L’instant d’après
p. 56, 14,50 €
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Thème
« L’Instant d’après » commence comme un polar glauque dans une boite de striptease américaine, pour évoluer très vite vers un univers fantastique. La thématique est simple : des personnes disparaissent du monde réel d’une seconde à l’autre. Elles étaient là et, l’instant d’après, elles ne sont plus là, ce qui vous donne l’explication du titre. Blandine, l’héroïne de l’histoire, dont la sœur jumelle a ainsi disparu, va mener l’enquête, avec l’aide de Gilbert, un taulard injustement condamné pour le meurtre de sa femme, alors que celle-ci fait en fait partie de ces mystérieuses disparitions.
Cette enquête sera surtout le prétexte, pour les auteurs, à la mise en scène de toute une série de disparition, avec de jolies trouvailles visuelles qui permettent de maintenir le rythme, malgré la simplicité de la trame scénaristique. On a le sentiment de lire le début d’une série qui pourrait s’étendre sur beaucoup de volumes, et qui évoluerait vers un titre comme « Le Bureau des Personnes Disparues », titre que Gilbert a lui-même apposé sur ses dossiers de recherches.
Points forts
Dès les premières pages, les auteurs mettent en place cette ambiance mystérieuse, avec une très grande habileté, aussi bien scénaristique que graphique. Zidrou est un raconteur d’histoires qui a déjà un grand passé de scénarios à succès, et celui-ci pourrait bien s’ajouter à la liste, tant il réussit à maintenir le lecteur en haleine. Le pari n’était pas aussi évident, car, lorsqu’on a capté ce principe des disparitions subites, il pourrait y avoir assez rapidement un sentiment de répétition et de lassitude à poursuivre la lecture. Mais Zidrou évite cet écueil, par d’habiles procédés narratifs, qui rompent la simple linéarité temporelle. Et on s’attache très vite à ses deux héros improbables : Blandine, la stripteaseuse pleine de jugeotte et Gilbert, le taulard en quête de vérité (qui est Holmes, qui est Watson dans ce drôle de couple ?). On retrouve aussi, comme souvent avec Zidrou, les failles sentimentales des personnages, que ce soit, pour Blandine, le rapport à ses parents, ou, pour Gilbert, son conflit avec sa fille. Cela leur donne de l’épaisseur et de l’Humanité.
Maltaite nous propose, de son coté, une superbe mise en image. En particulier, j’ai été très séduit par sa reconstitution de l’ambiance des années 60-début 70, dans laquelle se déroule l’histoire. Prenez le temps de découvrir tous les détails en arrière-plan de ses cases, et vous découvrirez de nombreuses allusions à cette époque (j’ai adoré le policier en faction qui lit le journal Pilote). Et sa façon de dessiner les personnages féminins m’évoque toujours le style de son père, l’immense et regretté Will.
Quelques réserves
Le principal point faible de cette BD est, pour l’instant, très théorique : c’est le risque de décevoir le lecteur, en proposant, au final de cette histoire, une explication qui fasse « pschitt ». Ce premier opus de ce qui devrait donc être une série ne propose en effet aucun début d’explication. Les gens disparaissent mystérieusement, et c’est tout. Si, comme je le notais dans les points forts, nous sommes tenus en haleine de la première à la dernière page, on referme aussi l’album avec un grand sentiment de frustration.
Encore un mot...
UNE BD COMME UNE SERIE TV
Cette frustration, c’est celle qu’on ressent, parfois, lorsqu’on regarde une bonne série télé, et qu’à la fin de chaque épisode, on hurle notre dépit de devoir attendre une semaine, ou plus, pour connaître la suite. Plus précisément, la série, à laquelle cette BD m’a tout de suite fait penser, c’est « the Leftovers ». En effet, dans cette série, une partie de l’Humanité disparait soudainement, sans aucune explication, et les protagonistes passent tous les épisodes à chercher une solution rationnelle, sans la trouver, en fin de compte. La fin de cette série a créé beaucoup de dépits chez ceux qui la suivaient avec passion, et je trouve que « l’instant d’après » court ce même risque. Est-ce d’ailleurs pour conjurer ce sort de la « fin décevante » que les auteurs n’ont évoqué à aucun endroit (j’ai cherché) la possibilité d’une suite. Nulle part, il est fait mention de Tome 1, et, à la dernière page, l’histoire se termine sans allusion à une suite possible. Mais, en attendant ce tome 2 virtuel, n’hésitez pas à vous plonger dans ce récit. Vous ne le regretterez pas, et espérez, comme moi, que la saison 1 de cette BD-Série soit à la hauteur de nos attentes.
Une illustration
L'auteur
(d’après le site des éditions Dupuis)
Né à Bruxelles le 23 février 1958, fils du grand Will, Eric Maltaite se trouve plongé dès l'enfance dans un univers centré sur la bande dessinée. Il voit quotidiennement son père penché sur ses planches de Tif et Tondu, et lui donnera parfois un petit coup de main au cours de ses années d'adolescence. Ses progrès sont rapides et c'est à TINTIN qu'il place ses premiers péchés de jeunesse en 1976 (Bidevision), tandis qu'il se lie d'amitié avec Stephen Desberg qui commence à assister Tillieux pour les scénarios de Tif et Tondu. Après un premier galop en commun sous la forme d'un récit complet dans SPIROU (Jules et Gil, en 1978), l'équipe Maltaite-Desberg se lance dans une série parodique plus ambitieuse mettant en scène la Famille Herodius, dont les membres traversent l'Histoire avec une méchanceté assez stupéfiante pour l'époque. Ils changent leur fusil d'épaule et créent en 1980 l'agent spécial Jimmy Plant... qui se fera un nom sous son matricule 421 ! Après un démarrage plutôt humoristique où l'on retrouve une certaine satire de James Bond, la série alterne de manière originale des trames policières, d'espionnage ou de science-fiction. 421 vivra ainsi onze grandes aventures jusqu'en 1992 et permet au jeune dessinateur d'explorer d'autres voies graphiques, qui lui donneront le goût du changement régulier d'atmosphère et de style.
Après divers projets, Maltaite réalise ce qui est, de mon point de vue, son Grand Œuvre à ce jour, sa trilogie sur Mr Choc, le héros créé par son père, Will, dont il imagine, en collaboration avec Colman, et toujours aux Editions Dupuis, l’enfance et le parcours avant sa rencontre avec Tif et Tondu.
Né en 1962 à Bruxelles, Benoît Drousie, dit Zidrou, suit des études d'instituteur et enseigne durant six ans. Assez vite, sa plume le taquine. Il écrit des chansons pour enfants, s'essaie à l'écriture dans le journal Tremplin. En 1991, il fait ses débuts aux Éditions Dupuis en tant que scénariste pour De Brab dans le numéro spécial de Noël de Spirou. À partir de 1993, il devient l'un des scénaristes les plus prolifiques du journal : animations, histoires courtes, gags, et bientôt des séries. Coup sur coup, il entame "Les Crannibales" avec Fournier , "Le Boss" avec Bercovici, "Tamara" avec Darasse. Aux Éditions du Lombard, "L'élève Ducobu" s'impose comme un véritable best-seller. Les tribulations de ce cancre sympathique, certainement inspiré par les années passées à enseigner, séduisent un très large public et révèlent Zidrou comme un gagman de choix. Dix ans après ses débuts, le scénariste a l'envie d'explorer des pistes plus adultes. Il écrit plusieurs scénarios, sombres, qui dans un premier temps ne reçoivent qu'un écho restreint. En 2009 et 2010, Dupuis publie deux recueils de ses nouvelles en bande dessinée qui remettent en lumière cette face méconnue de son inspiration. En 2010 toujours, Zidrou écrit pour Jordi Lafebre "Lydie" (chez Dargaud), une poignante histoire de famille qui est unanimement acclamée. Depuis cette réussite, Zidrou se partage entre des séries familiales humoristiques et des histoires plus tortueuses, parvenant toujours à ajouter beaucoup d'humanité à ses récits, quelque ce soit le genre abordé.
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