L’intranquille Monsieur Pessoa
135 p.
25€
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Thème
Fernando Pessoa est une grande figure de la littérature portugaise. Barral nous propose de mieux connaître ce poète, largement méconnu en France. Il faut dire que l’accès à l’œuvre de Pessoa est complexe, oscillant entre mysticisme, ésotérisme et futurisme revendiqué. Barral commence son récit par l’année 1935 lorsque Pessoa, qui a alors 47 ans, apprend qu’il est condamné à mourir prochainement d’une cirrhose, son foie n’ayant pas résisté aux quantités d’alcool ingérées tout au long de sa vie. Ayant découvert cette nouvelle, un journal de Lisbonne charge un jeune pigiste, Simao Cerdeira, de rédiger la nécrologie du grand homme. Connaissant peu Pessoa, Simao va partir à sa découverte, en partie en se plongeant dans son œuvre littéraire, en partie en rencontrant des personnes l’ayant bien connu. Très vite, cette enquête va prendre pour le jeune journaliste des allures de quête initiatique.
Points forts
Barral réalise un tour de force scénaristique en réussissant à nous introduire dans la vie complexe de Fernando Pessoa sans jamais nous perdre. Son récit suit en parallèle les deux héros de l’histoire : Fernando Pessoa au long de la dernière ligne, sinueuse plutôt que droite, de sa vie ; et Simao Cerdeira, jeune journaliste vraisemblablement sorti de son imagination. Cette double narration, agrémentée de quelques flashbacks reconnaissables à leur couleur uniforme, fonctionne parfaitement et permet d’assembler progressivement les pièces du puzzle de la vie du poète.
En particulier, Barral nous fait rentrer dans le monde des hétéronymes de Pessoa, caractéristique fondamentale de son œuvre. En effet, Pessoa a écrit la majeure partie de ses ouvrages sous de nombreuses identités différentes, qui sont, bien plus que des pseudonymes, de véritables personnalités distinctes. Comprendre ce processus des hétéronymes est une clé essentielle que Barral prend le temps d’explorer et d’expliquer. La double narration sert de support à cette exploration. Ainsi, tandis que Simao se fait expliquer ce processus par les gens qui ont connu Pessoa, ce dernier se confronte à ses hétéronymes que Barral représente comme des personnages réels. Le résultat est très réussi et nous entraîne très près de cette frontière entre la folie et le génie créatif chère à bien des artistes.
Pour terminer cette revue des points forts, j’ajoute aussi le joli rendu graphique de la ville de Lisbonne. Barral nous promène dans quelques endroits mythiques, comme le couvent des Carmes, partiellement détruit par un séisme au XVIIIème siècle et jamais reconstruit ; la place du Rossio, et son sol orné de vagues ; ou encore le fameux café Marthino da Arcada, un des plus vieux de Lisbonne, où aimait se rendre Pessoa.
Quelques réserves
Deux réserves diamétralement opposées peuvent être évoquées : soit on s’ennuie ferme en lisant ce récit sur un écrivain un tantinet schizophrène et franchement alcoolique dont la vie n’a pas été passionnante de bout en bout ; soit on trouve que le traitement de l’histoire est un peu superficiel et aurait mérité plus de développement. Vous percevrez sûrement, en lisant cette chronique, que je me suis plutôt rangé dans la deuxième catégorie. A partir du moment où on est happé par le sujet, on ressort un peu frustré de ne pas tout comprendre de l’étrange personnage.
Une illustration
Une phrase
POESIE PORTUGAISE
On ne peut pas dire que Barral ait choisi la facilité en nous proposant cet « intranquille Monsieur Pessoa ». Rien que pour saluer cette prise de risque, on peut en encourager la lecture. Mais il y a plus dans ces pages. Il y a la vie d’un créateur à l’état pur. « Son » Fernando Pessoa nous entraîne dans les pas d’un modeste employé de bureau, dans la peau duquel vivait un grand poète. Comment expliquer un tel paradoxe ? La clé semble être dans le renoncement de Pessoa à toute forme de reconnaissance. Il ne faisait aucune concession à la normalité. Il acceptait tous les êtres qui habitaient en lui et le détruisaient peu à peu, car ils étaient aussi sa source d’inspiration, et donc sa raison de vivre. Mais il y avait un prix à payer pour vivre cette étrange vie : la solitude de celui qui ne veut entraîner personne dans les méandres dangereux de son existence. Et l’alcoolisme. Peut-être pour supporter la solitude, jusqu’à la cirrhose qui l’a emporté prématurément, le 30 novembre 1935, à 47 ans.
L'auteur
Nicolas Barral est né le 22 décembre 1966 à Paris. Après un Baccalauréat (philosophie et maths), il étudie pendant un an les arts plastiques puis intègre l'école d'Angoulême où il étudie sous la houlette de Robert Gigi. Il débute sa carrière de professionnel à OK Podium en se faisant les dents sur la réalisation des pages BD. Lors d'un concours de jeunes talents organisé par la FNAC, il est remarqué par Jean-Christophe Delpierre qui l'intègre à l'équipe de Fluide Glacial. C'est avec Christophe Gibelin, rencontré lors de son séjour angoumoisin, qu'il imagine l'ébauche de ce qui deviendra Les Ailes de Plomb, commencé en janvier 95. Ce fan de BD, qui se souvient de sa timidité devant les auteurs en pleine dédicace, ne cache pas ses affinités pour Tardi, qui lui a fait aimer les années 50, Giraud, Durand, mais aussi Uderzo et Morris. L'autre facette de l'auteur est son côté pince-sans-rire qui lui fait apprécier, entre autres, l'humour britannique. Aussi se sent-il tout heureux de travailler avec Pierre Veys sur des nouvelles qui mettent en scène Sherlock Holmes. Logique alors de reprendre le flambeau de Tardi pour illustrer les aventures d’un autre célèbre détective, Nestor Burma. S’il a aussi fait une parodie réussie de Black et Mortimer, les aventures de Philippe et Francis, je recommande personnellement Sur un air de fado, qui nous amenait déjà au Portugal.
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