L’Ombre des Lumières, Tome 1. L’Ennemi du Genre Humain
70 p.
22,95 €
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Thème
En pleine Terreur, un complot royaliste est dénoncé. On soupçonne le Chevalier Justin Fleuri de Saint-Sauveur d’en être l’instigateur. Dans son logement du faubourg Saint-Médard, nulle trace d’un quelconque complot mais un bureau à cylindres « joliment ouvragé » empli de centaines de lettres. La correspondance d’une vie. Celle dudit Chevalier qui est à présent un vieillard alité et mourant.
Printemps 1745, au mitan du règne de Louis XV, dans une lettre adressée à une mystérieuse interlocutrice, le chevalier de Saint-Sauveur fait part de son projet de séduire la belle Eunice de Clairfont. Jeune, prude, éprise de philosophie et de sciences, ardente défenseuse de l’éducation des jeunes filles, cette « surprenante », « délectable » et « inaccessible » jeune femme possède toutes les qualités. Mais elle est mariée. Et rien n’est plus éloigné du projet du Chevalier que de convoler en justes noces. Quel est-il ? Démontrer que le Vice triomphe toujours sur la Vertu en s’attaquant à celle qui en est à ses yeux une parfaite incarnation. Elle devient par conséquent un « objectif », une cible à conquérir et à faire chuter.
Points forts
Quel bonheur de retrouver la patte scénaristique d’Alain Ayroles qui a le bon goût de la coupler au style épistolaire ! Le cocktail est des plus savoureux. C’est drôle, cynique, immoral, irrévérencieux, hyper documenté, très classique, furieusement moderne, érudit, accessible, un brin manipulatoire, très malin, historique, contemporain, merveilleusement construit et totalement jubilatoire. On retrouve tous les ingrédients qui avaient fait le succès du picaresque et très remarqué Les Indes Fourbes, éd. Delcourt, 2019,
Quel plaisir de plonger sans retenue dans un scenario aussi bien construit, de se perdre au cœur d’une intrigue aux tiroirs aussi nombreux que ceux du secrétaire du héros, de suivre les fausse-pistes dont regorge l’album et de goûter avec une satisfaction de gourmet les clins d’œil dont regorge l’album. Voltaire et son Candide ; Montesquieu et ses Lettres Persanes ; le mythe du Bon Sauvage colporté entre autres par Montaigne, Diderot et Rousseau ; L’Encyclopédie du même Diderot et de d’Alembert ; Le discours de la servitude volontaire de La Boétie… toutes ces œuvres majeures inspirent et irriguent le premier tome de cette trilogie.
Et que dire de l’hommage appuyé au Ridicule de Patrice Leconte, 1996 et aux Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos ? Impossible de ne pas voir de cousinage entre Saint-Sauveur et Valmont ; entre la Baronne de Féranville, Mme de Merteuil et la Comtesse de Blayac ; entre Eunice de Clairfont, Mathilde de Bellegarde et Cécile Volanges ; enfin, entre le révérend père Marquais et l’abbé de Villecourt…
Dernier plaisir mais non des moindres, la qualité de dialogues ciselés au cordeau pour restituer au mieux cette langue du XVIIIème qui usait de la plus extrême sophistication pour dire les choses les plus violentes et énoncer les jugements sans appels. A titre d’exemple, goûtez sans réserve à la phrase qui suit : « Méprisant Maupas plus que je vous déteste, je veux vous gratifier d’un conseil. »
Un mot appuyé enfin pour rendre justice au superbe travail graphique de Richard Guérineau qui se marie à merveille au scénario d’Alain Ayroles. La finesse de l’un renvoie à la précision de l’autre tandis que l’élégante énergie de celui-là fait écho à l’intelligente subtilité de celui-ci.
Quelques réserves
Un esprit tatillon pourrait considérer que le cousinage avec Ridicule et Les Liaisons Dangereuses est par trop consanguin et que les auteurs ont fait œuvre de peu d’imagination. A celui-là je répondrai que la consanguinité a en l’occurrence donné un bien beau fruit et que s’appuyer sur de telles références tout en les sublimant est une jolie preuve de talent.
Encore un mot...
Le héros de L’Ombre des Lumières est un méchant. Cynique, arriviste, dépensier, menteur, arrogant, libertin, courtisan, retors, pervers, calculateur, manipulateur, frivole, imbu de son rang autant que de sa personne, dépourvu de toute moralité, le Chevalier Justin Fleuri de Saint-Sauveur a tout pour déplaire. C’est pourtant l’inverse qui advient. On ne peut s’empêcher d’aimer les méchants joliment campés. Surtout quand ils ont le bon ton de voguer d’échec en échec avec une forme de constance.
Il est un parfait porte-drapeau cette noblesse de cour dont les privilèges ont perdu toute justification sociale depuis qu’elle a été largement dépossédée de sa fonction militaire par l’avènement des armées de métier. Pétrie de titres ronflants renvoyant souvent à des réalités décevantes, refusant par peur de déchoir de se livrer à toute activité commerciale ou industrielle, à la différence de sa cousine anglaise, financièrement dépendante des prébendes du monarque, dépourvue de toute utilité sociale, confite dans un luxe à la limite de l’écœurement, elle vit dans l’obsession d’elle-même et de l’obtention de nouvelles faveurs royales tandis que le peuple gronde de misère.
Une illustration
L'auteur
Pour une biographie détaillée d’Alain Ayroles, je vous renvoie à l’excellente chronique [D]es Indes Fourbes, du non moins excellent Dominique Clausse, publiée le 5 octobre 2019 sur notre site. Notons qu’il a depuis participé aux tomes 13 à 18 de la série Le château des étoiles, éd. Rue de Sèvres, 2020-2021 et a réalisé les deux tomes [D]es chimères de Vénus, éd. Rue de Sèvres, 2021-2023.
Richard Guérineau est envoûté très jeune par le démon de la BD. Après des études d’arts plastiques, sa rencontre en 1991 avec le scénariste Corbeyran marque son entrée dans cet univers et le début d’une fructueuse collaboration : L’As de Pique, éd. Dargaud, puis Delcourt, 1994-1997 et Le Chant des Stryges, éd. Delcourt, 1997-2018 en sont les plus beaux exemples. Parmi ses œuvres plus récentes, on citera le remarqué Henriquet, l’homme reine, éd. Delcourt, 2017 et le très beau Croke Park, Dimanche sanglant à Dublin, éd. Delcourt, 2020.
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