L’Université des Chèvres
148 p.
23 €
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Thème
Trois plumes passées fièrement dans la ganse d’un chapeau pour dire le savoir de celui qui les portent. Trois plumes pour dire aux filles et garçons des hameaux isolés d’Ubaye et de Durance que Désiré Chabert leur apporte le bien le plus précieux qui soit : l’enseignement de la lecture, de l’écriture et des chiffres. Trois plumes que Désiré devra ôter après que la loi Guizot de 1833 lui aura interdit d’exercer son métier d’instituteur itinérant en imposant l’obtention du brevet afin de pouvoir enseigner.
Désiré se fera alors colporteur de livres pour continuer de visiter ses anciens élèves et de donner accès aux villages reculés des Alpes du Sud aux biens inestimables que sont la lecture et le savoir. Puis Désiré s’embarquera pour les Etats-Unis naissants où il se fera chercheur d’or avant d’être adopté par la tribu des Hopis, peuple des cimes retranché dans ses citadelles d’altitude. Il y créera l’Université des Chèvres afin « d’allumer un contre-feu » aux pensionnats où les colonisateurs cherchent à « assimiler » les jeunes amérindiens.
Arizona, journaliste engagée et lointaine descendante de Désiré, dénonce sans relâche les tueries dans les écoles américaines, l’inaction de l’administration Trump et le poids du lobby pro-armes incarné par la puissante NRA. « Placardisée », elle est envoyée en Afghanistan pour aller à la rencontre des femmes de ce pays. Elle y fait la connaissance de Sanjar, lui aussi instituteur itinérant, métier périlleux dans un pays où l’influence grandissante des talibans menace tous les jours davantage la liberté de l’enseignement, notamment pour les jeunes filles.
Points forts
Cet album à la magnifique couverture blanc neige fut longtemps appuyé à ma table de chevet. Ma fille de trois ans en fit là la découverte et depuis me demande régulièrement, à l’heure du coucher, de lui lire « La BD des montagnes ». S’il ne devait y avoir qu’une seule raison de recommander L’Université des Chèvres, ce serait d’avoir donné à une enfant ne sachant ni lire ni écrire, le goût de la lecture et des sentiers enneigés.
Christian Lax est au sommet de son art de dessinateur pour mettre en images le vibrant plaidoyer pour un enseignement libre, universaliste et accessible à tous qu’est L’Université des Chèvres. Le passage où Désiré, comme suspendu entre ciel et terre, alors qu’il escalade une Mesa pour rejoindre le villages perché des Hopis, est emblématique du style de Christian Lax : arrière-plan absent ou se faisant discret pour mettre en avant le texte et le principal objet visuel.
Son dessin de nuages est superbement mis en valeur par une palette où cohabitent subtilement toutes les tonalités ocres. Son élégante délicatesse lui permet de traiter des scènes d’une grande violence d’une façon presque poétique qui leur donne, de façon presque paradoxale, une puissance parfois à la limite du soutenable.
On retrouve dans ce très bel album bon nombre de thèmes chers à l’auteur : une défense acharnée du rôle essentiel, incontournable, de l’école comme fondement d’émancipation individuelle et sociale, notamment pour les plus démunis et les jeunes filles et jeunes femmes ; une dénonciation sans concession de tous les intégrismes politiques et religieux et du risque d’obscurantisme et d’interdit qu’ils font peser sur nos sociétés démocratiques ; un profond attachement à l’histoire et à ses enseignements dont notre société contemporaine pourrait, devrait, davantage s’inspirer.
Quelques réserves
En cherchant bien, on pourrait émettre deux réserves. La première concernerait l’équilibre entre le temps consacré à la vie de Désiré d’une part, à celles d’Arizona et de Sanjar d’autre part. J’avoue que j’aurais aimé passer un peu plus de temps avec ce colporteur en instruction pour lequel j’ai vite ressenti un profond attachement.
La deuxième considérerait que le procédé scénaristique qui permet à Désiré et à Sanjar, à plus d’un siècle et deux continents de distance, d’exercer le même métier et de partager les mêmes combats, est peut-être un peu gros. Mais un lecteur averti aura perçu la grande légèreté de ces réserves.
Encore un mot...
L’Université des Chèvres, c’est beau, subtil, triste, stimulant, engagé, délicat, poétique, violent, joyeux, accablant, sensible, humain, dérangeant, combatif. Sa lecture est un moment hors du temps qui donne au lecteur le sentiment d’avoir été « lavé » par la beauté qu’il véhicule et d’avoir été amené à se poser quelques questions importantes.
L’Université des Chèvres, c’est aussi le dernier album d’un immense auteur de BD à qui l’on ne peut donner qu’un respectueux coup de chapeau pour l’ensemble de son œuvre et la maestria avec laquelle il réussit sa sortie.
Une illustration
L'auteur
Comment résumer en trois lignes les plus de 40 ans de carrière d’un géant de la BD ? En rappelant qu’il eut la chance de voir sa vocation de dessinateur soutenue et encouragée par ses parents ? En précisant qu’après une formation aux Beaux-Arts et un début de parcours professionnel en tant qu’indépendant dans la publicité, Christian Lax publie en 1982 chez Glénat son premier album, Ennui mortel ? En partageant une sélection forcément partiale et discutable de l’abondante œuvre qui a suivi ? Des maux pour le dire, éd. Vents d’Ouest, 1987 ; Les oubliés d’Annam, éd. Aire Libre, 1990-1991 ; Azrayen, éd. Aire Libre, 1998-1999 ; Le Choucas, éd. Dupuis, 2000-2004 ; L’écureuil du Vel d’Hiv’, éd. Futuropolis, 2012 ...
Commentaires
Ce que j'ai lu de plus "riche" depuis Les Indes Fourbes (Ayrolles / Guarnido)
Merci et bonne route M. Lax
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