Un maillot pour l’Algérie
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Thème
Deux mois avant le début de la Coupe du Monde de Football 1958, 12 joueurs professionnels français d’origine algérienne quittent clandestinement la Métropole. Seuls, accompagnés ou précédés par leurs familles, ils ont pour point de rendez-vous l’ambassade de Tunisie, à Rome. Deux d’entre eux se font arrêter à la frontière et ne peuvent rejoindre leurs camarades. Les autres s’envolent de Rome pour Tunis afin d’accomplir un projet fou : former la première équipe de football nationale d’Algérie. Leur objectif : mettre le football au service de la cause Algérienne en devenant les porte-drapeaux pacifiques d’un pays qui n’a pas encore officiellement pris place au rang des nations.
Ils ne le savent pas encore mais, en effectuant clandestinement le voyage inverse quelques années après avoir quitté Alger, Oran ou Sétif pour chercher gloire et fortune dans les clubs professionnels métropolitains, Hammadi, Abderrhamane, Abdelaziz, Mustapha, Saïd, Mokhtar, Mohamed, Abdelhamid, Rachid, Amar, Kaddour s’embarquent dans une aventure au long cours. Pendant 3 ans, ils porteront à 83 reprises le maillot vert et blanc de leur nation en devenir, dans des pays aussi différents que la Tunisie, l’Irak, la Yougoslavie, ou la Pologne. Ils connaîtront les affres de la vie en exil ; mettront à l’épreuve leurs familles ; seront reçus comme des héros ou traités en parias. Mais ils garderont la fierté d’avoir mis leur talent de sportifs au service de leur Patrie naissante.
Points forts
- 10 juin 2016 : quatre jours avant la publication de cette chronique, coup d’envoi de l’Euro de Foot 2016. Alors que la préparation de cette compétition jouée en France a donné lieu à des échanges aux relents nauséabonds quant aux critères de sélection des joueurs français, Un maillot pour l’Algérie vient intelligemment élever le débat. Il démontre, sans polémique ni caricature mais avec fermeté, que sport, politique et nationalisme peuvent faire bon ménage. Il rappelle aussi la force des hommes qui se retrouvent autour d’un projet collectif dépassant leurs ambitions personnelles. Mustapha Zitouni renonce ainsi à jouer une Coupe du Monde 1958 qui aurait pu l’amener au panthéon des sportifs français, pour voyager sur le marchepied d’un bus cacochyme et dormir sous la tente, en plein hiver, au fin fond des montagnes irakiennes.
- Cet album nous replonge également dans une période où le sport professionnel pouvait encore paraître proche de celui des terrains vagues et des cours de récréations. Un sport professionnel où les héros se changeaient dans des vestiaires et sur des bancs de bois ressemblant fort à ceux où le joueur du dimanche venait chausser les crampons. Il peint également par petites touches un univers déjà en proie à des travers qui iront en s’amplifiant : joueurs ‘marchandises’, recruteurs ou agents peu soucieux de l’intérêt de leurs ‘poulains’, présidents de club affolés par le miroir aux alouettes de la notoriété, condescendance vis-à-vis du continent Africain …
- Un maillot pour l’Algérie nous offre aussi un voyage passionnant dans l’histoire de la décolonisation et de la guerre froide, à la charnière des années 1950 et 1960. Les auteurs nous font ainsi visiter l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Europe de l’Est. Sans parti pris mais sans complaisance, ils décrivent les relations parfois ambigües entretenues par les pays du Bloc Communiste ou membres des Non-Alignés avec les représentants sportifs de cette Algérie naissante qu’ils sont censés soutenir. Où on se rend compte que préjugés, jalousie, racisme et sentiment de supériorité ne sont malheureusement l’apanage d’aucun camp …
- Les amateurs de BD férus d’histoire et d’Algérie retrouveront dans la façon de traiter le conflit Algérien –sans jugement, avec humanité mais sans concession – une proximité certaine avec l’œuvre de Jacques Ferrandez, Carnets d’Orient, éd. Casterman, 1987-2009. Ceux épris de littérature ne pourront qu’y retrouver des accents camusiens dans la façon de mettre l’homme et son individualité au premier plan de la Grande Histoire, tout en portant un regard tendre mais lucide sur l’histoire passionnelle entre France et Algérie.
Quelques réserves
Cet album séduisant captive rapidement et passe l’envie de le fermer. Deux points peuvent néanmoins être relevés. Tout d’abord, l’avion d’Air France qui emmène les footballeurs rebelles de Rome à Tunis n’a certainement pas été lancé en 1958 tant il ressemble à un Airbus contemporain. De même, le logo de la compagnie paraît bien moderne. Clin d’œil à l’Air France d’aujourd’hui ou légère lacune de documentation ? Enfin, la chute pourrait faire perdre en puissance au fil rouge de l’ouvrage. Mais je vous laisse vous faire votre idée.
Encore un mot...
Il faut lire Un Maillot pour l’Algérie:
- Parce qu’il rappelle opportunément que le sport peut être une formidable caisse de résonnance politique. La mort récente de Mohammed Ali nous le rappelle également.
A ce sujet, il faut d’urgence se (re)plonger dans l’excellentissime When We Were Kings, Leon Gast, 1996. On pourra également (re)voir Invictus, Clint Eastwood, 2009, qui relate la façon dont la nation arc-en-ciel s’est ressoudée en 1995 autour de la victoire, en coupe du monde, de l’équipe nationale de rugby, Les Springboks, pendant longtemps symbole honni de l’apartheid.
- Parce qu’il est enthousiasmant de se rappeler que l’intérêt général prime parfois sur le l’intérêt individuel.
- Parce qu’il est inédit de se demander ce qu’il serait advenu de l’équipe de France de Football en Suède si Mohamad Zitouni et Rachid Mekhloufi avaient joué dans ses rangs. Qui sait si la France n’aurait pas battu le Brésil en demi-finale et si la renommée de ces joueurs, réelle mais restreinte à un cercle d’initiés, ne serait pas devenue l’égale de celle d’un Just Fontaine ou d’un Raymond Kopa ?
- Parce qu’il est bon de se souvenir que le sport professionnel, le football, restent avant tout un jeu, une passion de gamin allumée sur les terrains vagues de l’enfance tels ceux écumés à Sétif par Rachid Mekhloufi et ses amis dans les années 40.
Une phrase
« Mouais, ces barbelés ne sont pas près de rouiller, si vous voulez mon avis. Et alors ?! Un ballon, ça passe par-dessus n’importe quel barbelé ! »
L'auteur
Ils sont trois pour faire œuvre collective, comme une équipe de football:
- Kris: breton, né en 1972. Il fait le tour des petits boulots avant de se lancer dans l’aventure de la BD. Un homme est mort, 2006, dessin Etienne Davodeau, lui assure une notoriété publique et critique. Ses scenarii ont toujours une dimension peu ou prou historique à l’image du très remarqué Notre Mère la Guerre, dessin Maël.
- Bertrand Galic: breton aussi, né en 1974. Perpétuant la vocation familiale, il commence sa carrière par un professorat qui commence à l’emmener loin de ses landes natales. Revenu à ses racines, fort du soutien de ses amis, dont Kris, il se lance dans l’écriture. En 2015 paraît son premier ouvrage, adaptation du Cheval d’orgueil, dessiné par Marc Lizano. Il s’investit également dans l’association « Brest en bulle ».
- Javi Rey: le plus jeune, né en 1982. Pas breton mais espagnol, pays où il grandit et vit toujours. Après des études d’illustration et un début de carrière dans la publicité, le scénariste Franck Giroud – Le Dégalogue, Louis La Guigne, Quintett – lui permet de démarrer dans la BD. Ce sera chose faite avec Adelante, histoire épique et romantique. Avec Un maillot pour l’Algérie, ce supporter du Barca conjugue sa passion pour le footballe et celle pour la BD.
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