Nous les Ultras !
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Thème
"On n'échappe pas à son destin, à sa vérité profonde" affirme d'emblée Robert Haehnel qui, passant en revue sa vie, son itinéraire, ses sentiments et ses ressentiments, conclut qu'il s'est toujours reconnu comme un "ultra"... Pas du genre de ceux qui donnent dans la violence, de gauche ou de droite, mais de ceux qui n'éprouvent que mépris et colère pour le "monde nivelé et tristement délétère" dans lequel on vit où tout doit répondre à des normes et à des valeurs qu'il juge fausses. Il s'en explique en s'appuyant sur bon nombre d'exemples. Car être un "ultra" n'est pas un simple trait de caractère ni même une réaction aux regrets ou aux déceptions de son existence. Non. Etre "ultra" lui vient de loin. Cette identité ressentie est ancrée dans un terroir et dans sa famille qui a vécu les multiples soubresauts des guerres de 1870 à 1945, en Prusse, en Lorraine, en Russie...
Son livre est divisé en trois parties, la première intitulée Généalogie, la deuxième Itinéraire, la troisième Crépuscule, chacune comportant entre 6 et 8 chapitres. Ce découpage évite d'énumérer de manière chronologique la succession des événements de sa vie et autorise une réflexion plus en profondeur.
Points forts
· La première partie, consacrée à son héritage familial, est, de loin, la plus attachante : la vie à Metz dans la Lorraine livrée à l'Allemagne ; les époux et les fils tués ou disparus dans les guerres successives ; la souffrance d'un cousin "Malgré Nous", envoyé sur le front russe... Tout ce vécu si douloureux est raconté avec sensibilité et talent. Et c'est tout à l'honneur de Robert Haehnel de conserver la mémoire de ce récit dans lequel d'autres familles de France et d'Allemagne pourront se reconnaître.
· Dans la deuxième partie, on suit avec intérêt la vie qu'il a menée au Liban (coopération, en 1968, durant plus d'un an), d'abord insouciante puis inquiétante et même dangereuse lorsque les premiers affrontements ont fait basculer le pays dans la guerre.
· Fine et originale analyse de ce que l'auteur appelle "le mode de réitération binaire", autrement dit ce qu'il vit une première fois se répète en écho une seconde fois. Par exemple, un jour il choisit la Tunisie seulement pour trouver du repos sur une plage ; trois mois plus tard, il est envoyé à Tunis dans le cadre des marchés des Communautés Européennes, sans l'avoir voulu (pages 70-71). Ce mécanisme curieux de "fatalité de la dualité", il l'examine à la loupe car il s'est répété plusieurs fois au cours de son existence.
· Bonne diatribe contre ces consultants "experts" qui interviennent sur les ondes et antennes à tout bout de champ et sur tous les sujets : il dénonce cette logorrhée politique et informative. Une imposture à ces yeux...
· Son style et son écriture sont travaillés, les mots choisis, les points de vue analysés avec justesse. On sent qu'il ne se contente pas de relater des souvenirs, il cherche à en comprendre le sens profond. Il excelle notamment dans les portraits.
Quelques réserves
· Pourquoi la 4ème de couverture indique-t-elle qu'il s'agit d'un roman (et sur Internet l'éditeur persiste...) Cela impliquerait des personnages et des situations sortis de l'imagination de l'auteur, en partie au moins... Ce n'est pas le cas ici puisque ce récit est autobiographique.
· Robert Haehnel s'est senti en affinité avec les tenants de l'Algérie française, il aurait aimé être "para" et porter le béret rouge (p. 94)...ça n'a pas été possible. Le lecteur ne comprend d'ailleurs pas vraiment pour quelles raisons... Bref, il n'a pas participé à la guerre d'Algérie et bien qu'il cite les noms de plusieurs membres de l'OAS, on a l'impression qu'il ne les a jamais rencontrés.
· Pourquoi consacrer dans la troisième partie (la moins intéressante) 35 pages à un certain Marc Raphin, que personne ne connait, qui ne semble pas avoir joué un rôle essentiel dans la sûreté de l'Etat entre 1970 et 1990 (était-il un agent du SDECE ?) et dont Robert Haehnel lui-même avoue qu'il lui difficile de relater son étrange cursus.
Encore un mot...
En regardant derrière lui, Robert Haehnel considère sa trajectoire avec pessimisme. Cherchant une échappatoire hors de la médiocrité, il aurait aimé donner sa vie à un idéal élevé : ce côté-là est sympathique. Mais comme il affirme qu'il n'a eu qu'une "vie au rabais", plate, convenue, et finalement "perdue", et qu'il aborde la vieillesse comme une lente dégénérescence, autant dire que la lecture de son ouvrage, pourtant intéressant à bien des égards et offrant des analyses originales, ne remonte pas le moral !
Une phrase
"Le fait que je me sois identifié, reconnu comme étant un ultra, que je ne puisse supporter ce monde dans lequel on a subrepticement glissé, n'était certainement pas le fait du hasard ou d'une brusque illumination. La guerre d'Algérie avait été le grand révélateur, le catalyseur ; on ne devient pas un ultra. On doit posséder de véritables penchants, on naît d'une certaine façon dans cette disposition..."
L'auteur
Après de solides études classiques puis commerciales, c'est dans le domaine de la communication et du management que Robert Haehnel a fait sa carrière ("l'antinomie de ce que j'étais" écrit-il p. 96) en occupant à plusieurs reprises des fonctions de direction. Il a publié plusieurs ouvrages de management, notamment destinés aux PME, dont Je communique et Patron et 1er exportateur de mon entreprise (éditions Gualino, destinées aux étudiants et aux professionnels). Il a été l'éditeur du site "lespmeexportent.fr".
Il vit aujourd'hui sur la Colline de Vézelay où il se consacre à l'écriture. Dans son roman Esprit de famille (éditions Vaillant), il imagine un "dernier de lignée" rattrapé par toute sa famille grâce à une étrange passion, celle de la photographie. Impossible alors d'échapper à ces revenants en noir et blanc...
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