Petit Pays

Petit pays, pendant trois mois, tout l'monde t'a laissé seul […]
De
Savoia, Sowa, Faye
Ed. Aire Libre
126 p.
26 €
Notre recommandation
5/5

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Thème

Gaby est adolescent. Lui et ses amis mènent une vie de privilégiés dans une impasse de Bujumbura, capitale du Burundi, dont les murs les protègent des tumultes du monde extérieur. 

Son père est Français, originaire du Jura, arrivé en Afrique presque par hasard. Sa mère est Tutsi, réfugiée rwandaise. Elle n’a jamais vécu dans son pays d’origine que sa famille a fui après la prise du pouvoir par les Hutus. Elle rêve de quitter le Burundi. Son père ne s’imagine pas vivre ailleurs. 

Gaby et sa petite sœur Anna assistent au délitement du couple parental sur fond de luttes politiques et de montée des tensions ethniques et raciales des deux côtés de la frontière. La vie de Gaby commence à basculer lorsqu’il voit Gino, son meilleur ami, Tutsi comme lui, s’acharner avec haine sur un de leurs camarades d’école d’origine Hutu. 

Points forts

La description à hauteur d’adolescent de l’engrenage politique, ethnique, racial qui déboucha sur le génocide rwandais est un premier choc que l’on reçoit de plein fouet. Le récit des atrocités inimaginables auxquels seront confrontés Gaby et sa famille en est un second. Il pose les questions qui reviennent à chaque fois que se déroulent des massacres d’une telle ampleur. Comment peut-on en arriver là ? Comment peut-on tuer pour une histoire de race, de taille ou de nez ? Comment continuer à vivre et à espérer ?

Petit Pays témoigne de la résilience des enfants face à l’horreur. Ainsi, la rencontre de Gaby avec la littérature lui permet-elle de la mettre parfois et momentanément à distance. Ainsi ses retrouvailles des années après avec Armand, un de ses amis de l’impasse, toutes en retenue et en demi-vérités, pour renouer le fil d’une amitié égarée, car la vie continue. 

L’histoire des parents de Gaby est bouleversante. « Adolescents paumés à qui l’on demande subitement de devenir des adultes responsables […] », l’échec de leur couple semble se confondre avec celui de la cohabitation entre Tutsis et Hutus, au Burundi comme au Rwanda. Ballotés par les évènements, ils se retrouveront impuissants face à une situation qui les dépassent : « Comment les protéger de quelque chose contre quoi on ne sait pas soi-même se protéger ? » 

Leurs choix le sont tout autant. Le père de Gaby enverra ses enfants seuls en France pour les mettre à l’abri, préférant rester au Burundi au risque de sa vie. La mère de Gaby  les laissera avec leur père pour retourner au Rwanda essayer de sauver sa sœur et ses neveux, entamant ainsi un voyage au bout de l’horreur dont elle ne reviendra jamais. 

Le regard empreint d’une infinie tendresse que Gaël Faye porte sur ses parents l’est plus que tout. Les mots avec lesquels il parle de son père – « Je me souviens de la petite main de Papa qui s’agitait au balcon de l’aéroport. Pourquoi ne partait-il pas avec nous ? […] De quelle vie rêvait-il ? Papa, ce héros plein de failles, de contradictions et de bonne volonté. » – et la  façon dont il continuera à s’occuper de sa mère sont la preuve d’un amour filial plus fort que les plus grands drames. Petit Pays, c’est aussi l’histoire d’une famille.

Quelques réserves

J’aurais aimé savoir comment la touchante petite Anna a survécu à la guerre, ce qu’elle est devenue. J’imagine que la pudeur et la discrétion du grand frère auteur ont souhaité la protéger du regard public. Et c’est très bien comme cela. 

Encore un mot...

J’avais 19 ans quand s’est déroulé le génocide rwandais. A l’époque, je n’ai pas tout compris du drame qui se déroulait au cœur de l’Afrique. En témoignant sans ambiguïté de l’indicible avec une  retenue délicate dépourvue de toute  morale culpabilisatrice, Petit Pays m’a offert la possibilité de combler, un peu, cette lacune. Merci aux auteurs pour cette opportunité.

Je n’ai pas lu le livre éponyme dont cette BD est tirée (Petit Pays, éd. Grasset, 2016), ni vu son adaptation au théâtre par Frédéric Fisbach. Mais j’en ai regardé l’adaptation cinématographique réalisée en 2020 par Eric Barbier. Et découvert la musique de Gaël Faye, jusqu’alors seulement croisé en écoutant Ephémère, album où il collabore avec Grand Corps Malade et Ben Mazué. J’ai plongé dans son univers, sa poésie, la tessiture de sa voix, la rythmique de son phrasé. Merci à lui pour cette immersion. 

Une illustration

Une phrase

Pour faire connaissance avec Sylvain Savoia, je vous invite à vous référer à la chronique Cartier-Bresson, Allemagne 1945 mise en ligne sur notre site le 07 juillet 2016. Complétons cette présentation par le rappel de quelques autres jolis ouvrages auxquels il a œuvré : Les Esclaves oubliés de Tromelin, éd. Aire Libre, 2015 ; Marzi, en collaboration avec Sowa, sa complice de Petit Pays, éd. Dupuis, 2015-2019 ; ou le collectif Spirou défenseur des droits de l’homme, éd. Dupuis, 2019.

Marzena Sowa est la compagne de Sylvain Savoia. Polonaise, elle arrive en France à 22 ans pour y finir ses études. Ils s’associent pour créer à partir de 2004 Marzi, BD autobiographique racontant les souvenirs de sa jeunesse passée en Pologne pendant les dernières années du régime communiste. Elle scénarise ensuite plusieurs albums dont N’embrassez pas qui vous voulez, éd. Dupuis, 2012 ; L’Insurrection, éd. Aire Libre, 2014 ; La Grande Métamorphose de Théo, éd. , La Pastèque, 2020.

Après son enfance au Burundi relatée dans Petit Pays, Gaël Faye réalise en France des études dans le commerce et la finance avant de rejoindre un fonds d’investissement à Londres. Au bout de deux ans, il se lance dans la musique et l’écriture. En 2013 sort son premier album solo, Pili Pili sur un croissant au beurre, sur le label Motown France. Il publie en 2016 son roman autobiographique, Petit Pays, aux éditions Grasset qui remporte de nombreux prix : prix du Roman FNAC, prix Goncourt des Lycéens, prix du Roman France-Culture-Télérama. Il vit depuis 2015 à Kigali, la capitale du Rwanda, avec sa femme et ses enfants. 

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