Pacific Palace, le Spirou de Christian Durieux
79 pages -
16,50 €
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Thème
SPIROU : ce personnage de groom, créé par Rob-Vel à la fin des années 30, s’est imposé dans l’imaginaire des enfants belges et français comme l’inlassable globe-trotter et concurrent graphique de l’autre héros de l’époque, le non moins célèbre Tintin. Une des grandes différences entre les deux est que, si Hergé a toujours été le seul et unique créateur et dessinateur des aventures de Tintin, Spirou, lui, a été balloté entre différents auteurs au gré des hasards de l’histoire et de la volonté des Editions Dupuis. La série Spirou compte 55 albums, dont les auteurs les plus marquants sont Franquin, Fournier, ou encore Tom & Janry. Parallèlement, Dupuis a créé une collection « Le Spirou de … » qui permet à d’autres auteurs d’imaginer des histoires de notre groom.
Le Spirou de Christian Durieux est le dernier né de cette collection, et c’est une très jolie réussite.
L’histoire prend place dans un de ces grands hôtels au charme désuet, comme il y en avait tant au siècle dernier dans les villes thermales. On pense immédiatement à une ville comme Evian, dont le nom complet, Evian-les-Bains, évoque bien ces ambiances de villes d’eau entre lac et montagne. L’hôtel en question, le Pacific Palace, va se transformer l’espace de quelques jours en camps retranché pour recevoir un hôte très encombrant, dictateur déchu d’un petit pays d’Europe de l’Est, Iliex Korda. Vidé de sa clientèle habituelle, l’hôtel ne compte plus dans ses occupants, que la famille du dictateur ainsi que les membres d’un personnel restreint au minimum. Parmi ces membres du personnel, on compte deux grooms : Spirou, forcément, mais aussi Fantasio, sans emploi après la faillite du journal qui l’employait, et que Spirou a fait embaucher à l’hôtel pour lui donner un coup de main.
Pendant trois jours, ce petit monde va vivre un huis-clos oppressant. Trois jours, c’est le temps que s’est donné le gouvernement français pour tenter de trouver une solution à cette situation compliquée : comment se débarrasser honorablement de cet encombrant dictateur ? Trois jours, c’est le temps que durera l’improbable histoire d’amour entre Spirou et Elena, la fille du dictateur. Trois jours, ce sera le temps que mettra Fantasio, sa fibre journalistique ressurgissant, à dénouer les fils de cette intrigue politique. Du moins le croira-t-il …
Points forts
Durieux réussit à adapter le personnage de Spirou à son univers graphique si particulier, emprunt de poésie et de légèreté. Ainsi, il lui garde ce côté naïf et gentil, mais le pousse, de façon inédite, dans une sensuelle histoire d’amour. De même, il conserve à Fantasio son côté « sympathique râleur », mais lui ajoute une épaisseur politique assez surprenante. En fait, Durieux fait le minimum pour que lecteur ait bien l’impression de lire une aventure de Spirou et Fantasio, mais impose ensuite très vite ses propres codes. Il y a d’abord le traitement des décors. Sa façon de rendre l’ambiance de cet hôtel au charme suranné est saisissante et nous plonge immédiatement dans l’ambiance du récit. Durieux a ce talent particulier de réaliser des décors soignés tout en gardant une légèreté du trait, qui donne, case après case, un plaisir continu au lecteur. Il profite de cette fluidité graphique pour installer ses personnages dans toute leur complexité. La façon dont il restitue, à travers un gros plan, l’émotion d’un visage est impressionnante.
L’intrigue paraît alors presque superflue, mais paraît seulement, car, là aussi, Durieux maitrise son sujet en lui donnant au fur et à mesure une épaisseur inattendue jusqu’au formidable dénouement final.
Quelques réserves
Comme toujours avec ces reprises de héros mythiques de la BD (et Spirou n’est pas des moindres), il faut accepter la règle du jeu : l’auteur s’approprie le personnage et l’éloigne, même si comme ici avec talent, de la saveur de l’original. C’est toujours difficile à accepter. Par exemple, en comparant à l’exemple récent du Spirou d’Emile Bravo, Durieux n’a pas le souci du cadre original qu’avait eu son prédécesseur, ni même le respect des codes graphiques originaux. On est donc ici beaucoup plus en rupture avec le mythe et cela peut déplaire.
Encore un mot...
UN RECIT HORS DU TEMPS
Avec Pacific Palace, Christian Durieux propose une variation autour du personnage de Spirou qui devrait faire date et peut-être appeler d’autres aventures du même acabit. Il réussit le pari, toujours difficile, de trouver sa « bonne distance » vis-à-vis du célèbre groom. Il propose un dosage de respect et de provocation pour nous livrer un très bel album. Il y a plusieurs façons de le lire, aussi bien comme une brillante intrigue politique, que comme un récit initiatique. Brillante intrigue politique, car Durieux pose un cadre historique très réaliste au personnage du dictateur déchu Korda, et nous entraîne sur une fin inattendue très réussie en mode thriller. Mais aussi récit initiatique, doublement initiatique même, pour Spirou qui découvre un univers sentimental pleinement adulte, et pour Fantasio, qui s’éveille à une conscience politique très forte.
Une illustration
L'auteur
Christian Durieux est né en 1965 à Bruxelles, ville dans laquelle il résida longtemps avant de venir vivre près de Bordeaux en 2008. Durieux obtient une licence de Lettres modernes avant de s'inscrire à l'École d'arts graphiques de Saint-Luc, qu'il quitte au bout d'un an, s'estimant trop vieux pour poursuivre des études ! Il enchaîne alors travaux d'illustrations et de BD divers, en particulier pour le Journal Tintin. Invité en tant que jeune auteur à une émission de radio recevant quelques pointures du métier telles Berthet et Dufaux, il sympathise particulièrement avec ce dernier. Dufaux, séduit par le dessin de Durieux, l'embarque dans l'aventure Avel, aux Éditions Glénat, à partir de 1990. Ce thriller psychologique nervé de mystère installe aussitôt Durieux dans le top 10 des auteurs réalistes avec lesquels il faudra compter... Durieux abandonne la BD jeunesse, devenue son terrain de jeu attitré, pour illustrer à partir de 2008 Les gens honnêtes, une quadrilogie signée Jean-Pierre Gibrat. Pour cette très belle et très sensible chronique à hauteur d'êtres humains, il utilise un dessin semi-réaliste terriblement attachant. Durieux, qui a déjà travaillé en solo sur Benito Mambo (1997) et Le pont (2007) réalise par la suite Un enchantement (Futuropolis, 2011), jeu de séduction érudit et onirique se déroulant lors d'une nuit passée au Musée du Louvre.
Le clin d'œil d'un libraire
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Texte et interview réalisés par Rodolphe de Saint-Hilaire pour la rédaction de Culture-Tops.
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