'expo - qui existe en deux versions, une adultes et l'autre, enfants, admirablement simple et ludique - est indispensable pour s'y retrouver. Malheureusement on ne peut se le procurer qu'après être déjà passé "au travers" d'au moins trois oeuvres importantes de Bertrand Lavier.
Je pinaille...
Encore un mot...
1 Voilà une expo intelligente, créative et, par moments, jubilatoire lorsque le visiteur se sent complice de l'artiste dont le moins qu'on puisse dire est que, dans toute sa créativité, il ne se prend jamais au sérieux. C'est plutôt rare...
2 En sortant je me disais que l'on voyait encore là à quel point Marcel Duchamp a marqué plusieurs générations d'artistes du 20° siècle, à travers ses détournements d'objets, utilisés dans leur réalité la plus prosaïque.
Mais après tout, commente la Commissaire de l'expo et Directrice des Programmes Culturels de La Monnaie, Chiara Parisi,quand vous la poussez dans ses retranchements, "regardez les pieds nus d'au moins une des Vierges de Caravage, vous verrez qu'ils sont d'une saleté d'un réalisme étonnant..."Dont acte.
3 Personnellement, l'oeuvre que je préfère de Bertrand Lavier, c'est sa sculpture inspiré de Mickey, qui exprime avec une force et une délicatesse exceptionnelles toute la grâce et la fragilité du monde de l'enfance.
4 Hommage soit rendu à l'équipe du Musée de La Monnaie de Paris qui, depuis 2007-2008, ne cesse de monter des expositions importantes d'art contemporain, fidèle en cela à une tradition historique de plusieurs siècles, La Monnaie ayant toujours associé les plus grands créateurs du temps à sa production manufacturée.
On attend avec appétit de découvrir la manière dont La Monnaie s'associera l'année prochaine à la célébration du 40° anniversaire du Centre Pompidou.
5 Je m'enflamme mais je vous dis quand même: n'allez pas voir cette expo si vous êtes allergique à toute désacralisation apparente de l'art.
6 Autre conseil: en venant, ne passez par le merveilleux Pont des Arts: il est actuellement "massacré" par l'accumulation de ce qu'on ne peut qualifier d'oeuvres d'art que par un abus grossier de langage...
L'auteur
Bertrand Lavier est un artiste au parcours atypique. Il n'est pas, entre autres, passé par les Beaux-Arts.Non, ce fils de notaire -comme Duchamp et Dali, et oui...- a une formation d'ingénieur horticole.
La grande spécialité de cet artiste de grande culture, et bourré d'humour, c'est de détourner les objets de leur contexte ordinaire en les peignant, les triturant, les déplaçant, les associant à d'autres, de manière à ce qu'ils nous disent alors quelque chose d'essentiel de nous-même et du monde dans lequel nous vivons.
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