L'aube des idoles

Voici décortiquées quelques croyances d’aujourd’hui, souvent prêtes à l’emploi, parfois radicales…
De
Pierre Bentata
Editions de l'Observatoire
176 pages
17 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

 Depuis l'éclosion des "Lumières" au XVIIIème siècle, les idéologies ou religions "laïques" se sont considérablement développées.

Pour ne considérer que le monde "moderne", elles ont pour noms libéralisme, communisme, nationalisme, écologisme, antispécisme, véganisme, transhumanisme… Pierre Bentata décompose dans cet essai les mécanismes qui conduisent nombre d'entre nous à adhérer à ces nouvelles croyances et à s'engager dans des mouvements militants, au nom de vérités révélées ou de catastrophes annoncées. Il y voit la réponse au besoin inhérent à l'être humain de se donner des idoles et des idéaux. La question qu'il explore n'est pas de porter un jugement de valeur mais de montrer en quoi ces nouvelles croyances nous écartent du réel, éteignent le débat au nom du relativisme des vérités autant qu'elles engendrent des "passions tristes" et mortifères pour des mondes inaccessibles. 

La première partie du livre est consacrée à l'exploration de ces idéologies et croyances, et en particulier des mécanismes communs qui les fondent. La deuxième partie vise à nous faire comprendre notre besoin de croire ; la troisième et dernière partie est une invitation à savoir vivre sans s'abstraire du réel afin de partager durablement un projet de société fondé sur le progrès.

Points forts

 1. L'exploration des mécanismes de la croyance, qu'elle soit religieuse ou laïque, est très intéressante.  Concrète, elle s'appuie sur les exemples de nos religions modernes, libéralisme et collectivisme, écologie militante, théorie du genre, antispécisme etc. Leurs mécanismes sont décortiqués, jusqu'à en révéler les biais - voire l'absurdité - que Pierre Bentata qualifie de déni du réel. Pour autant, il n'en disqualifie pas le besoin de croire, qui serait le propre de Sapiens, mais en explique les racines communes à toutes les époques.

2. Une démonstration argumentées par des références solides, qu'il s'agisse des écrits des nouveaux prophètes, et pour n'en citer que quelques uns, des approches philosophiques, psychanalytiques, sociologiques, anthropologiques de Kant, Feuerbach, Freud, Aron, Bronner, Piettre, Dehaene ou encore Cyrulnik, Hariri ou Braunstein (voir sur le site de Culture-Tops quelques chroniques sur leurs derniers ouvrages).

Quelques réserves

1. Une deuxième et troisième parties plus abstraites, sur les "origines de l'illusion" - entendez le besoin de croire en une transcendance, à un destin qui vous dépasse.

2. Le parti pris qui associe le besoin de croire à une "détestation du réel", au sentiment d'absurdité et de non sens du présent ne sera pas nécessairement partagé par tous les lecteurs.

Encore un mot...

 Par la démonstration simple de la première partie et la décomposition des mécanismes communs à toutes les croyances, ce livre m'a fait penser à La psychologie des foules de Gustave Lebon (publié en 1895). Livres utiles, l'un comme l'autre, pour comprendre ce qui motive en nous l'engagement pour des causes et des opinions. Ce livre est sans concession pour les nouvelles croyances radicales - écologie politique, genre, antispécisme notamment.

S'il n'en conteste pas l'intérêt intellectuel, il stigmatise ces  idéologies post-modernes comme un déni du réel et une aspiration à un idéal qui en est si éloigné qu'il ne peut qu'être insatisfait . Ce livre est aussi intéressant par la dissection des mécanismes de revendication du bien fondé de ces idéologies, dont l'abondance et l'indifférenciation des sources d'information par internet pourrait être le terreau. Enfin, et c'est l'esprit de sa conclusion, Pierre Bentata s'inscrit manifestement dans ce courant de pensée qui voit dans le progrès - non pas une source d'angoisse - mais la solution pour aborder et résoudre les enjeux des décennies à venir.

Une phrase

 "Le relativisme autorise toutes les interprétations du réel, mais aussi leur cohabitation, au nom d'une absence de vérité ou de son caractère inaccessible. Ainsi apparaissent des alliances idéologiques totalement extravagantes entre groupes que pourtant tout oppose. La meilleure illustration […] est l'apparition du "féminisme islamique". P 58

 " Du désir de réduire les inégalités entre hommes et femmes et de lutter contre les discriminations relatives à la sexualité, la théorie aboutit à l'abolition des différences et à la revendication d'un droit à être un autre, droit qui sera toujours déçu et dont l'infraction sera toujours reprochée à l'autre". P 67

 "Avec Internet, la vérité -qui ne plait pas toujours et réclame un investissement cognitif- a disparu dans l'océan des croyances prêtes à l'emploi". P 106

 "… les algorithmes favorisent la rencontre d'opinions et de points de vue identiques, facilitant ainsi la création de mouvements idéologiques fondées sur des croyances partagées par une communauté au sein de laquelle nul ne ressent le besoin de vérifier l'authenticité puisqu'elles confirment un sentiment préexistant et sont à la base de l'identité du groupe". P 107

 [ A propos de l'idéalisation du passé] 

"En dépit de sa parfaite contradiction avec les statistiques, les études et l'analyse historique, cette attitude décliniste séduit un  nombre croissant de personnes, particulièrement dans les pays développés. Cela s'explique simplement : le passé est un trésor pour qui hait le présent, car il peut être interprété à l'infini selon les goûts de chacun…". P 143

"Aimer le présent, c'est finalement faire le deuil d'une croyance rassurante, mais illusoire, accepter que rien ne dure et rien ne soit figé, ni la Culture, ni la Nation, ni la Nature ; pas moyen de revivre les grandes manifestations et les mouvements historiques du passé, ce qui a eu lieu est mort et l'humus des événements du passé doit nourrir le présent, pas l'asphyxier". P 171

L'auteur

Pierre Bentata est professeur d'économie et chercheur. Il collabore régulièrement avec des quotidiens économiques. Co fondateur du Think tank le Cercle de Belem avec l'économiste Nicolas Bouzou, il est aussi l'auteur de Des Jeunes sans Histoire (2016), et Les désillusions de la liberté (2017).

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