Chagall, Lissitzky, Malévitch. L'avant-garde russe à Vitebsk 1918-1922
Infos & réservation
Thème
Le Centre Pompidou consacre une exposition à l'avant-garde russe, de 1918 à 1922, autour de l'oeuvre de trois de ses figures emblématiques : Marc Chagall, El Lissitzky, Kasimir Malévitch.
A travers l'histoire de la création par Chagall de l'école populaire d'art de Vitebsk en 1918, le Centre Pompidou nous fait revivre un des chapitres méconnus de cette période de fébrilité artistique, véritable laboratoire et utopie collective d'un "art de gauche" russe.
250 œuvres et documents venus du monde entier nous éclairent pour la première fois sur les années post-révolutionnaires où, à l'écart des métropoles russes et au lendemain de la Révolution d'Octobre, l'histoire de l'art va s'écrire à Vitebsk.
Points forts
Nous découvrons avec une grande curiosité cette période de l'avant-garde russe encore méconnue en France, nourrie de l'enthousiasme révolutionnaire qui va tout balayer,notamment l'art académique, pendant ces 4 premières années:
- L'art de gauche selon Chagall
Une loi abrogeant toute discrimination nationale et religieuse, conférant à l'artiste juif un statut de citoyen russe à part entière, va donner l'idée à Chagall, nommé commissaire des beaux-arts, de créer dans sa ville natale deVitebsk une école d'art révolutionnaire, ouverte à tous, sans restriction d'âge, et gratuite.
En fait cette école va avoir comme première mission pour les peintres élèves de Vitebsk de fabriquer les panneaux et les drapeaux pour les festivités du premier anniversaire de la révolution d'Octobre et devenir ainsi un outil de propagande pour le pouvoir bolchevique.
Beaucoup des clés des métaphores de Chagall se retrouvent dans l'analogie avec la révolution qui retourne sans dessus dessous la société russe comme Chagall retourne ses tableaux.
- Du nouveau en art
Très vite, Chagall qui voulait défendre un art fondé sur une pluralité de tendances, de l'art figuratif à l'abstraction, va se faire déborder par l'émergence du mouvement suprématisme et se retrouver isolé de ses élèves.
L'arrivée de son ami El Lissitsky puis du charismatique Kazimir Malévitch, théoricien du suprématisme, va galvaniser les jeunes élèves avec la création d'un courant novateur qui reçoit le nom de Ounovis (les affirmateurs du nouveau dans l'art).
On comprend parfaitement que l'énergie révolutionnaire ait attiré beaucoup plus les jeunes élèves vers le collectif Ounovis que vers le lyrisme poétique de Chagall, qui décide en juin 1920 de quitter Vitebsk pour s'installer à Moscou.
L'abstraction suprématiste devient le paradigme d'un monde libéré, utopique, et Malévitch va s'employer durant cette période à théoriser et enseigner cette école, délaissant la peinture, exception de son superbe "Suprématisme de l'esprit" 1919.
Lissitsky, architecte de formation, va également jouer un rôle capital avec ses idées nouvelles, notamment lesProuns - acronyme signifiant "projets d'affirmation du nouveau en art". Il propose dans ses dessins, exposés pour la première fois en France, de déplier le volume architectural pour l'adapter au plan pictural.
- L'utopie collective du rêve de Malévitch s'affirme, après le départ de Chagall, sous la forme symbolique du "carré noir" qui est repris comme un emblème du suprématisme un peu partout, même dans la vie sociale, jusqu'à être cousu sur la manche de la veste des membres de ce courant.
L'exposition nous fait découvrir la force de ces motifs: carrés, cercles et rectangles qui envahissent les rues de Vitebsk, devenu un véritable laboratoire des utopies du monde suprématiste.
- Une collection d'art comme modèle
Parallèlement un musée d'art est créé et attaché à l'école d'art populaire voulu par Chagall pour constituer une collection d’œuvres des artistes contemporains locaux et moscovites, où figurent des artistes comme Kandinsky, Rozanova, Gontcharova et Larionov; les intégrer dans les projets pédagogiques de l'école et faire connaitre l'histoire de l'art russe à la ville de Vitebsk.
Nous retrouvons une sélection de ces tableaux provenant pour la plupart de la galerie nationale Trétiakov de Moscou.
***
Après Vitebsk en 1922, avec la fin de la guerre civile, le pouvoir soviétique va instaurer un nouvel ordre social loin de ce nouvel art abstrait, incompris, qui ne sert pas les intérêts du parti bolchevique et couper les financements de l'école. L'euphorie artistique aura finalement duré à peine 4 ans.
Malévitch part avec plusieurs de ses étudiants à Pétrograd pour développer ses réflexions sur un suprématisme volumétrique que nous découvrons à travers un ensemble de maquettes exposées d'une architecture utopiste et des pièces de vaisselle en porcelaine d'une modernité surprenante.
Chagall, après son départ précoce de Vitebsk, règle subtilement ses comptes avec ses anciens amis suprématistes tout en travaillant à Moscou pour les décors du Théatre national juif Kamerny, avant de quitter la Russie en 1922 pour Berlin puis Paris.
Quelques réserves
Je n'en vois pas tant cette rétrospective nous ouvre les yeux sur une période aussi foisonnante d’énergie inventive et créatrice , qui anima cette petite ville de Vitebsk il y a tout juste un siècle.
Encore un mot...
Cette belle exposition sur l'avant-garde Russe m'a perturbé plus qu'attendu, tant le souffle novateur, révolutionnaire et utopiste animé par cette trentaine d'artistes est présent à chaque pas de notre parcours.
L'école populaire d'art voulue par Chagall s'était muée en un laboratoire révolutionnaire pour repenser la société. Un moment crucial où Art et Histoire fusionnent le temps d'une révolution pour tenter de créer un monde nouveau...
Ajouter un commentaire