Voltaire, le culte de l’ironie
p. 96
20 €
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Thème
Comment aborder la vie d’un philosophe en Bande Dessinée ? Voici donc la question qu’ont tenté de résoudre Beuriot et Richelle, les auteurs de la très jolie série Amours fragiles (7 tomes parus chez Casterman également), en choisissant de s’attacher au parcours de Voltaire. Ce choix ne doit rien au hasard, car le philosophe offre aux auteurs une vie complexe et agitée, digne des meilleurs romans d’aventure. Richelle, le scénariste, a fait preuve de beaucoup d’habileté pour construire cette histoire : il a imaginé un biographe fictif rencontrant un Voltaire vieillissant et déroulant avec lui le fil de sa vie. Ainsi se développent en même temps deux histoires. Celle de ce Voltaire vieillissant, mais encore très actif, qui consacre le crépuscule de sa vie à améliorer la vie des habitants du village de Ferney, où il s’est installé. Et celle du jeune François-Marie, qui trace le chemin qui va amener ce fils de notaire à devenir un des esprits les plus brillants de son siècle.
A ce stade, les auteurs tenaient un bon sujet, mais peut-être pas une bonne BD, car ce double récit pouvait s’avérer manquer d’un peu d’intensité. D’où leur idée d’imbriquer dans cette histoire un troisième récit, celui de l’affaire du chevalier de La Barre, ce jeune aristocrate exécuté en 1766 pour sacrilège et blasphème à l’égard de l’Eglise. Voltaire, horrifié par ce qui apparaît très vite comme une grossière injustice, va, malgré son grand âge et sa santé fragile, mener le dernier combat de sa vie : obtenir la réhabilitation du chevalier.
Points forts
Les auteurs réussissent à mêler des objectifs pédagogiques, comme montrer au lecteur qui était Voltaire et l’homme qui se dissimulait sous le philosophe, et une structure de BD traditionnelle d’aventure. Là où on aurait plutôt attendu un roman graphique un peu ennuyeux, ils arrivent à captiver le lecteur, grâce, en particulier, à ces fils narratifs entremêlés.
Le travail de documentation soigné de Richelle permet aussi de donner un éclairage intéressant sur Voltaire, et sur quelques-uns de ses travers. J’ignorais pour ma part que l’homme était autant empli de contradictions : philosophe des Lumières, il était pourtant contre le suffrage universel ; auteur de pamphlets à succès contre les représentants du pouvoir, il pouvait également être le plus obséquieux des courtisans ; et, enfin, on apprend également que sa soif d’enrichissement pouvait aller jusqu’à la cupidité.
Dernier point fort, le très joli graphisme de Beuriot, tout en légèreté et en touches pastel, donne beaucoup de fluidité à la lecture de l’ouvrage. Dessins et couleurs sont réalisés avec beaucoup de soin, sur le même support graphique, en application directe.
Quelques réserves
Comme souvent dans mes chroniques, les points forts peuvent cacher un point faible. Ainsi, les trois histoires qui s’entremêlent peuvent laisser le lecteur sur sa faim. On a l’impression de ne rentrer dans aucune d’entre elles autant qu’elles le méritent et de rester à la surface de l’histoire, alors qu’il y aurait tant à creuser. C’est particulièrement sensible sur l’histoire du chevalier de la Barre, qui a tous les ingrédients du grand récit, mais qui n’arrive pas à nous emporter.
Encore un mot...
C’est une démarche récurrente de la BD moderne que de vouloir créer des passerelles entre le neuvième art et ses illustres prédécesseurs. J’en veux pour preuve les nombreuses BD sorties pour illustrer la vie de grands peintres. Les passerelles entre littérature et Bande Dessinée prennent plus souvent la tournure d’adaptations (ou de tentatives d’adaptations) d’œuvres littéraires. Cela a nourri le genre très prisé du roman graphique.
A ma connaissance, les biographies de philosophes en bandes dessinées constituaient encore un genre inexploré, du moins sur ce mode romanesque. Ce coup d’essai, sans être un coup de maître, n’en n’est pas moins une œuvre de qualité qui méritera l’attention de l’amateur de Bande dessinée curieux de mieux connaître ce personnage étonnant qu’était Voltaire.
Une illustration
L'auteur
Né en 1961, Jean-Michel Beuriot fait le vœu de devenir dessinateur de bandes dessinées. Après des études en arts plastiques et un voyage important en Afrique du Nord, il se lance dans le métier en travaillant comme graphiste dans l'édition et en illustrant affiches et couvertures de livres. Il fait ses premiers pas dans la bande dessinée en illustrant des récits complets aux Éditions du Lombard. Publié dans (A Suivre), il conquiert peu à peu une réputation qui le mène à un premier album chez Glénat, Le bruit des bottes. En collaboration avec Philippe Richelle, il dessine Belle comme la mort prépublié dans la revue (A Suivre) et paru en 1995 chez Casterman. Il illustre aussi, toujours sur un scénario de Richelle, la série "Amours fragiles", également publiée chez Casterman.
Né à Liège en 1964, Philippe Richelle a fait ses débuts comme dessinateur dans Le journal de Tintin. Il a déjà publié aux éditions Glénat Le Télévore (1990) avec Delitte, Venturi (1991) et Rebelles (1992) avec Beuriot. C'est également avec Beuriot qu'il fait son entrée chez Casterman, en réalisant en 1995 le scénario de Belle comme la mort. Toujours chez Casterman, il a également publié Le poids du silence, la série "Amours fragiles" et la série "Les coulisses du pouvoir", en collaboration avec Delitte.
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