La Philosophie devenue folle : le genre, l’animal, la mort

Une mise au point aussi féroce, brillante et drôle qu'indispensable
De
Jean-François Braunstein
Editions Grasset - 400 pages
Notre recommandation
4/5

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Thème

L’heure est au rapprochement conceptuel entre l’humain et l’animal, à la revendication du pouvoir de déterminer sa propre mort, mais aussi, dans une moindre mesure, à l’abolition des frontières identitaires liées au genre, si l’on en croit plusieurs sondages d’opinion réalisés ces dernières années. 

Cette tendance, qui se traduit philosophiquement, est souvent associée à ce que d’aucuns pourraient considérer comme un « politiquement correct » aussi niais qu’inoffensif. 

Cependant, cette recherche de continuité absolue entre genres, espèces, vie et mort n’est pas sans soulever un certain nombre de contradictions et provoquer des dérives inquiétantes:

   - Le genre est remis en cause comme identité mais le sexe d’un individu perdure ad vitam eternam dans l’immense majorité des cas et peut entraîner, lorsqu’on décide d’en changer, des conséquences psychiques et sociales à l’origine de drames humains. 

   - La mort est présentée comme devant être choisie mais pose plus largement la périlleuse question des vies indignes d’être vécues.

  - Les animaux sont défendus par des antispécistes qui, pourtant, imposent eux-mêmes des hiérarchies inévitables entre les espèces animales tout en allant jusqu’à dévaloriser indirectement certains êtres humains.

Ce sont ces contradictions et leurs manifestations parfois délirantes que l’auteur entreprend de dénoncer, non sans humour.

Points forts

- Un texte provocateur mais extrêmement adroit et documenté. Loin d’être dans l’insulte gratuite et la saillie facile de certains excitateurs autoproclamés, l’argumentation de cet essai est rigoureuse, analysant et critiquant avec adresse les théories de philosophes de prestigieuses universités tels que John Money et son concept d’hermaphrodisme humain, ou encore Peter Singer et son concept de sensibilité animale, ce qui donne un intérêt certain aux thèses avancées. Par exemple, concernant la théorie du genre, l’auteur relate les errements de Money, plaidant pour un genre devant être fluctuant chez l’individu tout en n’ayant aucune conséquence psychique négative sur lui, alors que Money lui-même a vraisemblablement poussé, par ses expériences, son patient le plus emblématique au suicide.

- L’humour féroce avec lequel l’auteur déploie parfois son argumentation fait sans aucun doute la force du texte. Qu’on approuve ou non les thèses défendues par le livre, on ne peut parfois se retenir de rire aux évocations de la « guerre des toilettes » (débat passionné autour de l’autorisation légale d’ouvrir l’accès aux toilettes de l’un ou de l’autre sexe suivant le genre auquel on s’identifie, ayant tant agacé les conservateurs qu’il a probablement contribué à précipiter l’élection de Donald Trump), ou encore du « cri de la carotte » (théorie poussant à l’extrême et à l’absurde l’idée d’une sensibilité d’autres êtres que l’homme). La palme de cette drôlerie revient surtout au chapitre sur les animaux où l’on découvre, entre autres, les errements de la philosophe Donna Haraway, « échangeant des baisers profonds » avec son chien. L’encadré intitulé « Quand les bœufs font partie de la communauté universitaire » est, quant à lui, franchement hilarant.

 

Quelques réserves

Le livre ne peut être que clivant et choquera probablement un certain nombre de personnes, d’autant que les ennemis de la théorie du genre ne sont pas forcément ceux de la défense des droits des animaux ou de l’euthanasie, et vice-versa. La probabilité de déplaire à de  nombreux lecteurs est donc réelle, mais cet ouvrage a toutefois le mérite de s’attaquer aux caricatures et aux dérives des théories qu’il dénonce, sans nier ou mépriser les débats qu’elles peuvent initialement susciter.

Encore un mot...

Un livre drôle et féroce, mais ferme et argumenté, sur des dérives philosophiques d’autant plus inquiétantes qu’elles paraissent pavées des meilleures intentions du monde. Une excellente surprise.

Une phrase

« La séparation entre l’homme et l’animal ne serait plus qu’une catégorisation arbitraire, et périmée : certains philosophes à la mode dénoncent alors un « essentialisme », qui consisterait à séparer en catégories distinctes, en « essences », ce qui serait en fait un continuum, de l’animal à l’homme. Le racisme n’est alors pas loin et c’est le coup de génie de Peter Singer que d’avoir popularisé la notion de « spécisme » pour désigner les discriminations à l’égard des animaux du simple fait qu’ils ne font pas partie de notre espèce. On s’est moqué naguère de Stéphanie de Monaco lorsqu’elle aurait énoncé posément que « les animaux sont des humains comme les autres ». Mais il est aujourd’hui de plus en plus courant, au moins dans le monde anglo-saxon, de parler d’ « animaux humains » et d’ « animaux non humains », de manière à effacer cette séparation potentiellement discriminatoire ». 

L'auteur

Jean-François Braunstein est professeur de philosophie contemporaine et chercheur à la Sorbonne. Il y enseigne notamment l’histoire des sciences et la philosophie de la médecine.  Après avoir soutenu une thèse d’histoire de la médecine sur Broussais, il a, entre autres, publié des livres sur Auguste Comte (« La philosophie de la médecine d’Auguste Comte, Vierge Mère, vaches folles et morts vivants »),  Georges Canguilhem (« Canguilhem, histoire des sciences et politiques du vivant ») ou encore Michel Foucault (« Foucault(s) »). Il poursuit actuellement des recherches portant, entre particulier, sur l'histoire et la philosophie  des sciences  humaines et de la médecine.

Commentaires

Chorus
jeu 27/09/2018 - 10:49

Voilà le livre que j'attendais pour rééquilibrer ce débat en posant les bonnes questions aux défenseurs de ces idées bien pensantes mais délétères.

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